Pacte vert : l’Europe « ajuste » et crispe

, par Théo Boucart

Pacte vert : l'Europe « ajuste » et crispe
Le vice-président de la Commission Frans Timmermans s’exprime sous les yeux de la présidente Ursula von der Leyen et du commissaire à l’économie Paolo Gentiloni, le 14 juillet dernier à Bruxelles. Photo : Commission européenne

ANALYSE. La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a présenté la feuille de route « Ajustement à l’objectif 55 » le 14 juillet 2021. Comme pour les autres initiatives du Pacte Vert, elle vise à mettre en place les objectifs fixés par le collège en matière de neutralité climatique. Pour y parvenir, l’exécutif européen doit composer avec les résistances et les réserves, touchant même le collège des commissaires.

Tout comme la précédente stratégie climatique d’envergure, l’Union de l’énergie, qui avait été marquée par le conséquent paquet « Une énergie propre pour tous les Européens », le Pacte Vert pour l’Europe est entré le 14 juillet dernier dans une nouvelle dimension, plus concrète.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le vice-président en charge du Pacte Vert, Frans Timmermans, ont présenté un ensemble de mesures censées en concrétiser les objectifs. La réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55% en 2030 par rapport aux niveaux atteints en 1990, et que la neutralité climatique contenue sont les principales cibles.

Intitulé « Ajustement à l’objectif 55 » (Fit for 55 en anglais), ce paquet législatif est le plus ambitieux de l’histoire de l’UE selon certains observateurs. Il devra « impulser les changements nécessaires, permettre aux citoyens de profiter le plus rapidement possible des bénéfices de l’action climatique, ainsi que soutenir les foyers les plus vulnérables », explique Frans Timmermans, tout en ajoutant que « la transition européenne sera juste, verte et compétitive ». Même son de cloche du côté d’Ursula von der Leyen, « l’économie basée sur les énergies fossiles a atteint ses limites. Nous voulons laisser aux prochaines générations une planète en bonne santé ».

Au total, une douzaine de mesures sont présentées dans cet « Ajustement à l’objectif 55 » qui doit permettre à l’Union européenne de poser les jalons concrets de sa politique climatique pour les trente prochaines années. Si une bataille institutionnelle est à attendre, la Commission espère que l’intégralité du paquet sera adoptée d’ici 2023.

Révolution dans les transports

La mesure qui a retenu le plus l’attention des médias, car la plus inattendue, est la fin des voitures neuves à essence à partir de 2035. Le règlement établissant des normes de performance en matière d’émissions de CO2 pour les voitures particulières neuves et pour les véhicules utilitaires légers neufs, entré en vigueur le 1er janvier 2020, sera révisé pour faire passer l’objectif de réduction d’émission des voitures neuves d’ici 2030 de 37,5% à 55%. Cinq ans plus tard, cet objectif serait donc de 100%, selon les vœux de la Commission. Les moteurs thermiques et même hybrides ne seraient plus autorisés. Devant les résistances du secteur automobile, notamment allemand, et de la résistance de certains Etats, il est plus que probable que cet objectif de 2035 soit repoussé jusqu’à 2040, voire peut-être au-delà.

Le transport routier n’est pas le seul concerné par le vent de réformes européen : les transports aérien et maritime doivent aussi se mettre au (plus) vert. Les initiatives ReFuel EU Aviation et Fuel EU Maritime en détaillent les conditions.

Dans les cartons de la Commission depuis bientôt une année, ReFuel EU Aviation oblige les compagnies aériennes à faire voler une partie de leurs aéronefs avec du kérosène plus durable. Concrètement, un pourcentage de 5% de biocarburants (appelé « mandat de mélange » dans le plus pur jargon européen) serait introduit dans le carburant d’ici 2030. Parallèlement, les taux minimaux de taxation sur les carburants les plus polluants seraient rehaussés pour les lignes commerciales intra-européennes. De nombreuses ONG et certaines compagnies aériennes, notamment low cost craignent cependant que ces dispositions ne concernent que les vols moyen-courriers.

