Petit pays d’à peine deux millions d’habitants, la Slovénie est le premier pays des Balkans à être entré dans l’Union en 2004. Des Balkans, la Slovénie n’en a que la géographie. Son histoire est liée au Saint-Empire puis à l’Empire d’Autriche jusqu’en 1914 et son niveau de vie est très proche de celui des pays occidentaux avec le 36ème IDH au monde en 2018. En 2007, elle est le premier pays issu de l’éclatement du bloc de l’est à adopter l’euro. Modèle d’une transition économique réussie, la « Suisse des Balkans » référence à son relief montagneux et à son enrichissement relatif face à ses voisins du sud-est fait cependant face à de nombreux défis.
Une intégration européenne modèle
Quasi-épargnée par les guerres qui ont déchiré la Yougoslavie, la Slovénie est un modèle de stabilité pour ses voisins. Son intégration réussie à l’UE puis à l’eurozone ainsi que sa réussite économique - contribution à la Banque mondiale, dette limitée à 65% du PIB en 2018, amélioration générale du niveau de vie, transition écologique de l’économie et de la société avancée -, font la fierté de la politique d’élargissement européenne. Voisine de l’Autriche, de l’Italie, de la Croatie et de par son extrémité est, de la Hongrie, la Slovénie n’est plus sur une marge de l’Union européenne. Pleinement intégrée à celle-ci, son adhésion à ses principes et ses valeurs ne faisait plus aucun doute.
Le pays a été nommé destination touristique la plus écologique au monde en 2018 par l’organisation internationale référence en la matière : Green Destinations. Depuis 2015, la capitale, Ljubljana, est régulièrement citée parmi les villes les plus durables d’Europe et du monde. Les politiques slovènes en matière de protection de la faune et de la flore sont exemplaires : doublement des populations d’ours bruns en dix ans, classement de 35,5% du territoire nationale en « zone naturelle protégée », investissements massifs dans l’éco-tourisme et protection de la biodiversité, très riche dans le pays. Exemplaire dans bien des domaines, la Slovénie était parvenue à mettre en place une démocratie solide reposant sur un régime parlementaire multipartite avec des institutions stables et une séparation des pouvoirs réelle. Hormis l’affaire des « effacés », à la suite de la naissance de l’Etat Slovène, l’Etat de droit et le droit des minorités, mêmes sexuelles, sont globalement bien respectés, le pays fut notamment le premier en Europe centrale, en 2017, à autoriser le mariage entre personnes de même sexe.
La démocratie slovène menacée ?
Pourtant, depuis le retour en fonctions du très conservateur de Janez Janša, la Slovénie inquiète. Déjà au pouvoir de 2004 à 2008 puis entre 2012 et 2013 et à nouveau depuis le 13 mars 2020, la coalition ultra-conservatrice qu’il dirige adopte la politique populiste, xénophobe et eurosceptique du voisin hongrois. Prenant Viktor Orbán pour modèle, Janez Janša, dont la carrière politique a été émaillée de scandales a reconquis le pouvoir avec une campagne à la Donald Trump faite de tweets provocateurs et de discours populistes. Jouant sur un discours classique de rejet du communisme et de l’époque yougoslave ainsi que sur la crise migratoire, ce dernier a constitué une coalition hétéroclite suffisante pour être nommé président du gouvernement slovène en mars 2020.
