Quand l’Europe voulait se doter d’une politique de santé commune…

, par Théo Boucart

Quand l'Europe voulait se doter d'une politique de santé commune…
Source : Pixnio

La crise aiguë et désormais continentale du Covid-19 montre les carences profondes de l’UE en termes de santé publique. Pourtant, le gouvernement français avait présenté, dans les années 1950, le projet d’une Communauté européenne de la santé. Une proposition rapidement abandonnée.

Comment lutter contre la pandémie du coronavirus SARS-CoV-2 qui se joue éperdument des frontières nationales ? Alors que l’Union européenne peine pour s’imposer dans la gestion de cette crise sanitaire sans précédent, certains appellent de leurs vœux l’établissement d’une politique supranationale en termes de santé publique.

Ainsi, l’Union de Fédéralistes Européens (UEF-France) a publié un communiqué fustigeant les « limites de l’Europe intergouvernementale » pour faire face à cette situation des plus délicates. Le député européen Domènec Ruiz Devesa, membre du comité fédéral de cette même association, mais au niveau européen (Union of European Federalists), va même plus loin en proposant une « union de la santé », laquelle « englobe[rait] et dépasse[rait] les mécanismes existants, et permet[trait] de coordonner la réponse au niveau européen, en orientant ainsi les ressources nécessaires, qu’elles soient matérielles (masques, respirateurs, médicaments, etc.) ou financières, là où elles sont le plus nécessaires, dans un esprit de solidarité ».

Ces revendications ne sont pas nouvelles. A vrai dire, l’idée d’une « Europe de la santé » est encore plus vieille que les Traités de Rome de 1957.

Une « Communauté européenne de la santé » soutenue par Robert Schuman

Le début des années 1950 a été marqué par les idées fonctionnalistes des Français Jean Monnet et Robert Schuman. L’unité européenne devait se faire en créant des politiques publiques supranationales, prérequis indispensables à la création d’une « solidarité de fait » et à terme, d’une union politique en Europe. La santé a été un des premiers domaines identifiés et dont la mutualisation des politiques publiques a été jugée nécessaire.

Ainsi, le gouvernement français dirigé par Antoine Pinay a proposé en septembre 1952 une « communauté européenne de la santé » (CES), dénommée officiellement « pool blanc », par analogie aux « pool noir » du charbon et de l’acier et « pool vert » désignant les travaux sur une politique agricole commune.

Cette communauté aux objectifs très ambitieux, devaient s’inspirer de la structure de la communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) et s’articuler autour de quatre points : l’harmonisation des politiques de santé publique, l’unification des législations en termes d’assurance maladie, des programmes de financements trans-européens et la construction de centres de soin et de laboratoires pour favoriser la recherche commune.

Le ministre français de la santé de l’époque, Paul Ribeyre, voyait la santé comme un domaine vital pour les populations, fortement éprouvées par la seconde guerre mondiale. Il a ainsi présenté son projet en décembre de la même année à l’Organisation européenne de coopération économique (OECE, connue à partir de 1961 sous l’acronyme OCDE), avec le soutien du président de la République Vincent Auriol, et surtout, du ministre des Affaires étrangères Robert Schuman, auteur de la célèbre déclaration du même nom du 9 mai 1950.

Ribeyre, non sans un certain enthousiasme, a qualifié son projet de « Communauté européenne de défense contre la souffrance et la maladie », faisant allusion à la Communauté européenne de défense (CED) en discussion à ce moment-là.

Projet supranational bloqué

Pourtant, à l’instar de la CED, la CES a rapidement été abandonnée. Deux explications sont évoquées par les spécialistes pour expliquer les raisons de cet échec. Premièrement, le refus de la supranationalité. Au sein de l’OECE, la Suisse et le Royaume-Uni étaient particulièrement farouches face à la perte d’une quelconque partie de leur souveraineté.

Deuxièmement, la situation politique de la France a rapidement changé à la fin de l’année 1952. Le gouvernement pro-européen d’Antoine Pinay a été renversé et remplacé par celui de René Mayer, soutenu par les gaullistes de l’Assemblée, très réticents à l’idée d’une Europe supranationale. Robert Schuman a dû quitter le Quai d’Orsay et Paul Ribeyre est devenu ministre du commerce. Sans son « père et son parrain », la CES est tombée dans l’oubli, symbole de l’échec de l’intégration fonctionnaliste chère à Schuman.

La santé, compétence d’appui de l’UE

Pendant des décennies, la santé publique est restée dans le giron exclusif des gouvernements nationaux. Pourtant, avec l’apparition de nouveaux défis de santé publique dans les années 1980, concernant notamment la pollution, une action européenne a progressivement émergé. Le dernier traité européen en date, celui de Lisbonne, dispose dans son article 168 qu’« un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union. L’action de l’Union, qui complète les politiques nationales, porte sur l’amélioration de la santé publique et la prévention des maladies et des affections humaines et des causes de danger pour la santé physique et mentale. Cette action comprend également la lutte contre les grands fléaux, en favorisant la recherche sur leurs causes, leur transmission et leur prévention ainsi que l’information et l’éducation en matière de santé, ainsi que la surveillance de menaces transfrontalières graves sur la santé, l’alerte en cas de telles menaces et la lutte contre celles-ci ».

Il s’agit par conséquent d’un domaine d’appui, l’Union complétant des actions largement nationales. Si la procédure législative ordinaire est utilisée, le Parlement et le Conseil ne peuvent voter que des « mesures d’encouragement ». Ce dernier peut également publier des recommandations, sur proposition de la Commission.

A l’heure actuelle, la politique européenne de la santé est menée par la Direction Générale de la santé et de la sécurité alimentaire (DG SANTE) et appliquée par l’Agence exécutive pour les consommateurs, la santé, l’agriculture et l’alimentation (CHAFEA). Cette action se décline en différents axes : l’élaboration de programmes pluriannuels de santé. Celui de 2014-2020 bénéficie de 450 millions d’euros et doit notamment « protéger les citoyens des menaces transfrontalières graves » ; répondre aux crises sanitaires (comme celle que nous vivons actuellement). Le Conseil de l’UE peut ainsi réunir les ministres européens de la santé pour discuter d’actions communes (comme ça a été le cas le 6 mars) ; assouplir certaines contraintes budgétaires en cas d’épidémies graves (le pacte européen de stabilité a été exceptionnellement suspendu).

Pourtant, malgré une prise de conscience progressive de l’UE et la mise en place effective de mesures de solidarité dans toute l’Europe (comme entre la France et l’Allemagne), les pays européens se claquemurent en fermant leurs frontières. La réponse à apporter peut-elle être essentiellement nationale ? Au vu de la progression fulgurante du Covid-19, force est de constater que le repli sur soi ne rime à rien. Les systèmes de santé de nombreux pays, comme la France et l’Italie, sont à bout de souffle.

Une « Europe de la santé », telle que proposée en 1952 aurait-elle pu faire face à la pandémie ? S’il est bien inutile de refaire l’histoire, il est fort à parier qu’une politique de santé supranationale aurait pu lutter plus efficacement, en ayant développé plus en amont la recherche sur ces virus peu communs.

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