Du même acabit, mais moins contraignante, l’initiative Fuel EU Maritime n’imposerait qu’une obligation aux transporteurs de déclarer le type de navires et de carburants utilisés. Avec comme objectif de réduire la part d’énergie fossile dans le secteur de 99% (contre 30% actuellement) à l’horizon 2035. Certaines ONG regrettent toutefois la mise en place de cette initiative, considérant que la Commission favorise encore beaucoup trop les carburants fossiles.

Malgré les nombreuses réticences que ces mesures suscitent, il semble nécessaire d’avancer sur la décarbonation des transports, ceux-ci représentant environ 30% des émissions européennes de gaz à effet de serre (GES), un pourcentage en hausse depuis 1990, contrairement à d’autres secteurs, comme la production énergétique, l’industrie, l’agriculture ou encore le secteur résidentiel. En allant dans le détail, le transport routier représente 72% des émissions de GES (les véhicules privés comptant pour plus de 60% de ce dernier pourcentage), contre environ 13,5% chacun pour les transports aérien et maritime.

Marché + taxes, le combo européen contre le carbone pas cher

Le coût financier des émissions de GES est également dans le viseur de la Commission von der Leyen. Dans une économie encore largement dirigée par la rentabilité, il semble en effet nécessaire d’accroître la pression financière sur les gros pollueurs européens et mondiaux.

La révision du Système européen d’échange de quotas d’émissions (SEQE-UE) est le cœur de cette stratégie. Ce marché du carbone européen, le premier de cette envergure dans le monde, est aussi l’un des premiers instruments que l’UE a mis en place au milieu des années 2000 en faveur de la protection du climat. Un instrument du reste plébiscité par les économistes néoclassiques pour sa logique de marché. Actuellement, environ 10000 installations affiliées aux industries hautement polluantes, comme l’électricité, l’industrie manufacturière, le secteur aérien, sont concernées par un prix pour chaque tonne de carbone émise. 40% des émissions de GES totales de l’UE sont ainsi couvertes par ce marché. Celui-ci reste très critiqué pour son faible pouvoir contraignant.

Dans le cadre de sa stratégie « Ajustement à l’objectif 55 », la Commission propose quatre mesures pour en améliorer le dispositif : ajuster le plafond au nouvel objectif européen de baisse d’émission d’ici 2030, supprimer progressivement les exemptions accordées actuellement au transport aérien (en synergie avec l’initiative ReFuel EU Aviation), inclure le transport maritime dans le système (parallèlement à la mise en place de l’initiative Fuel EU Maritime), créer d’ici cinq ans un mécanisme séparé pour le transport routier et le chauffage des bâtiments.

Ces mesures devraient augmenter significativement le prix de la tonne de dioxyde de carbone et dissuader (enfin) les industries polluantes de rejeter beaucoup trop de GES. Une révision du Règlement du « partage de l’effort », concernant les secteurs non couverts par le SEQE-UE, est également sur la table.

L’autre mesure-phare concerne la mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, aussi connue sous le nom de « taxe carbone ». Complément indispensable du SEQE-UE, il vise à éviter de grever la compétitivité de l’économie européenne face aux autres acteurs mondiaux. Son principe est le suivant : les exportateurs désireux d’entrer dans le marché unique doivent payer un certificat avec un prix similaire à ce qui aurait été nécessaire si le produit concerné avait été conçu à l’intérieur du marché unique. Si le producteur montre aux autorités européennes qu’il s’est déjà acquitté de ce prix dans un pays tiers, il est toutefois exempté de payer une nouvelle taxe. Ce mécanisme ne devrait dans un premier temps que concerner les industries très polluantes, à l’instar du SEQE-UE : métallurgie, production d’énergie…

Le mécanisme devrait être déployé entre 2023 et 2030 et pourrait rapporter au budget européen environ 10 milliards d’euros, utilisés pour rembourser le plan Next Generation EU, d’une valeur de 750 milliards d’euros à dépenser sur trois ans pour relancer l’économie européenne après le choc de la crise du coronavirus.

