Que propose le Pacte-finance climat ?

, par Anais de La Fonchais

Que propose le Pacte-finance climat ?
© European Union, 2019 / Source : EC - Audiovisual Service / Photo : Lukasz Kobus

Dérèglement climatique, effondrement de la biodiversité, problèmes de sécurité alimentaire, crises migratoires, crise économique et financière : il y a de quoi devenir pessimiste. Mais bonne nouvelle, certaines solutions pourraient être contenues dans le Pacte finance-climat imaginé par l’économiste Pierre Larrouturou et le climatologue Jean Jouzel. Nous avons rencontré Pierre Larrouturou aux côtés de Karl Falkenberg, ancien directeur général de la DG Environnement de la Commission européenne et soutien du Pacte finance-climat, à l’occasion de la conférence “Comment réussir une transition écologique vraiment solidaire ?” organisée à Lyon le 7 mars 2019.

Le Pacte finance-climat se présente comme un lobby citoyen européen “qui vise à provoquer un sursaut collectif dans la lutte contre le dérèglement climatique”. Leur mot d’ordre : interpeller les chefs d’Etat et de gouvernement européens pour négocier le plus rapidement possible un pacte qui assurerait pendant trente ans les financements nécessaires à la transition écologique. Alors que le Fonds Monétaire International (FMI) craint une crise plus grave et plus générale qu’en 2008, l’idée du Pacte finance-climat est de dégonfler la spéculation en fléchant la création monétaire vers une économie à forte efficacité énergétique et faible en carbone. L’enjeux est donc double et corrélé : répondre à l’urgence climatique et éviter une nouvelle crise économique mondiale. La transition écologique que promeut le Pacte se veut solidaire : elle n’affecterait ni le pouvoir d’achat des ménages, ni les acteurs économiques vulnérables et pourrait créer, selon l’Agence pour l’environnement et la maîtrise de l’énergie (Ademe), 800 000 emplois en France et 6 millions en Europe. Pour atteindre cet objectif ambitieux, le Pacte prévoit deux outils : la création d’une Banque européenne du climat et de la biodiversité, et la mise en place d’un Fonds européen du climat et de la biodiversité.

La Banque européenne du climat et de la biodiversité

La Banque européenne du climat et de la biodiversité (BECB) prévue par le pacte serait une filiale de l’actuelle Banque européenne d’investissement (BEI), qui consacre déjà un tiers de ces prêts à des projets liés à la transition énergétique. Cela permettrait d’avancer rapidement et de profiter du triple A donné par les agences de notations à la BEI, gage de confiance pour se refinancer sur les marchés. Chaque année, la BECB prêterait aux États membres une somme correspondant à 2% de leur PIB et cela à taux zéro. La France bénéficierait ainsi chaque année d’une enveloppe de 45 milliards d’euros et l’Allemagne de 65 milliards d’euros.

“En apportant une garantie sur le long terme et des financements pérennes, on pourra légiférer et rendre obligatoire l’isolation de tous les bâtiments d’ici à vingt ans, estime Pierre Larrouturou : en divisant par deux la facture, on rend acceptable le fait que de tels travaux soient obligatoires”. Ce montant 2%, issu des travaux de l’économiste Nicholas Stern, n’est qu’à titre indicatif : “le montant de l’enveloppe annuelle versée à chaque État membre variera en fonction des compétences disponibles et des besoins de transformation du pays en question” précise Pierre Larrouturou.

L’originalité de la BECB réside également dans sa gouvernance. On y trouve notamment un Comité stratégique composé de représentants d’ONG, de scientifiques, de membres du Comité européen des régions et du Conseil économique et social européen. Cet organe se veut représentatif de la société civile. Il aurait une fonction consultative, émettrait des avis et des recommandations portant sur la conduite des opérations de la banque et pourrait ainsi suggérer des orientations à suivre lors de l’élaboration des lignes directrice de la BECB.

Le Fonds européen du climat et de la biodiversité

Le deuxième outil prévu par le Pacte est le Fonds européen du climat et de la biodiversité (FECD) qui permettrait de “renforcer la capacité des Etats volontaires à investir dans la transition écologique à la hauteur requise, tout en créant des emplois” (Traité p.14). Ce fonds financera un budget de 100 milliards d’euros par an réparti en trois volets. 40 milliards d’euros iront aux pays d’Afrique et du pourtour de la Méditerranée. Alors que l’Europe est la première responsable des émissions de gaz à effet de serre depuis deux siècles, c’est en effet l’Afrique qui subit en première ligne les conséquences du réchauffement climatique, surnommé là-bas le “sida climatique”. 50 milliards d’euros permettront de financer le chantier sur le territoire européen, notamment par des aides aux travaux d’isolation afin de diviser par deux les factures qui s’y rapportent. Enfin, les 10 milliards restants seront consacrés à la recherche.

