Les deux fondements paradoxaux de l’Etat-Nation
L’Etat-Nation, tel qu’il existe depuis la Révolution française, repose sur deux fondements contradictoires : d’une part le caractère universel de la dignité et de la liberté inhérentes à chaque être humain ; d’autre part, la distinction entre les ressortissants nationaux et les étrangers, les seconds étant privés d’une partie des droits des premiers.
Ces deux fondements ont profondément imprégné notre imaginaire politique. L’exemple le plus emblématique est celui de la frontière qui protège (du réchauffement climatique, des catastrophes naturelles, des pandémies, du terrorisme, des migrations). D’où une méfiance de nos concitoyens, tant à l’égard de nos interventions civiles et militaires extérieures, que vis-à-vis des personnes et des biens qui pénètrent sur notre territoire.
Les classes politiques occidentales, loin d’essayer de résoudre la contradiction fondatrice de nos régimes politiques, maintiennent le statu quo depuis des décennies. Seule l’extrême-droite conteste, plus ou moins ouvertement, l’aspiration de nos pays à promouvoir et à défendre la démocratie et l’Etat de droit partout dans le Monde. Elle souhaite ne garder que la distinction national/étranger comme élément constitutif de nos Etats-Nations.
Face à cette extrême-droite, nous, fédéralistes de tradition spinellienne, devons être la force politique qui conteste la distinction national/étranger. Nous devons promouvoir la démocratie et les droits humains comme fondements uniques des régimes politiques fédéraux, continentaux et mondial, que nous appelons de nos vœux. Dans cette optique, la frontière ne sera pas autre chose que la délimitation d’un espace de décision démocratique, local, national, ou continental.
Chaque citoyen du Monde doit être chez lui dans le Monde
L’ouverture des frontières internes de l’Union européenne a constitué une victoire majeure des partisans de la construction européenne. Les libertés de circulation des personnes et la création d’une citoyenneté européenne sont l’acquis le plus important de l’Union, pensée comme un espace politique et démocratique en devenir. Outre l’obtention de nouveaux droits opposables aux prérogatives des Etats, la libre circulation des personnes a permis la prévention ou la résolution de nombreux conflits, ainsi qu’un accroissement de notre prospérité économique sans précédent dans l’Histoire de notre continent.
L’apparition du principe de la libre circulation des personnes dans le droit de l’Union doit beaucoup aux mobilisations des militants fédéralistes, qui, depuis 1946, (date de la fondation de l’Union des Européens Fédéralistes) ont bataillé sans relâche pour conquérir cette liberté.
Notre revendication, comme fédéralistes européens est : chaque Européen est chez lui en Europe. Notre revendication, comme fédéralistes mondiaux doit être : chaque citoyen du Monde est chez lui dans le Monde.
Même si l’anarchie internationale rend illusoire, à l’heure actuelle, la liberté de circulation des êtres humains à l’échelle de la planète entière, au niveau européen, nous pouvons étendre la liberté de circulation à tous les citoyens, européens ou non.
Les organisations de soutien aux personnes migrantes demandent aux Etats d’accueillir les exilés. Elles sollicitent donc une action positive bienveillante de l’autorité publique. Nous, fédéralistes, en réclamant la liberté de circulation des citoyens du Monde, nous opposons à l’arbitraire étatique un droit fondamental, que les traités européens consacrent, pour l’instant au seul bénéfice des citoyens européens. L’idée que les citoyens du Monde sont chez eux dans le Monde représente un progrès par rapport au discours traditionnel appelant à l’accueil des exilés. A-t-on besoin d’accueillir quelqu’un chez lui ? Peut-on même imaginer l’empêcher d’entrer et de résider chez lui ?
