Une instabilité chronique depuis deux ans, jamais vue depuis la fin du communisme
Depuis l’été 2020, la Bulgarie connait une instabilité politique déclenchée initialement par des manifestations massives contre Boïko Borissov, ancien maire de Sofia et premier ministre de manière ininterrompue de 2009 à 2021. En décembre 2021, à l’issue des troisièmes législatives de l’année, une coalition composite de quatre partis parvient péniblement à se former et succède au gouvernement de Stefan Yanev, au pouvoir depuis seulement 2 mois. Mais sur fond de difficultés économiques et de tensions internes, l’alliance disparate menée par Kiril Petkov connait le même sort et peine à établir une ligne claire sur certains sujets, notamment dans le cadre de la guerre en Ukraine.
Le 22 juin 2022 signe donc la chute du jeune gouvernement réformateur du libéral Kiril Petkov, renversé par une motion de censure soutenue par un des partenaires de la coalition au pouvoir. L’action de Kiril Petkov, axée autour de la lutte contre la corruption et l’ancrage de son pays dans l’Union européenne, est alors compromise.
Cette coalition hétéroclite, allant des socialistes à la droite libérale, composée de tous les opposants de l’ex-Premier ministre Boïko Borissov, suscitait relativement peu d’espoirs. Slavi Trifonov, du parti ITN (« Il y a un tel peuple »), avait retiré ses ministres du gouvernement en raison de désaccords sur l’allocation des fonds budgétaires et sur les négociations menées par le Premier ministre avec la Macédoine, sujet hautement sensible dans le pays.
La dissolution du Parlement en juin, actée par le président Roumen Radev, ouvre une nouvelle période d’instabilité pour ce pays fragilisé par la reprise post-pandémique, une inflation record à 18% en août (contre 10% en moyenne dans l’UE) et par la corruption. Il ruine notamment les chances de voir débloquées les négociations d’adhésion à l’UE de la Macédoine du nord. D’ici les élections, un gouvernement intérimaire de Galab Donev devait répondre aux questions économiques et politiques épineuses qui avaient commotionné plus d’une fois le cabinet sortant.
En 2021, la Bulgarie avait déjà connu l’organisation de trois élections législatives, sans pour autant dégager une majorité stable, ce qui augurait un nouveau scrutin à l’issue toute aussi incertaine et traduisait une forte fragmentation du Parlement mais également de l’opinion publique.
Le scrutin actuel présentait toutefois des risques et était en ce sens plus décisif que les précédents, autant pour la Bulgarie que pour l’Europe. Selon les analystes bulgares, certaines forces plus complaisantes vis-à-vis de Moscou avaient une chance plus important de remporter le rapport de force et de mettre le pays en porte à faux avec ses partenaires européens.
La hausse des prix et le retour du gaz russe, enjeux décisifs de la campagne
Le rapport à la Russie était redevenu un clivage structurant du débat public en Bulgarie, qui bien que divisée entre pro-russes (le président Roumen Radev, une partie du Parti socialiste issue du PC bulgare, les formations populistes et nationalistes radicales, comm le GERB, le SDS et Renaissance) et pro-occidentaux (centristes et droite libérale, tel le PP de Kiril Petkov), avait voté les sanctions européennes et exprimé un ferme soutien à l’Ukraine.
Mais alors que la lutte contre la corruption fût la priorité des Bulgares en 2021 après les années Borissov, l’enjeu était désormais au retour du gaz russe de Gazprom jugé nécessaire pour freiner l’inflation désormais à des taux historiquement hauts. Cette solution était notamment défendue par le candidat Kostadin Kostadinov, leader de Renaissance, surnommé par ses opposants « kopeïkin » (en référence au centime du rouble) à cause de sa proximité revendiquée avec Moscou. Le Parti de la Renaissance bulgare de tendance conservatrice, euro-sceptique, anti-OTAN, et russophile, a finalement obtenu 9,8% des voix, résultat assez proche des estimations faites lors de la campagne.
Plus globalement, certaines voix à gauche défendent également le pouvoir d’achat des Bulgares et appellent à de meilleures relations avec Moscou en dépit de la guerre en Ukraine, se référant à la politique pro-russe du premier ministre hongrois Viktor Orban. Un député du Parti socialiste bulgare, Alexander Simov, défend ainsi : « Il a raison quand il dit que son peuple ne doit pas souffrir pour des raisons géopolitiques ».
