A cette occasion, nous avons eu la chance de pouvoir dialoguer avec cet invité. Dialogue dont nous retranscrivons ici un très bref compte-rendu.
Le 4 octobre dernier, après bien des attermoiements, l’Union européenne a finalement décidé d’ouvrir des négociations d’adhésion avec la Croatie. Quels sont donc les atoûts et les handicaps de cette candidature croate ?
Pourquoi la Croatie désire-t-elle faire partie de l’UE ?
Ancien vice-Ministre des Affaires Etrangères de la République de Croatie indépendante (de 1991 à 1992) et ancien ambassadeur et représentant plénipotentiaire de la République de Croatie auprès du Conseil de l’Europe et au Parlement Européen à Strasbourg (de 1993 à 1996), S.E. M. Bozidar Gagro a tenu à souligner que la demande d’adhésion à l’Union européenne par son pays correspondait à un désir profond des populations de Croatie.
Un peuple croate qui considère que cette demande d’adhésion est une demande naturelle légitimée par l’Histoire, par la Culture et par la Géographie. Ainsi, notre interlocuteur nous dira que les Croates estiment avoir en fait toujours été ’’européens’’ puisque historiquement tournés vers Rome, vers l’Europe centrale des Habsbourg et puisque toujours restés en relations étroites avec l’Italie de l’Humanisme et de la Renaissance.
Pareillement, en faisant acte de candidature, la Croatie souhaite pouvoir rejoindre ce qu’elle considère comme étant sa ’’famille naturelle’’ et une communauté d’élection. Tout en affirmant son adhésion de principe, pleine et entière, à un projet politique européen qu’elle considère comme original et démocratique.
En tout cas, par la voix de son ambassadeur, la Croatie a tenu à exprimer ses réticences à l’égard du tout récent projet communautaire de ’’zone de libre échange’’ dans les Balkans, projet perçu -au mieux- comme une adhésion au rabais voire, au pire, comme une tentative maladroite de restaurer l’ancienne Yougoslavie...
Car c’est bel et bien vers Bruxelles et vers l’ ’’Europe’’ que souhaitent visiblement aujourd’hui se tourner les Croates, et non vers des Balkans dont ils ont visiblement trop souffert.
A quelle date la Croatie pense-t-elle pouvoir rejoindre l’Union ?
Aux dires de l’Ambassadeur, la Croatie s’est fixé de pouvoir terminer ses préparatifs d’adhésion d’ici à deux ans (en 2007-2008) et qu’elle espère bien pouvoir remplir toutes les conditions d’adhésion pour 2009 (en conformité avec l’accord de stabilisation et d’association signé avec l’UE en octobre 2001).
Mais notre invité soulignera à de nombreuses reprises qu’il s’agit là davantage d’un challenge que les Croates se donnent à eux-mêmes que d’une date impérative.
En effet, il tiendra à nous répéter qu’il était risqué de fixer quelque date précise et qu’il ne faut donc pas pas se mettre des dates impératives en tête au risque d’être finalement extrémement déçu, voire frustré, en cas de report (ce qui, on nous le répétera à maintes reprises, n’est pas l’état d’esprit des Croates à l’égard de l’UE).
En tout cas, à l’heure où il se dit ici ou là que le gouvernement croate actuel (du premier ministre Ivo Sanader, du parti d’obédience ’’chrétienne-démocrate’’ HDZ) est de plus en plus critiqué pour ses choix économiques ’’européens’’, M. l’Ambassadeur a tenu à souligner qu’il était néanmoins optimiste et qu’il avait pleinement confiance dans le dynamisme, la volonté, les capacités d’adaptation, l’esprit d’entreprise et dans le ’’désir d’Europe’’ de ses compatriotes.
Quels sont les principaux obstacles que rencontre aujourd’hui la candidature croate ? Quelles sont les principales difficultés restant à surmonter ?
A cette question, M. l’Ambassadeur nous réaffirmera qu’en faisant acte de candidature à l’Union européenne et à son projet politique, la Croatie en acceptait bel et bien les objectifs et les disciplines. Et qu’elle s’efforcera de remplir -honnêtement et au plus tôt- les conditions d’adhésion définies en commun.
Ainsi, il s’avère qu’une fois réglée la difficile question des crimes et criminels de guerre (qui, point souligné sans aucune ambiguité par M. l’Ambassadeur, doivent effectivement pouvoir être jugés par le TPI de la Haye...), la Croatie entend scrupuleusement respecter les conditions morales, politiques et économiques fixées pour son adhésion.
Revenant sur les principales difficultées rencontrées dans la constitution du dossier croate, M. l’Ambassadeur soulignera que les principales difficultés constatées concernent la nécessaire adaptation juridique du droit croate en conformité avec les normes européennes.
Autres questions importantes évoquées lors de notre entretien : les demandes du gouvernement croate liées à la protection de l’environnement, à la défense des intérêts matériels du peuple croate et à la protection du patrimoine culturel national croate. Ainsi, la Croatie tient -sujet visiblement sensible- à faire valoir dans les Autorités de l’UE la nécessité de permettre aux Croates de protéger efficacement leur patrimoine urbain et leur droit légal à la propriété immobilière et foncière.
