La fonction présidentielle est assez cérémonielle mais une politisation accrue de la fonction s’est manifestée au tournant des années 2010. Depuis 2013, le scrutin est organisé au suffrage universel direct ; le président était jusque-là élu par le Parlement tchèque. Ce n’est donc que la troisième fois que les électeurs tchèques élisent leur président. Les deux premières fois, ils avaient porté au pouvoir le social-démocrate Miloš Zeman, à la fois vétéran et figure clivante de la politique tchèque. Une fois à la présidence, Zeman avait été critiqué pour des prises de position populistes et conservatrices si bien que le deuxième tour des élections présidentielles de 2017 s’apparentait à un duel entre un président Zeman populiste-conservateur et un opposant libéral. Après deux mandats de cinq ans et de nombreuses interrogations sur son état de santé, Zeman ne peut plus se représenter. Sous sa longue présidence, le pays a vécu des transformations politiques profondes qui changent la façon dont s’organise la vie politique. À cause de nombreux scandales politiques durant les années 2010, les partis politiques font l’objet d’une forte méfiance de la part de la société tchèque. Rares sont les candidats qui osent se présenter sous l’étiquette d’un parti, la plupart préférant se faire parrainer et bénéficier d’un soutien moins visible. Par exemple, la coalition de centre-droit SPOLU, au pouvoir dans la coalition gouvernementale, parraine trois candidatures à la fois. Le champ paraît désormais ouvert et l’incertitude règne. Dans les sondages, trois candidats se distinguent - et de très loin : Babiš, Pavel et Nerudova.
Trois candidats, deux places au second tour
Après l’échec de son parti à détenir une majorité après les élections législatives de 2021, l’ancien Premier ministre Andrej Babiš laissait planer le doutes sur ses ambitions présidentielles - avant d’officialiser sa candidature en octobre 2022. Babiš est né en Slovaquie et a fait sa carrière comme businessman, jusqu’à devenir l’une des personnes les plus riches de République tchèque. Lorsqu’il se lance en politique aux élections législatives tchèques de 2013, son parti ANO 2011 bouleverse la scène politique en remettant en cause la traditionnelle rivalité droite-gauche et en se prétendant au-dessus de la mêlée. Tenant un discours populiste s’adressant aux perdants de la mondialisation, il devient Premier ministre en 2017. Une fois au pouvoir, il lui est souvent reproché de faire preuve d’opportunisme politique et il reçoit des critiques envers son manque d’action contre le dérèglement climatique ; lui-même a parlé de « fanatiques verts à Bruxelles » pour parler des directives européennes enjoignant les États-membres à agir. Il est également impliqué dans de nombreuses affaires de détournement de fonds publics et de conflits d’intérêt. En tenant des propos anti-élites et surtout très critiques envers l’Union européenne, son image est extrêmement négative dans les grandes villes tandis qu’il bénéficie d’un soutien assez fort dans les zones rurales.
Face à Babiš, le camp libéral est représenté par deux candidats. Petr Pavel est un général de l’armée tchèque à la retraite qui a tenu des postes militaires à haute responsabilité, notamment en tant que président du comité militaire de l’OTAN. Ces dernières années, ses prises de position publiques contre le président Milos Zeman avaient amené des spéculations sur sa candidature, qu’il officialise en juin 2022. Après la présidence Zeman et face à la possibilité d’une présidence Babiš, Pavel explique qu’il veut remporter l’élection afin de « restaurer l’ordre et la paix » et pour que les Tchèques « ne se sentent plus embarrassés par leur Président ». Centriste revendiqué, il est l’un des trois candidats parrainés par la coalition de centre-droit SPOLU.
Peu présente sur le devant de la scène politique jusqu’à il y a peu, l’économiste Danuse Nerudova a été la rectrice de l’Université Mendel de Brno de 2018 à 2022. Économiquement libérale, elle l’est également au niveau sociétal. Bien qu’également parrainée par la coalition SPOLU, elle se distingue de Petr Pavel comme étant davantage progressiste sur les sujets de société. Alors qu’il semblait acquis que l’élection présidentielle de 2023 serait entre Babiš et Pavel, l’économiste a bénéficié d’un bond dans les sondages qui la mettent à égalité avec les deux autres candidats. Alors que Pavel se profile en « anti-Babiš », Nerudova se dépeint comme une candidate moderne. La République tchèque élira-t-elle sa première présidente ? Contrairement à la candidate, Pavel et Babiš font l’objet de critiques par rapport à leur allégeance au pouvoir durant la période dite communiste - tous deux sont accusés d’avoir été de mèche avec l’appareil d’État d’alors. Ainsi, l’incertitude règne quant à la composition du second tour. À moins d’une surprise inattendue, Pavel et Nerudova sont donnés gagnants au second tour contre Babiš, mais les sondages sont beaucoup plus flous si ces deux derniers devaient s’affronter. Dans ce cas, ce serait une humiliation pour Babiš qui, après avoir dominé la politique tchèque durant presque une décennie, ne serait pas parvenu à se hisser au second tour.
Les autres candidats restent très loin du trio de tête, flottant pour la plupart entre 4% à 6% d’intentions de vote, mais leurs consignes de vote pour le second tour pourraient faire pencher la balance. Pavel Fischer, ambassadeur tchèque en France de 2003 à 2010 et désormais élu local à Prague, représente le courant “classique” de la droite tchèque. Partisan d’une intégration forte de la République tchèque au sein de l’Union européenne et très critique envers la Russie, il n’en est pas moins conservateur sur les sujets de société ; il est d’ailleurs le troisième candidat parrainé par la coalition de centre-droit. De l’autre côté de l’échiquier politique, le syndicaliste Josef Středula appelle à un renforcement de l’État et un financement plus élevé des services publics ; sa candidature est parrainée par le Parti social-démocrate (ČSSD). Personnage très actif de la politique tchèque, Marek Hilšer en est à sa deuxième candidature. Très favorable à l’Union européenne, il s’est également illustré par des prises de position contre les gouvernements de droite ainsi que pour les droits des Ouïghours en Chine. Quant au parti d’extrême droite SPD, il a nommé Jaroslav Bašta, un ancien ministre de Zeman et ambassadeur tchèque en Russie de 2000 à 2010 qui tourne autour des 3% dans les derniers sondages.
Au Château !
La question du mariage homosexuel illustre l’impatience de clore le chapitre de la présidence Zeman. Le gouvernement tchèque actuel, se basant sur un projet de loi datant de 2018, projette la légalisation du mariage entre personnes du même sexe, une réforme soutenue par deux-tiers des Tchèques. Cependant, cet amendement du code civil fait l’objet d’une menace de veto par le président Zeman. Le gouvernement actuel, de centre-droit, attend donc l’élection d’un nouveau président puisque les trois principaux candidats (Pavel, Nerudova et Babiš) sont tous favorables à la mesure. Le président de la République tchèque réside et travaille au Château de Prague, c’est pourquoi le slogan populaire pour soutenir un candidat est « [Nom du candidat] na Hrad ! » (… au Château !). Alors, face à une fonction présidentielle à redéfinir et une méfiance accrue du grand public envers le monde politique, qui sera envoyé au Château ?
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