Que signifie la victoire de Joe Biden pour les relations franco-américaines ?

, par Kareem Salem

Que signifie la victoire de Joe Biden pour les relations franco-américaines ?
Image : Wikimedia Commons / Gage Skidmore from Peoria, AZ, United States of America

Avec le président élu, Emmanuel Macron peut espérer établir un contact plus simple et partager certains objectifs. Cependant, les urgences nationales et le défi stratégique chinois dans la zone Asie-Pacifique impliquent que la France et les Européens devront être davantage mobilisés pour leur propre sécurité.

Le soupir de soulagement était presque perceptible dans toutes les chancelleries occidentales, y compris à l’Élysée, le samedi 7 novembre. Emmanuel Macron figure parmi les dirigeants internationaux qui ont été les plus prompts à réagir à la victoire de Joe Biden et de sa vice-présidente Kamala Harris, appelant également à une nouvelle page de coopération avec les États-Unis sur les grandes questions internationales.

L’espoir d’une nouvelle page de coopération dans les relations franco-américaines s’explique par les relations tendues vécues sous Donald Trump. Si le dirigeant français a d’abord multiplié les honneurs et les courtoisies envers le 45e président des États-Unis, son pari n’a pas porté beaucoup ses fruits, du programme nucléaire iranien à l’accord international sur le climat. Le président sortant ne s’est pas non plus privé de critiquer la faible cote de popularité d’Emmanuel Macron lors de la crise des Gilets Jaunes et d’introduire une « taxe Trump » sur les vins français et européens. L’histoire retiendra également que Donald Trump s’en est pris rudement à Emmanuel Macron avant le sommet du 70e anniversaire de l’OTAN, en exhortant le président français à rapatrier les djihadistes français encore présents dans la zone irako-syrienne.

À bientôt 78 ans, Joe Biden est l’antithèse du président sortant en matière de politique étrangère. Le président élu est de cette génération pour qui le multilatéralisme est l’un des piliers de la politique étrangère américaine. Face à un système international fortement polarisé par l’isolationnisme politique de Donald Trump, Joe Biden prendra les commandes d’une politique étrangère américaine bouleversée par l’héritage de son prédécesseur.

Rétablir la confiance des Alliés

Joe Biden est un véritable expert des questions internationales, ayant siégé pendant des décennies à la commission des relations étrangères du Sénat américain, qu’il a également présidée pendant plusieurs années. Le prochain occupant du Bureau ovale saura que les relations euro-atlantiques ont été marquées par un président Trump qui a voulu disloquer le projet européen. Il est probable que le second mandat de Donald Trump aurait pu être celui du passage à la vitesse supérieure dans la guerre commerciale avec l’Europe et de la poursuite du découpage stratégique des forces militaires américaines.

Avec Joe Biden dans le Bureau ovale, le président s’engagera dans une politique moins autonomiste que son prédécesseur et donnera donc la priorité aux alliés et partenaires démocratiques traditionnels des États-Unis. Afin de renouveler ses relations avec les Européens, Joe Biden devra poser de premiers gestes symboliques, tels qu’un retour immédiat à l’accord de Paris sur le climat, une reprise des négociations avec l’Iran sur la question nucléaire iranienne et des messages de solidarité à l’égard des actions de la Russie et de la Turquie dans le pourtour européen. Il convient de souligner que l’ancien vice-président n’avait pas hésité, pendant la campagne des primaires démocrates, à critiquer les relations cordiales que Donald Trump avait entretenues avec Recep Tayyep Erdogan et Vladimir Poutine et à vouloir revenir à une politique beaucoup plus ferme contre leurs actions sur les flancs est et sud de l’Europe.

La volonté du Président élu de remettre en cause l’ingérence de la Turquie au Moyen-Orient et en Méditerranée orientale sont des points de convergence partagés par l’Élysée. Il convient de noter que le président français a manifesté à plusieurs reprises sa condamnation du non-respect par la Turquie du droit maritime en Méditerranée orientale et de ses engagements pris au sommet de Berlin sur la Libye. Quant au dossier nucléaire iranien, Emmanuel Macron a été le plus impliqué parmi les dirigeants européens pour encourager la médiation entre Donald Trump et le régime iranien.

Il importe également de souligner que depuis que le système international a été ébranlé par la Covid-19, le président français n’a cessé de rappeler la nécessité de réponses multilatérales sur les traitements et les vaccins contre cette maladie. Avec un Joe Biden qui s’est engagé dès son arrivée à la Maison Blanche à lutter contre cette épidémie et à trouver des solutions efficaces pour rendre un vaccin accessible à tous les pays, la gestion de la crise sanitaire pourrait être l’un des futurs points de coopération fructueuse entre Washington et Paris.

Et l’engagement militaire américain ?

Avec une société américaine profondément polarisée et une situation économique et sanitaire inquiétante, il est concevable que la prochaine administration soit obligée de donner la priorité à la gestion de ces urgences nationales plutôt que de renvoyer des contingents importants en Irak ou en Afghanistan. L’ancien vice-président partage l’opinion selon laquelle le recours à la force devrait être le dernier recours. Fervent partisan de la diplomatie, Joe Biden avait expliqué dans un texte publié par la revue Foreign Affairs en mars dernier que la diplomatie devrait être le principal instrument de la puissance américaine.

Cela dit, il serait à la fois exagéré et naïf de supposer que le changement d’administration s’accompagnera d’une refonte fondamentale des relations avec la Chine. La menace existentielle que représente l’administration de Xi Jinping pour la puissance économique et hégémonique américaine fait l’objet d’un consensus dans toute la société américaine.

Cependant, la méthode va changer. Étant un multilatéraliste convaincu, l’ancien vice-président aura à cœur de se rapprocher des partenaires américains en Asie-Pacifique, voire d’adhérer au Partenariat régional économique global (RCEP), afin de contrebalancer l’influence chinoise au sein de l’accord. Dans un deuxième temps, le prochain président américain aura également l’intention de réunir les alliés américains autour d’un sommet mondial prévu dans la première année de son mandat sur la démocratie, où le recul de la démocratie à Hong Kong sera sans doute évoqué.

La France doit donc saisir cette opportunité pour renouer une coopération plus étroite avec la prochaine administration américaine sur la Chine. Dans un contexte marqué par une administration chinoise qui multiplie les investissements dans le Pacifique français et qui transgresse les règles du jeu internationales en matière commerciale, le lien transatlantique est indispensable pour amener Pékin à respecter davantage les règles et normes internationales.

Alors que Joe Biden aura l’intention de réaffirmer le rôle stratégique des Etats-Unis en Asie-Pacifique, la France et les Européens doivent être davantage mobilisés pour leur propre sécurité, notamment dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. Cependant, la Task Force Takuba qui est censée soutenir les forces maliennes dans la lutte contre les groupes terroristes, n’a réussi jusqu’à présent à convaincre que quelques pays européens. Pour l’heure, la TF Takuba est composée de trois Task Groups de 60 personnes chacun, basés sur 30 Français/30 autres Européens. Les États membres devraient donc s’impliquer davantage, car la recrudescence des activités terroristes au Sahel alimente le trafic illicite vers l’Europe.

Pour toutes ces raisons, la mobilisation des Européens, sous l’impulsion de Paris, restera indispensable aux côtés d’un engagement américain plus fort pour relever les défis qui ébranlent le système international.

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