Toute politique de restriction migratoire doit être vue comme contraire aux principes de l’Etat de droit
Pourtant, force est de constater qu’une majorité relative de citoyens européens soutiennent les politiques migratoires de plus en plus restrictives de leurs gouvernements respectifs. En témoigne le succès des discours xénophobes de la droite conservatrice et de l’extrême-droite. Donc, une telle politique de refoulement aux frontières est légitime tant qu’elle ne transgresse pas les droits fondamentaux des personnes migrantes. Or, les extra-européens ne bénéficient pas du droit à la libre circulation. C’est pourquoi, la ligne politique suivie à l’échelle européenne consiste à « équilibrer les impératifs de protection des frontières et de garantie de la sécurité des personnes migrantes », pour reprendre les termes employés par Ursula Von der Leyen dans son discours sur l’État de l’Union, prononcé en Septembre dernier.
Cependant, cet équilibre n’a pas été trouvé, et les arbitrages politiques se font toujours plus au détriment des droits des personnes migrantes qui sont quotidiennement bafouées. De nombreuses organisations publiques et privées de défense des droits humains documentent ces abus, et tentent de venir en aide à des malheureux arrivant tout droit de l’enfer et soumis à l’arbitraire de nos autorités.
Le comble de l’absurdité est atteint quand les droits international, européen, et nationaux proclament le droit d’asile, mais que nos Etats refusent de créer des voies légales de migration permettant la mise en pratique concrète de ce droit, condamnant les demandeurs d’asile à entrer dans l’illégalité pour le faire valoir.
Les politiques publiques visant à réduire le nombre d’entrées sur le territoire de l’Union créent de nouvelles normes qui rallongent les procédures d’admission des demandes de titres de séjour. Pour éviter que les autorités ne soient débordées, de nouvelles normes sont créées pour rendre plus difficiles les demandes d’admission. A moyen et long terme, ces nouvelles normes rallongent encore davantage les procédures. C’est dans ce contexte que toute augmentation significative des entrées en Europe est perçue par l’administration comme une « submersion migratoire », notion reprise par certains médias conservateurs et par l’extrême-droite. Mais les conséquences de ces politiques ne se bornent pas aux seules personnes migrantes, mêmes si elles sont le plus impactées ; elles s’accompagnent de mesures de plus en plus autoritaires qui restreignent les droits des citoyens européens, et qui fragilisent la construction européenne. Les politiques migratoires, qui donnent à l’Etat la possibilité de décider qui a le droit de résider ou non sur son territoire, sont, en pratique, incompatibles avec les droits fondamentaux garantis par nos systèmes constitutionnels. Même si elles sont soutenues par une majorité de nos concitoyens, elles doivent être abolies et laisser place au principe de libre circulation des citoyens du Monde dans l’Union.
En conséquence, plaider pour la libre circulation des citoyens du Monde dans l’Union européenne, ça n’est pas seulement défendre les droits des personnes migrantes, c’est aussi défendre nos droits de citoyens européens et consolider l’Etat de droit en l’étendant à tous.
Conclusion
Les migrations ont été un sujet central de la campagne électorale européenne de juin 2024, dans un contexte politique où l’extrême-droite impose ses thèmes et ses éléments de langage dans le débat public, dans le but de gagner la bataille culturelle. Face au fascisme et au nationalisme, nous devons proclamer nos idéaux fédéralistes avec force. Plaider pour la libre circulation des citoyens du Monde en Europe est une occasion unique de porter une position ambitieuse et originale, de renforcer la cohérence de notre doctrine politique, ainsi que la contribution des fédéralistes aux droits humains.
Des centaines d’ouvrages ont été publiés sur la Révolution française, qui nous a légués le régime politique sous lequel nous vivons. Néanmoins, on peut la résumer en une phrase : « nous avons déclaré les droits de l’Homme et du Citoyen, puis nous avons érigé une guillotine ». Depuis deux siècles et demi, notre histoire politique alterne entre les droits de l’Homme et la guillotine. L’extrême-droite incarne la guillotine qui fait triompher l’arbitraire, les fédéralistes incarnent les droits qui le mettent en échec, et le reste des classes politiques occidentales oscille entre les deux.
Nous sommes en première ligne dans le combat pour la démocratie, la liberté, et l’émancipation. Soyons-en fiers !
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