Populisme : L’Europe en danger ?

, par Le Taurillon dans l’Arène, Louis Bonneau

Populisme : L'Europe en danger ?
Geert Wilders, fondateur et leader du Parti de la Liberté, un parti nationaliste néerlandais, qui a tenté sans succès de s’associer au Front National pour constituer un groupe parlementaire au Parlement européen à la suite des dernières élections européennes en mai 2014. - Roel Wijnants

Les Tribunes de la presse, organisées par le Conseil régional d’Aquitaine en novembre dernier, ont vu défiler conférences, projections-débats, interventions de professionnels des médias autour du thème l’Europe : la pourfendre ou la défendre ? A cette occasion, un documentaire tourné en 2013 par Antoine Vitkine sur la déferlante populiste en Europe de ces dernières années à l’approche des élections européennes de mai 2014 a été diffusé. L’occasion de s’interroger sur le fonctionnement et les principes de certains partis populistes européens oscillant entre radicalisme et radicalité.

Les incohérences du Mouvement 5 Etoiles

Populisme, l’Europe en danger s’ouvre avec une virée vers l’Italie où le Movimento 5 Stelle a recueilli lors des élections générales fin février 2013 plus de 25,5% des voix à la Chambre des députés soit 163 parlementaires. Des vagues sonores de « Tutti a casa » se brisent devant l’estrade du meeting filmé d’où le chef du M5S harangue la foule. L’ancien humoriste Beppe Grillo y dénonce l’incurie et la sclérose prétendues de la classe politique italienne tout en promouvant l’intervention directe de tous les citoyens dans la vie politique.

Cette affirmation péremptoire de rendre le pouvoir au peuple tout en renvoyant les politiciens « à la maison » masque pourtant mal son absence de ligne politique claire et cohérente. Grillo veut renforcer les services publics tout en minorant l’impôt. Il veut redonner la parole aux exclus, aux déçus, au peuple, mais ses députés ou citoyens parlementaires ont été soigneusement sélectionnés via Internet et ont l’interdiction de parler à la presse - ce que confirme l’interview du bras droit de Beppe, responsable de la communication. Autre point détonnant du M5S, son refus « de compromis » avec les autres partis se traduit par des actions systématiques de blocage parlementaire ne participant guère au renouveau affiché du fonctionnement institutionnel et politique italien. Aujourd’hui, le Movimento demeure puissant mais stagne après l’échec de ses ambitions affichées aux élections européennes et l’incapacité à enrayer réellement les projets législatifs du gouvernement Renzi [1].

L’opportunisme acté du Front National

Si d’aucuns mettent similairement en cause l’honnêteté comme la compétence des politiciens français, ce sont pourtant moins les actuels responsables politiques que la présence « d’étrangers extracommunautaires » qui est blâmée par les populistes français. La ville lorraine de Forbach filmée par Vitkine subit de plein fouet les vagues successives de désindustrialisation sidérurgique et minière. Cette dernière voit ses difficultés socio-économiques cristallisée autour de la présence de l’immigré basané, sempiternel bouc-émissaire n’occultant pourtant pas le virage populiste d’une extrême-droite française opportuniste résolue à conjuguée radicalité et respectabilité. En prévision des élections européennes de mai 2014 et l’aubaine financière représentée par la potentielle constitution d’une coalition populiste au Parlement européen, le FN s’est ainsi fait curieusement discret sur la question du Mariage pour tous. Au risque de décevoir une partie de son électorat traditionnel soucieux du maintien de la famille nucléaire traditionnelle, ce dernier n’a pas appelé à manifester à plusieurs reprises, tendant ainsi la main au PPV (Parti pour la Liberté) de Geert Wilders au nom de « prétentions modernistes ». Un appel n’ayant finalement pas débouché sur un groupe parlementaire populiste au Parlement européen, faute de désaccords persistants notamment entre le PVV et le Congrès de la nouvelle droite polonais, parti d’extrême-droite jugé trop antisémite et misogyne.

Geert Wilders ou l’offre par défaut d’une identité collective néerlandaise moderne

Comment peut-on en effet être d’extrême droite et se revendiquer progressiste et moderne ? Comment peut-on alors conjuguer respectabilité et radicalité ? Peut-être faut-il se tourner vers les Pays-Bas pour tenter d’y apporter des réponses. Et ce d’autant plus que le succès de l’un des partis populistes les plus puissants et organisés en Europe semble difficilement imputable à un pays réputé tolérant et qui connait peu les convulsions de la récession.

Le Parti de la Liberté de Wilders propose au corps électoral de s’identifier à un mode de vie collectif néerlandais par défaut à des populations se sentant dépassées par les évolutions sociétales modernes. Militant activement pour les libertés individuelles (laïcité, avortement, droits des minorités sexuelles), Wilders y oppose le spectre de l’islamisation rampante de la société. Montant en épingle certaines dérives communautaristes d’un quartier populaire et d’immigrés de La Haye, rebaptisé à l’occasion « triangle de la charia », Wilders se joue habilement des médias et du corps électoral. Il revendique ainsi publiquement l’interdiction du Coran, sorte de fange idéologique tentaculaire et totalitaire à ses yeux, tout en se gardant bien de s’attaquer aux musulmans pratiquants.

