Petite histoire du café en Europe

Un café ? la torréfaction de l’Europe (1/5)

, par Louis Ritter

Petite histoire du café en Europe
Grains de café ©pxhere

On le boit le matin au réveil, le soir après un repas au restaurant, ou à 14 heures accompagné de quelques gâteaux ou d’une pâtisserie. On l’offre à un visiteur, on peut également l’acheter dans un distributeur automatique. Le café est omniprésent, quotidien dans les foyers et l’espace de vie des Européens. La graine avec laquelle on le fait est pourtant venue de loin et a mis du temps à se répandre. C’est en partie autour de ce breuvage que les idées des Lumières ont grandi sur le Vieux Continent.

Un graine de légende

Beaucoup d’aliments désormais incontournables du quotidien des Européens viennent de lointaines contrées. Les échalotes par exemple. Aujourd’hui très appréciées dans la gastronomie, leur origine se trouve dans le nom de ce petit tubercule : Ascalon, aujourd’hui en Israël. La canne à sucre, de laquelle on produit aujourd’hui la grande majorité du sucre consommé dans le monde, trouve ses origines en Asie du Sud-Est et sur les îles du Pacifique. Et que dire du chocolat, dont la matière première fut déjà cultivée sur les côtes du Golfe du Mexique durant le IIe millénaire av. J.-C.

On trouve les premières traces de café dans l’Éthiopie médiévale. La légende raconte qu’un berger d’Abyssinie aurait soudainement constaté que ses chèvres semblaient bien plus agitées que d’ordinaire après avoir consommé les fruits d’un petit arbuste. Il en aurait alors consommé à son tour et aurait ainsi été le premier à découvrir les effets énergisant du café. La légende est belle, mais peu crédible. La science s’est chargée de mettre sur pied une explication bien mieux fondée. Le café est en effet originaire d’Ethiopie, plus exactement du royaume de Kaffa. Cependant, d’après des fouilles archéologiques, le café aurait déjà été consommé par les ancêtres des peuples de la région durant la préhistoire. Les archéologues ont en effet mis au jour des traces de préparations à base de café.

Le café a mis beaucoup de temps pour se répandre. Les croisés occidentaux, qui ont occupé le Proche-Orient entre le XIe et la fin du XIIIe siècle, n’en avaient même pas connaissance. C’est vers la fin du XVe siècle que le café atteint le Yémen d’où il s’exporte vers l’Arabie et le delta du Nil depuis le port de…Moka. L’islam va accélérer sa diffusion grâce aux pèlerins qui viennent à La Mecque, si bien qu’on le boit bientôt dans tout l’Orient et en Afrique du Nord. Le premier café (Kiva Han) ouvre dans la Constantinople turque en 1475. Les conquêtes ottomanes du XVIe siècle constituent un catalyseur supplémentaire de son élargissement. Dans toutes les grandes cités du monde musulman du XVIe sècle, on boit du café.

En Europe, ce sont les marchands vénitiens qui ramènent pour la première fois la petite graine autour de l’année 1600. A cette époque, les Turcs avaient l’habitude d’ébouillanter les grains de café afin qu’ils ne puissent plus germer. Mais un marchand hollandais du nom de Pieter van der Broecke réussit à se procurer des grains intacts. Ce sont eux qui permirent l’implantation de caféiers en Europe, en Amérique et aux Antilles. Le café met pour la première fois le pied en France en 1644, à Marseille. Le roi de France Louis XIV eût l’occasion de le goûter lors de la visite de l’émissaire du Sultan ottoman à Paris en 1669. Le breuvage s’était déjà répandu en Angleterre, en Italie et dans plusieurs cours d’Europe. Plus rien ne pourra l’arrêter.

La boisson du peuple et des philosophes

Le succès fulgurant du café en Europe aurait pourtant pu être terni par plusieurs initiatives visant à prohiber sa consommation. En Orient, les autorités religieuses voulurent l’interdire au XVIe siècle, sous prétexte qu’il enfreignait les lois du Coran. Le livre sacré des musulmans mentionne en effet l’interdiction de consommer toute boisson enivrante. Mais le Sultan du Caire choisit de lever l’interdiction, arguant que la consommation de café ne viole en rien les lois d’Allah et que la boisson est bénéfique pour la santé. Elle est en effet conseillée dans de nombreux traités de médecine, comme le “Canon de la médecine”, du médecin et philosophe perse Avicenne (Ibn Sina de son nom, 980-1037), au XIe siècle. Un épisode similaire eut lieu en Syrie à la suite de l’ouverture de plusieurs débits de boisson.

En Europe, c’est le pape Clément VIII (1536/1592-1605) qui voulut mettre fin à sa consommation pour la première fois, à peine le breuvage arrivé sur le sol européen. Ses conseillers mirent également en avant l’argument religieux, considérant le café comme l’intrusion des “infidèles” -comprenez les musulmans - dans la chrétienté. Mais après l’avoir goûté, le Saint-Père considéra qu’il ne devait pas être leur propriété exclusive. Il baptisa même la boisson.

En Angleterre, la diffusion du café pose quelques problèmes dans la seconde moitié du XVIIe siècle. En 1676, le roi Charles II émet un édit d’interdiction qui soulève un tollé général, provoquant ainsi le retrait aussi sec de l’interdiction.

Les censures n’eurent aucun effet et la consommation se développa de plus belle. Contrairement à certaines autres denrées comme le chocolat, le café n’est pas seulement disponible pour la bonne société. Partout où il est implanté, bourgeois comme petites gens s’assoient à la table pour boire une ou plusieurs tasses de café. Certes, les premiers grains étaient chers, comme ceux venant d’Arabie. Mais certains scientifiques et naturalistes européens réussirent à transformer la fabrication du breuvage et à acclimater des caféiers aux colonies européennes. Son prix est ainsi divisé par dix au cours du XVIIIe siècle.

Si le café suscite tant de controverse, c’est qu’il ne fait pas seulement l’objet de spéculations financières. La boisson libère les esprits et fait parler. Dans les cafés d’Oxford ou de Londres, d’Amsterdam, de Vienne, de Venise et de Paris, des bulles de réflexion politique et philosophique naissent et grandissent. On y diffuse de nouvelles idées issues d’un nouveau courant né dans les dernières décennies du XVIIIe siècle, le libéralisme. C’est aussi dans les cafés que naissent certaines des grandes institutions financières encore actives de nos jours, comme la Bourse de Londres ou la célèbre compagnie d’assurance Lloyd’s of London.

L’Angleterre compte près de 2000 cafés en 1700, 2000 de plus ouvrent rien que dans le premier quart du XVIIIe siècle. Lettrés, philosophes et scientifiques partagent dans ces établissements leurs doutes et leurs critiques sur les régimes politiques. Dans ces conditions, il n’est pas anachronique de dire que le café a contribué à développer des courants philosophiques sur lesquels s’est basée la pensée libérale et, osons le dire, le développement de la démocratie moderne en Europe. Le café a parfois contribué aux révolutions, aux indépendances, à la chute de gouvernements par la suite. Rares sont les produits ayant autant influencé les habitudes de consommation et les esprits humains. De l’Orient à l’Occident, le café constitue aujourd’hui un bien courant, décliné en des centaines de variétés différentes. De Riyad à Rio en passant par Varsovie et Paris, se retrouver autour d’un café, c’est faire société.

Cet article est paru dans le cadre du Taurillon en Flam’s, l’édition papier de la section des Jeunes Européens - Strasbourg.

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