Et ce, par une coopération efficace des Institutions de l’UE avec les autorités croates dans la lutte contre une spéculation immobilière internationale tout particulièrement redoutée sur le littoral dalmate.
Qu’est-ce que la Croatie attend de son adhésion à l’Union européenne ?
Ici, M. l’Ambassadeur nous répondra que la Croatie attend surtout de l’Union Européenne qu’elle veuille bien l’accueillir en son sein comme on accueillerait un membre de sa famille.
Car le peuple croate voit dans cette perspective d’adhésion une possibilité renforcée de garantir la paix et la stabilité dans les Balkans occidentaux où les problèmes politiques et territoriaux non réglés restent encore nombreux et très sensibles (on pensera ici plus particulièrement à la situation en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo et en Albanie). Puisqu’il s’agirait là -en fait- pour la Croatie, d’une adhésion permettant de consolider la paix, de la rendre pérenne et de rendre enfin possible la réconciliation.
Car M. l’Ambassadeur n’aura de cesse de nous répéter avec conviction qu’il fallait tourner la page de la guerre et des nationalismes intolérants pour désormais essayer de vivre ensemble. Et que la politique de bon voisinage était désormais la seule et unique perspective politique envisageable pour l’avenir.
Et de souligner l’établissement de relations bilatérales constructives et appaisées avec la nouvelle Serbie démocratique d’aujourd’hui, dont la Croatie ne pourraît qu’amicalement encourager les efforts de réformes en vue d’une éventuelle candidature d’adhésion à l’Union européenne.
Qu’est-ce que l’Europe peut attendre de la Croatie ?
M. l’Ambassadeur nous aura expliqué que l’Union européenne, en accueillant la Croatie en son sein pourra ainsi bénéficier de l’éclairage original que donnent à l’Europe les expériences historiques vécues par le peuple croate :
Une expérience de guerre récente et douloureuse (avec ses cortèges de morts, de réfugiés et de personnes déplacées...), une cruelle expérience des destructions causées par un nationalisme subi.
(Et on pourra rappeler que M. Bozidar Gabro est né en 1938 à Hodbina, au sein de la communauté croate de Bosnie-Herzégovine...).
Et une tradition historique de compréhension des idées de supranationalité puisque, depuis le début du XIIème siècle (dans le cadre du Royaume médiéval de Hongrie puis de l’Empire autrichien des Habsbourg, puis de la Hongrie autonome de 1867...), la Croatie aura vécu l’expérience très précise de l’Etat d’autonomie et du ’’self-government’’ à l’intérieur de cadres étatiques beaucoup plus larges.
Pourquoi avoir quitté la Yougoslavie, structure supranationale, pour rejoindre l’Union européenne, autre structure supranationale ?
Ici, M. l’Ambassadeur nous aura répondu qu’il n’y avait décidément rien de comparable entre l’ancienne Yougoslavie et la nouvelle Union européenne, projet politique dont il tient à souligner l’originalité et le caractère libéral (au sens politique) et démocratique.
Et ce, dans la mesure où l’ancienne fédération yougoslave (1945-1991) n’avait de fédération que le nom mais n’en n’était pas véritablement une, sinon une caricature. Puisque ne respectant pas l’Etat de droit, ni la démocratie, ni les libertés fondamentales. Et puisque n’étant de qu’un instrument déguisé de l’hégémonie et de la domination politique des Serbes sur tous les autres peuples de la prétendue fédération yougoslave.
(Nb : Et on rappelera que M. Bozidar Gagro a exercé des responsabilités ministérielles, comme Ministre de l’Education et de la Culture, entre 1982 et 1987, dans le gouvernement ’’autonome’’ de la Croatie ’’fédérée’’. Et qu’il fut -de 1988 à 1991- le tout dernier Ambassadeur en France de la République fédérale de Yougoslavie, démissionnaire en septembre 1991 précisément pour ’’reprendre sa liberté de parole’’ face au gouvernement yougoslave).
Ainsi, M. l’Ambassadeur nous aura souligné que la Croatie pouvait fort bien s’accommoder d’une véritable Europe supranationale respectueuse des identités de chacun. Et qu’elle pourrait aussi lui apporter son expérience, afin de rendre possible une meilleure compréhension des principes et logiques supranationales en termes de souverainetés partagées et de répartition harmonieuse des compétences.
Mais, en revanche, M. l’Ambassadeur de Croatie a clairement exprimé les réticences du gouvernement croate quant au tout récent projet communautaire de ’’zone de libre-échange’’ dans les Balkans occidentaux (et concernant l’ensemble de l’ex-yougoslavie, la Slovénie en moins, l’Albanie en plus...). Un projet d’intégration économique régionale dont les Croates redoutent, visiblement, qu’il ne soit en fait synonyme de retour dans le giron ex-yougoslave et balkanique (alors que c’est bel et bien d’ ’’Europe’’ que rêvent les Croates, aujourd’hui...).
Et c’est ainsi que la Croatie poursuit sa longue marche vers l’Union européenne.
Avec, en vue, un objectif très clair et enthousiasmant : l’adhésion plein et entière, si possible pour 2009...
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