Cette combinaison logique de marché / taxation autour de la problématique du carbone semble être l’épilogue d’une longue histoire de confrontation entre ces deux types d’instruments. Dans les années 1990 en effet, l’Union européenne préconisait l’usage de la taxation au niveau mondial pour lutter contre le changement climatique, à l’inverse des Etats-Unis qui souhaitaient des mécanismes de marché. La taxe carbone est toutefois encore une mesure très controversée, car même si la Commission affirme qu’elle est réalisé conformément aux règles de l’OMC, des pays comme les Etats-Unis, la Chine ou le Brésil ne manqueront pas de contester et de préparer des représailles commerciales.

40% d’énergie renouvelable d’ici 2030

Pierre angulaire de la stratégie climat-énergie de l’UE depuis la fin des années 2000, la directive sur les énergies renouvelables sera elle aussi révisée. Une première réforme en 2018 incluait déjà les objectifs du paquet climat-énergie de 2030. La nouvelle cible du Pacte Vert à horizon 2030 implique d’augmenter la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique européen de 32% à 40%. Un vrai défi quand on sait que cette part était d’un peu plus de 20% en 2020, avec de larges disparités entre les Etats membres (la France est le pays le plus en retard sur ses objectifs). La nouvelle taxonomie sur les investissements énergétiques durables, votée fin 2019, ainsi que la stratégie de la Banque européenne d’investissement, permettraient sans doute d’atteindre cet objectif ambitieux.

Parallèlement, la Commission européenne a décidé de rehausser ses objectifs, s’agissant de l’efficacité énergétique, l’objectif numéro un de la politique climat-énergie de l’Union. Dans le sillage de la « vague de rénovation » annoncée fin 2019, le taux annuel de rénovation énergétique de bâtiments devra atteindre 3%. Enfin, la directive de 2003 sur la taxation de l’énergie doit faire l’objet d’une remise à plat, dans la mesure où celle-ci considère la taxation par rapport au volume d’énergie, plutôt que sur l’émission de GES que telle ou telle source induit. La Commission souhaite donc axer la réflexion autour du niveau de pollution des énergies, mais doit s’attendre à des négociations difficiles, les modifications de la politique fiscale devant recevoir l’aval de l’ensemble des Etats du Conseil de l’UE. Une vraie gageure, hier comme aujourd’hui.

Obstacles majeurs et inédits

C’est probablement la principale interrogation que les observateurs de la politique européenne doivent se poser ces jours-ci : quelles sont les chance de ce paquet « ajustement à l’objectif 55 » au milieu d’un torrent de critiques et de réticences ? Les Etats membres étant les principaux artisans de la mise en œuvre de ce paquet, les divisions intergouvernementales seront particulièrement scrutées. Or, les réticences sont pléthores, concernant surtout la fin des voitures à essence. La France, l’Allemagne et une partie des pays d’Europe centrale avaient déjà cherché à freiner les pourparlers lorsqu’il s’agissait de faire baisser les émissions des voitures de 37,5%. De la même manière, il ne serait pas étonnant si l’Allemagne, poussée par ses industriels, cherchait à édulcorer le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.

Fait inédit également, le média Euractiv a rapporté qu’environ un tiers des commissaires européens aurait exprimé des réserves et des inquiétudes sur le nouveau plan porté principalement par Frans Timmermans. Le commissaire autrichien au Budget Günther Oettinger s’est même inscrit en totale opposition. Les commissaires regretteraient un manque de concertation de la présidente von der Leyen. Ces divergences au sein du collège sont d’autant plus inédites que l’organe exécutif de la Commission est connu pour son unité dans ses prises de position.

Les organisations de la société civile ne sont pas non plus en reste. Outre les diverses critiques évoquées, de nombreuses organisations pointent du doigt le coût financier pour les ménages européens les plus pauvres et fustigent le manque de considération envers la justice sociale. Un certain nombre d’entre elles avait déjà publié une tribune dans Le Journal du Dimanche le 10 juillet, appelant l’Union européenne à prioriser les citoyens dans le Pacte Vert.

Consciente de ces enjeux sociaux, la Commission a pris les devants en annonçant un « nouveau fonds social climatique » (new Social Climate Fund), financé par le budget européen via une partie (25% pour être exact) des revenus attendus pour les échanges d’émissions du SEQE-UE. Sur la période 2025-2032, plus de 72 milliards d’euros devraient ainsi être mis à disposition aux États membres, un montant multiplié par deux avec les différents financements nationaux.

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