Norvège : Eldorado de la presse ?

Un article de la série « la liberté de la presse en Europe en 2020 »

, par Jean Baptiste Boyssou

Norvège : Eldorado de la presse ?

Depuis quatre ans maintenant, la Norvège pointe en tête du classement Reporters Sans Frontières (RSF) de la liberté de la presse, référence dans le domaine. L’Europe nordique tout entière a su s’imposer comme le modèle à suivre en la matière. Quelles mesures permettent d’assurer un environnement aussi favorable aux acteurs de l’information au Nord de l’Europe ? Le tableau de notre écolier modèle est-il aussi inébranlable que les classements des dernières années le laissent penser ? Décryptage.

La Norvège, référence mondiale pour la liberté de la presse

La liberté de la presse, partie intégrante de la liberté d’opinion et d’expression, est garantie depuis longtemps sur la scène internationale. L’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme consacre la “protection de la liberté de la presse”, tout comme l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, dont le bras judiciaire est la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH). La protection des sources d’information des journalistes est censée être assurée, sans exceptions ni restrictions.

Les atteintes à cette liberté de la presse se font cependant nombreuses, dans un grand nombre de pays. Les entraves au métier de journaliste, comme la capture, la torture ou la mise à mort des membres de ce corps de métier n’est bien entendu pas un problème dans la société norvégienne. Cependant, l’entrave au pluralisme ou à l’indépendance des rédactions est tout à fait envisageable dans ce pays du nord de l’Europe : pressions fiscales, financières ou politiques pourraient émerger. Il n’en est cependant rien, et la Norvège est depuis quatre années de suite maintenant à la première place du classement RSF, tout en étant membre du trio de tête depuis la création de l’indice en 2013.

L’indicateur RSF est construit sur la manière d’un échelle croissante : 0 correspond à une absence d’entrave à l’action de la presse, 100 à une répression totale. La Norvège affiche un magnifique 7,84 dans le classement 2020, dernière édition en date qui a couronné les voisins scandinaves danois et finlandais en seconde et troisième position.

Un cadre juridique, politique et culturel particulièrement favorable

Les raisons à cette situation aussi appréciable sont nombreuses, dans ce pays peu peuplé mais à la culture de l’information fortement développée. Tout d’abord, la population elle-même, par ses habitudes culturelles, a tendance à favoriser un fort impact de la presse dans la société. Tandis que seulement un français sur dix déclare payer pour pouvoir s’informer de façon dématérialisée, les norvégiens sont trois fois plus à affirmer avoir souscrit des abonnements en ligne. Notons que ce taux, le plus élevé selon une étude Reuters sur le sujet, est rendu possible par un taux de pénétration Internet sans équivalent, atteignant les sommets des classements mondiaux d’accessibilité à la connexion Internet : 99%.

Les prouesses techniques et les aspects culturels ne sont pas les seuls leviers : la profession elle-même fait référence auprès de ses collègues autour du monde. Une charte déontologique solide, régulièrement partagée et affichée dans l’ensemble des rédactions, affirmant la lutte du secteur contre “la publicité cachée” ou “la prudence médiatique dans la couverture des suicides et tentatives de suicide” ou les “affaires pénales”, est méticuleusement respectée par la presse norvégienne. Par ailleurs, les journaux norvégiens ont tendance à moins marquer une couleur politique, au contraire d’un certain nombre de rédactions autour du globe. Ces facteurs font que la profession est moins sensible à une volonté d’encadrement de sa liberté de travail, du fait d’un encadrement déontologique qu’elle s’impose elle-même.

L’appareil législatif est un soutien important de cette démarche de primauté de la liberté de la presse. Globalement les lois norvégiennes sont peu contraignantes : “Les Norvégiens ont moins tendance que les Français à légiférer sur tout”, comme le résume Georges Chabert, professeur d’histoire à l’Université norvégienne des Sciences et Technologies.