Longtemps, Sofia et Moscou ont entretenu des liens privilégiés, appuyés par des sympathies pro-russes dans la population. Mais, dès le début de la guerre en Ukraine, le gouvernement bulgare s’était clairement positionné aux côtés de Kyiv, soutenant les sanctions européennes et refusant à Moscou la traversée de l’espace aérien bulgare. Le gouvernement de Kiril Petkov avait ainsi opté pour un positionnement ferme vis-à-vis de Moscou. Il avait ainsi annoncer l’expulsion de 70 diplomates russes, estimant que « quand des gouvernements étrangers essaient d’interférer dans la vie de notre pays nous ne pouvons pas rester silencieux ». Avant cette annonce, 113 diplomates russes se trouvaient sur le sol bulgare, un nombre impressionnant pour un pays d’à peine 7 millions d’habitants. La semaine précédent l’expulsion, l’ambassade russe avait lancé une collecte de fonds pour appuyer l’armée russe dans le Donbass. Kiril Petkov avait également qualifié de « chantage inacceptable » le paiement en roubles des contrats exigés par Moscou et de « grave violation du contrat » la suspension des livraisons de gaz pour la Bulgarie.
Cette épisode prive la Bulgarie du gaz russe depuis le 27 avril et accroit considérablement les prix de l’énergie. L’enjeu de cette nouvelle campagne est donc double : d’abord, au niveau national, mais également au niveau de l’Europe, qui scrute attentivement le résultat de cette élection à haut risque pour la cohérence de la position européenne vis-à-vis de Moscou.
Une élection à haut risque pour l’Europe opposant deux anciens premiers ministres
L’Europe suit avec grande attention l’évolution de la situation politique en Bulgarie, devenue État-membre en 2007. Le succès et la présence au gouvernement de partis pro-russes constituerait un revers sérieux pour l’Europe, dans la mesure où un certain nombre de forces politiques bulgares, pourtant d’horizons différents, convergent pour appeler à la retenue et à la fin des sanctions européennes contre la Russie. Une telle éventualité obérerait l’unité européenne dans la prise de sanctions économiques nouvelles contre la Russie.
Durant la campagne, les sondages auguraient un résultat éclaté entre plusieurs formations, laissant s’échapper l’espoir d’une coalition cohérente pour le prochain gouvernement. Le risque étant qu’aucune formation ne soit en situation de pouvoir former une coalition, de toute évidence nécessaire pour former un gouvernement et donc gouverner le pays. Les résultats de dimanche 2 octobre n’ont à cet égard pas dérogé aux attentes, ayant ainsi conduit à une impasse similaire aux élections précédentes.
En effet, le parti de centre droit GERB (« Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie », du groupe PPE) de l’ancien Premier ministre Boïko Borissov est revenu en force sur le devant de la scène politique, bénéficiant de l’appui de 24,5 % des Bulgares. Ce succès ne lui garantit toutefois pas de retourner au pouvoir, une coalition étant nécessaire pour former un gouvernement. D’autant que le GERB devra sans doute composer avec le parti arrivé en seconde position, le parti centriste PP (« Nous continuons le changement ») du premier ministre sortant Kiril Petkov, qui, avec 19,5 %, a obtenu un résultat plus élevé que les estimations initiales. Ce sont donc les deux anciens premiers ministres, Boïko Borissov et Kiril Petkov qui, rivaux en tout point, ont rassemblé le plus de voix. En de telles circonstances, une alliance entre Boïko Borissov et Kiril Petkov semble hautement improbable, dans la mesure où le second a construit son succès politique sur l’opposition au premier.
À l’annonce des résultats, Kiril Petkov avait de plus maintenu sa volonté de refuser toute alliance avec Boïko Borissov, qui incarne à ses yeux « le passé corrompu » de la Bulgarie. Cette impasse politique bloque les réformes nécessaires à la Bulgarie, qui, affectée par la corruption, l’absence de perspective économique et la multiplication des crises politiques, a tout de même perdu un dixième de sa population en une décennie.
Le résultat du 2 octobre, conformément aux attentes des sondeurs, n’a donc pas permis de conduite à la formation d’un gouvernement stable. La Bulgarie continuera d’être dirigée par un gouvernement intérimaire nommé par le Président M. Radev, qui bénéficie de pouvoirs très étendus dans le cas d’un gouvernement renversé et d’un parlement dissous. Bruxelles comme Moscou continuent donc d’avoir les yeux rivés sur les urnes bulgares.
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