Comment alimenter le FECD ? Principalement par un prélèvement sur les bénéfices (avant impôts) des entreprises opérant dans l’Union européenne. Les artisans et les petites et moyennes entreprises en seraient exonérées. Ce nouvel “impôt fédéral”, cher à Jacques Delors, varierait entre 1 et 5% en fonction de l’évolution du bilan carbone des entreprises : un moyen d’inciter les entreprise à adopter un comportement vertueux. Les auteurs du Pacte voient dans ce choix un moyen de mettre fin à la concurrence fiscale intra-européenne. Par ailleurs, ils soulignent que le taux moyen de l’impôt sur les bénéfices en Europe s’élève à 19 %, soit 2 points en dessous du taux américain (ramené de 35 % à 21 % par Donald Trump).

Comment contrôler l’usage des sommes allouées ?

“La crédibilité de notre projet dépendra de la bonne utilisation de ces fonds”, explique Karl Falkenberg, ancien directeur général de la DG Environnement de la Commission européenne et soutien du Pacte finance-climat, lors de la conférence. “Nous n’envisageons pas de contrôle centralisé, ajoute-t-il, mais nous comptons trouver des administrations suffisamment responsables dans les États qui recevront ces fonds. Nous devons pouvoir faire confiance, mais nous devons aussi nous appuyer sur le contrôle qu’opéreront les citoyens.” A ce contrôle populaire s’ajoutera le contrôle des Parlement de chaque pays et de la Cour des comptes européenne. Il s’agira également d’être le plus clair possible dans la définition et les bornes des domaines dans lesquels il pourra y avoir des financements : isolation des bâtiments, infrastructures de transport et d’énergies, etc.

Comment parvenir à l’adoption du pacte ?

Les auteurs du Pacte finance-climat envisagent trois scénarios. Première option : adopter le Pacte sous la forme d’un règlement européen. Peu crédible car le vote à l’unanimité est requis au sein du Conseil tout ce qui relève de la fiscalité environnementale. Deuxième option : mettre en œuvre une coopération renforcée en matière fiscale. Il suffirait pour cela que neuf États membres en prennent l’initiative. Difficile, mais pas impossible. La troisième option, considérée comme la plus réaliste, consisterait à signer un accord intergouvernemental semblable au traité qui a institué le Mécanisme européen de stabilité en 2012. Comme le traité créant l’espace Schengen (ratifié par 5 États en 1985, et qui en compte aujourd’hui 26), le traité intergouvernemental prévu par le pacte finance-climat aurait vocation à s’ouvrir progressivement à l’adhésion de tous les États membres de l’Union européenne. “Même si le Brexit se fait, le Royaume-Uni pourra y participer, assure Karle Falkenberg, de la même façon que la Suisse est dans Schengen sans faire partie de l’UE. L’urgence climatique est telle qu’elle ne nous permet pas d’attendre que tout le monde soit d’accord. Il faut des pionniers qui seront suivis.”

C’est dans cette perspective que citoyens, juristes, banquiers et hauts fonctionnaires ont bénévolement participé à la rédaction du Traité instituant une Union pour le climat et la biodiversité. Le projet a été rendu public le 19 février avant d’être mis en débat. “Début juin, une version finalisée sera déposée au Parlement européen et envoyé à tous les chefs d’Etat et de gouvernement afin que ce Traité soit au cœur de la nouvelle législature”, explique Pierre Larrouturou. Désirant renforcer la dimension démocratique de l’Union, le Traité prévoit la création d’un Parlement de l’Union pour le climat et la biodiversité. Celui-ci sera composé des députés européens élus dans les États membre de cette nouvelle Union. Ils auront notamment à approuver le budget du Fonds européen du climat et de la biodiversité, définir l’ensemble des dépenses à financer en matière de lutte contre le changement climatique et de protection de la biodiversité, évaluer le budget du FECB, définir le taux appliqué d’imposition sur les bénéfices de chaque entreprise.

Les 21 et 22 mars prochains, le climat figurera à l’ordre du jour du Conseil européen “afin que l’Union européenne soit en mesure de présenter d’ici 2020 une stratégie à long terme dans le droit fil de l’accord de Paris”. L’opportunité pour le Pacte finance-climat d’être mis sur la table des négociations européennes et de gagner en visibilité à l’approche des européennes de fin mai.

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