La lutte contre la concentration des médias, afin de garantir une pluralité d’acteurs pour une presse libre, a été entamée dès 1997, par la loi sur la propriété des médias. Il est alors interdit à un groupe de presse de posséder un portefeuille de médias ayant plus de 40% de l’audience globale. Le texte est remplacé en 2016 par la loi sur la transparence de la propriété des médias, dans la logique de limitation de la légifération norvégienne : aucune limite chiffrée n’est alors imposée, mais le droit est donné à la Medietilsynet (autorité norvégienne des médias) d’avoir accès “aux informations sur la structure de la propriété médiatique et les rendre accessibles au public”.

Malgré le fait qu’aucun encadrement quantitatif ne soit subsistant dans la loi norvégienne concernant les médias et la presse, le ministère de la Culture et des Affaires religieuses a pour mission “d’assurer l’accès à un pluralisme en matière de télévision, radio et journaux” et à ce titre, peut contrôler l’acquisition de médias.

L’ensemble de ces éléments, législatifs, juridiques, culturels et techniques, offrent le cadre le plus favorable offert actuellement à la presse pour l’exercice de ses fonctions.

Des obstacles qui surgissent à l’horizon

Dans un contexte global de montée en puissance de l’autoritarisme, et désormais sur fond de crise sanitaire mondiale, la liberté de la presse subit un recul, même en Europe. Quatre des cinq plus grandes baisses dans le classement RSF 2019 sont ainsi observées sur le continent. L’Europe du Nord reste, de loin, la meilleur contrée pour l’exercice d’une presse libre, mais le questionnement est légitime aussi dans cette région. La Suède a récemment perdu une place du fait de la “recrudescence du cyberharcèlement”, tandis que les Pays-Bas (5e du classement RSF en 2020) offrent une protection policière à temps plein pour deux journalistes spécialistes des organisations criminelles.

Quelques frictions sont responsables de ces résultats : l’hostilité à l’encontre du gouvernement, le harcèlement ou encore les menaces devenues monnaie courante sur les réseaux. Une Commission a donc été mandatée afin de procéder à un examen complet des conditions de la liberté d’expression : la sécurité des journalistes et la crainte de l’autocensure du fait des menaces numériques sont la priorité.

La confiance dans le système politique s’est également affaiblie récemment : une initiative de pétition populaire contre l’article 185 du code pénal, dont sa modification laissait entrevoir des conséquences possibles sur la liberté d’expression, a été lancée, alors que cet article a initialement pour objet de lutter contre “la prévention des déclarations haineuses et discriminantes”. L’un des médias les plus importants du pays, Verdens Gang, a même entamé des poursuites contre le Procureur général pour avoir interdit l’accès aux documents nécessaires dans une affaire d’utilisation d’armes à feu par la police. Ce comportement constitue aux yeux du média “un obstacle inadmissible [...] à la fonction de contrôle des médias”. Des préoccupations néanmoins à des année-lumières de l’état de la liberté de la presse dans d’autres régions du monde, qui en disent long sur la vitalité du secteur médiatique norvégien.

Un exemple est le cas Becker vs Norvège, rendu devant la CEDH le 5 octobre 2017 : Mme Becker, journaliste piégée par une source dont les informations, fausses, ont été publiées et ont entraîné un fort impact sur les marchés financiers, s’est vue accorder le droit de ne pas comparaître au procès de son fournisseur d’informations, au vu de la non nécessité de sa présence pour obtenir tous les éléments du dossier et du respect des sources. Élève modèle, la Norvège ne cesse de questionner la subtilité des limites de la liberté de la presse.

A ce titre, la Norvège reste par bien des aspects au au sommet du classement, grâce à mesures légales efficaces et un écosystème social particulièrement favorable. Le prochain défi pour le pays, comme pour ses voisins scandinaves hyper-connectés, sera d’endiguer l’essor des pratiques journalistiques douteuses, du fait de l’émergence du numérique. Toutes les cartes sont en main pour une nouvelle réussite norvégienne dans ce domaine.

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