Beaucoup plus tard, l’UEO finira en 2011 absorbée par étapes dans l’UE, à partir du Traité de Maastricht qui introduisit un pilier de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Pour autant, pas plus que l’UEO avant elle, la PESC ne s’est inscrite dans une logique fédérale.
Les contradictions de l’Europe de la défense
Et pour cause, l’Europe de la défense s’est enlisée depuis longtemps dans des contradictions incapacitantes. Quand la France, fière de son statut international (siège permanent et droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU, arme atomique, capacités de projection, bases en Afrique comme dans ses possessions ultramarines...), propose de construire autour d’elle une Europe autonome des États-Unis, elle se heurte à la méfiance ou au scepticisme de nombreux pays, qui comptent davantage sur le parapluie américain pour assurer leur sécurité. D’autres initiatives se voulant franco-britanniques perdent beaucoup de leur sens depuis le Brexit.
Quant aux projets industriels d’armement européens, il y a, certes, quelques réussites, plutôt à la carte, fondées sur des alliances d’entreprises au cas par cas, mais aussi des échecs patents. Surtout, le meilleur moyen de garantir la pérennité de la protection américaine n’est-il pas pour de nombreux pays européens de rester d’excellents clients de l’industrie de défense américaine ? La France, qui a longtemps voulu faire cavalier seul, depuis son retrait du commandement intégré de l’OTAN en 1966 sous De Gaulle, a fini par y reprendre sa place sous la présidence Sarkozy.
L’OTAN demeure incontournable
L’Europe de la défense, de facto, ne peut se construire sans l’organisation qui assure justement la défense de l’Europe. L’UE, en tant que sujet de droit international exerçant d’ores et déjà des compétences, même limitées, en matière de défense gagnerait d’ailleurs à devenir elle-même membre d’une alliance et d’une organisation à laquelle presque tous ses membres adhérent.
L’élargissement de l’OTAN à la Finlande et la Suède a encore accentué cette situation. Face à la menace russe concrétisée au plus haut point par l’invasion de l’Ukraine, partielle en 2014, puis généralisée depuis 2022, la seule adhésion à l’UE ne semble plus suffisante, même pour des pays neutres depuis des décennies.
La multiplication des provocations et des attaques hybrides russes annonce d’autres menaces. Ces dernières sont aggravées par le déséquilibre des masses entre, d’un côté, une armée russe aguerrie disposant d’un large volume d’équipements robustes (à défaut d’être les plus modernes) et, de l’autre côté, les armées des États de l’UE, sophistiquées mais développées chacune à une échelle bien plus modeste, parfois même presque symbolique.
De fait, ces armées européennes ne pourront, en cas d’implication directe dans une guerre de haute intensité sur le continent, que se battre ensemble. L’OTAN assure déjà cette dimension opérationnelle de l’outil militaire sur le mode quasi-fédéral du commandement intégré. Ce qui manque à l’Alliance, comme d’ailleurs aussi à l’UE, c’est l’unité politique d’une autorité fédérale, souveraine et démocratique. Ce que l’OTAN a « en trop » peut être, c’est la place disproportionnée du protecteur américain : mais peut-il en être autrement au vu de ce qu’on lui demande ?
Le rééquilibrage du fardeau
En réalité, les États-Unis nous font savoir depuis longtemps que le fardeau de la défense de l’Europe doit plus largement être supporté par les Européens. Cette demande, exprimée relativement poliment sous les présidences Obama ou Biden, est à nouveau formulée sur un mode bien moins diplomate par Donald Trump.
L’exigence de porter les budgets militaires européens à 5% du PIB, alors que tous sont loin d’arriver aux 2% précédemment convenus, peut paraître disproportionnée ou inatteignable. Mais en fait, l’UE n’a plus le choix : elle devra soit accepter de laisser les déficits publics nationaux dériver, pour permettre à ses membres de se réarmer, soit organiser elle-même ce réarmement, par un financement en commun de dépenses d’équipement ou par le développement d’un vaste budget militaire fédéral (alors que l’actuel budget de l’Union, dont la dimension de défense est insignifiante, ne représente que 1% de son PIB). Et si l’UE se transforme en un acteur clef de la défense européenne, elle doit logiquement siéger, aux côtés de ses membres, dans les instances de l’OTAN.
Financer une défense pleinement européenne
La question devient dès lors d’abord celle du financement. Deux pistes majeures apparaissent naturellement : à très court terme, avec la concrétisation des guerres commerciales annoncées par Donald Trump, les rétorsions de l’UE lui apporteront un probable surcroît de recettes douanières ; à moyen terme, il conviendra sans doute de renforcer la part de la TVA revenant à l’Union, en accroissant la pression fiscale de cet impôt indirect. Grosso modo, le PIB étant la somme des valeurs ajoutées, le renforcement, par exemple d’un point du taux de prélèvement sur cette assiette très large, permettrait de doter l’UE d’un budget militaire, additionnel à ceux de ses membres approchant les 1% de son PIB. Cela doublerait de fait le budget de l’UE, en contribuant largement à satisfaire la demande américaine légitime, de révision du partage du coût de la défense de l’Europe, tout en offrant aussi, via une préférence militaire européenne dans l’utilisation de ce budget, l’occasion de renforcer les industries d’armement du vieux continent.
En se dotant d’un tel budget militaire, l’UE dégagerait en commun des moyens, en réalité déjà nécessaires, pour ne pas exposer davantage ses membres à de futures agressions hybrides ou directes, et en tout premier lieu pour endiguer l’expansionnisme russe revanchard vers l’ouest. Elle siègerait légitimement dans l’OTAN aux côtés de la grande majorité de ses propres membres, y devenant de facto un acteur incontournable, et se rapprochant peu à peu, du saut ultime vers sa transformation souhaitable en une véritable fédération. Ainsi, la guerre menée par la Russie en Ukraine comme la volonté américaine de se décharger autant que faire se peut de la défense de l’Europe, obligent l’UE à faire enfin face à son destin.
L’Union ne pourra pas peser efficacement sur la scène internationale en gardant des institutions confédérales dans lesquelles la décision n’émerge qu’au terme d’un laborieux et improbable consensus de ses chefs d’État et de gouvernements, qui donne surtout à voir des faiblesses, des hésitations ou des divisions.
Un gouvernement européen fédéral, responsable démocratiquement devant le Parlement et les citoyens européens, car notamment chargé de la défense et des relations internationales, finira tôt ou tard par s’imposer. En attendant cette échéance ultime, que la simple prudence invite pourtant déjà à réaliser le plus rapidement possible, l’adhésion de l’UE à l’OTAN sur la base d’un budget européen de défense additionnel permet de nous rapprocher sensiblement de cette étape.
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