Le Fidesz de Viktor Orban, un nationalisme réactionnaire hongrois

Cette quête identitaire étirée entre radicalité et respectabilité déroule un fil rouge sous-tendant souvent l’existence partis populistes. A noter qu’aucun d’entre eux n’a jamais gouverné – aucun, sauf le parti Jobbik en Hongrie. Antisémite, antinationaliste, anti-rom, ce dernier constitue l’une des extrême droites les plus influentes en Europe. Et cette équilibre radical-respectable n’est nullement de mise lorsque son bras armé, la garde hongroise, organise en toute impunité des pogroms anti-roms.

Anecdote symptomatique : l’un de ses députés a proposé en pleine session parlementaire de dresser une liste de juifs hongrois « à toutes fins utiles ». Le Jobbik est devenu le 3e parti plébiscité en 2010 avec 17% des voix. Il semble aujourd’hui en recul face au Fidesz, parti conservateur de l’actuel Premier ministre Vikto Orban. Pourtant, ce dernier braconne ouvertement sur les terres de l’extrême-droite. Sans-abris considérés par la justice comme des criminels, références à Dieu dans la Constitution, anti-européanisme marqué et autoritarisme, Orban multiplie les concessions aux partisans du Jobbik. L’occasion paradoxale de rappeler la distinction historique en Hongrie entre la droite réactionnaire et les fascistes pro-nazis ayant pris le pouvoir à la fin de la Seconde Guerre mondiale. « Il faudrait donc distinguer une filiation réactionnaire cléricale, autoritaire et puis une autre proprement fasciste. La filiation fasciste, c’est le parti Jobbik et la filiation réactionnaire, c’est Victor Orban avec le Fidesz » [2].

Quoiqu’il en soit, ce dernier a été reconduit confortablement au pouvoir en avril, vainqueur des élections européennes en mai comme des municipales en octobre 2014. Alternativement vu comme un leader nationaliste ou dictateur en puissance, Orban a désormais les coudées électorales franches jusqu’en 2018.

Bien que la houle populiste fluctue constamment au gré des échéances électorales, ce coup de projecteur sur les différents mouvements européens est pour le moins détonnant. Voire dérangeant si l’on considère l’infographie accolée au documentaire, disponible sur le site d’Arte. Cette dernière établit en temps réel un « baromètre de la menace populiste en Europe » reflétant les dangers de la fameuse tyrannie de la majorité qu’aurait peut-être apprécié Tocqueville.

Notes

[1« Tant que le gouvernement ne recueillera pas les fruits de sa politique, ce noyau dur de sympathisants restera tel quel. Renzi est parvenu à contenir la progression du mouvement, mais il ne l’a pas érodé en profondeur » Roberto d’Alimonte, professeur de Sciences politiques à l’université de la Luiss, à Rome in « Le M5S fait son Woodstock romain », Ridet, Le Monde, 10/10/14

[2Entretien avec J-Y Camus, TV7 Monde, 19/04/2011

Vos commentaires
  • Le 9 janvier 2015 à 12:22, par Alexandre Marin En réponse à : Populisme : L’Europe en danger ?

    « références à Dieu dans la Constitution »

    Je ne vois pas bien le rapport entre les références à Dieu dans la Constitution et l’extrême-droite populiste. La Grèce et le Royaume-Uni sont des Etats religieux. En Grèce, Dieu est mentionné dans la constitution, au Royaume-Uni, il est présent dans la devise. Pour autant, ni la Grèce, ni le Royaume-Uni ne sont des Etats où l’extrême droite réactionnaire est au pouvoir.

  • Le 17 janvier 2015 à 15:43, par solange Marin En réponse à : Populisme : L’Europe en danger ?

    La remarque d’Alexandre Marin ma semble pertinente. Et,pour ma part,je ne vois pas clairement ce que vient faire Toqueville dans la galère du populisme ou de l’extrême-droite . Ne le mettons pas à toutes les sauces .

  • Le 19 janvier 2015 à 17:49, par Louis Bonneau En réponse à : Populisme : L’Europe en danger ?

    Merci de vos remarques. Effectivement, j’aurais du expliciter les « références à Dieu dans la Constitution »hongroise.

    Orban semble aujourd’hui instrumentaliser le christianisme à des fins politiques, rejoignant à certains égards le Jobbik, lequel se décrit officiellement comme un « parti conservateur, patriotique et profondément chrétien ».

    Il a par exemple prié dans son bureau sous l’oeil des caméras peu après sa prise de fonction de PM en mai 2010. C’était un geste de rupture avec le principe de séparation de l’Eglise et de l’Etat alors inscrit dans la Constitution hongroise. La nouvelle adoptée en 2011 se réfère néanmoins à Dieu (préambule) ce qui peut sembler paradoxal puisque les dernières statistiques de référencement en Hongrie soulignent une tendance nette à la déchristianisation ces dernières années.

    Lire à cet effet l’article « Viktor Orban, apôtre de la Hongrie », Le Monde, 03/04/2014

    Quant à Tocqueville, il s’agit d’une boutade en référence à l’infographie d’Arte.

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