De violentes attaques contre la presse indépendante
Les atteintes à la liberté de la presse constituent un point central des tensions entre Bruxelles et Ljubljana. En septembre 2020, la Commission européenne avait épinglé la Slovénie pour des atteintes graves et fréquentes à l’encontre des journalistes s’assimilant à du harcèlement en ligne. Pour la Commission, ces atteintes avaient été trop peu sanctionnées. De nombreuses ONG s’étaient inquiétées de la dégradation soudaine et violente de la liberté de la presse dans le pays, dénonçant des : « tentatives institutionnelles pour affaiblir l’indépendance éditoriale »
Le gouvernement slovène a par ailleurs coupé début 2021 les fonds de l’agence de presse STA,M souhaitant remettre la main sur l’information dans le pays. La Commission avait débloqué, en urgence, fin mai, une aide de 2,5 millions d’euros afin de permettre à la STA de poursuivre sa mission d’information. Dans le même temps, des membres du SDS (le parti de Janez Janša) ont créé leur propre « agence de presse nationale » au service du pouvoir en place. La lutte contre le Covid-19 a aussi été prétexte à toute sorte de privations pour la presse indépendante, interdite par exemple de vendre ses journaux et donc de subsister. Le soutien financier de Viktor Orbán aux médias slovènes pro-gouvernement fait peu de cas des excellentes relations diplomatiques entre les deux gouvernements et de la direction que Janez Janša souhaite donner à la presse slovène.
Lors de l’intronisation de la Slovénie à la tête du Conseil de l’UE, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen n’a pas hésité, en conférence de presse à Brdo, de rappeler au pays l’importance des « médias libres, critiques, qui jouent un rôle de surveillance des activités gouvernementales ou de la Commission ». « C’est l’essence de la démocratie », a-t-elle ajouté. Le ton est donné pour une présidence slovène qui devra relever des défis majeurs pour garantir la pérennité de l’UE.
Quels objectifs pour la présidence slovène ?
La Slovénie prend les rênes d’une institution majeure de l’Union jusqu’au 1er janvier 2022. Elle n’avait pas exercé pareille fonction depuis le 30 juin 2008, date à laquelle s’était achevée sa première présidence. Elle avait alors mené à terme le second cycle triennal de la Stratégie de Lisbonne qui avait introduit une cinquième liberté de circulation, celle des « savoirs ». Elle avait aussi été marquée par la fondation de l’Institut européen de l’innovation et de la recherche dont le siège est à Budapest - les rapports slovéno-hongrois étaient déjà au beau fixe - mais aussi par un approfondissement de la libre circulation des marchandises dans le marché unique. Des directives importantes ont aussi été adoptées, en matière environnementale mais aussi sur la stabilisation des Balkans et la reconnaissance du Kosovo, laissée à la libre-appréciation des Etats.
La première présidence slovène n’avait rien de comparable à celle qui s’est ouverte début juillet. La crise financière de 2008 n’avait pas encore éclaté et restait limitée au secteur des prêts immobiliers aux États-Unis. Peu d’éléments indiquaient que la crise serait mondiale et surtout d’une telle violence. Aujourd’hui, le constat est quelque peu inversé, la Slovénie hérite d’un contexte plus agité. Cependant les signes d’espoirs sont là : les différents plans de relance sont lancés et si la vaccination se maintient et s’accélère, la crise sanitaire pourrait ne pas connaître de nouveau rebond ou, du moins, pas d’une aussi grande force que lors des précédentes vagues.
Cependant, la situation reste fragile et incertaine et la présidence slovène devra veiller à maintenir le cap d’une UE résiliente et solidaire. Le slogan qu’elle s’est choisi lui indique la voie des politiques à mener. La Slovénie s’est donnée pour mission de poser les fondations d’une Union européenne de la santé, de veiller à la mise en œuvre du plan de relance et de la transition verte. Elle souhaite faire sienne les questions de cybersécurité et de transformation numérique. Enfin, la Conférence sur l’avenir de l’Europe, l’Etat de droit et l’immigration seront des sujets majeurs de la présidence slovène. Ses dirigeants a déclaré vouloir : « contribuer activement au renforcement de la résilience de l’UE face aux crises d’ordre sanitaire, économique, énergétique, climatique et cybernétique ». Les eurodéputés slovènes se montrent également enthousiastes comme Tanja Fajon (S&D) qui « s’attend certainement à une direction qui réaffirmera la position et la réputation de la Slovénie en tant qu’alliée et fervente partisane d’une Union européenne unifiée et solidaire ». Romana Tomc (PPE) a pour sa part affirmé que la présidence « devra s’engager activement sur les questions concernant l’avenir de l’UE » et qu’il s’agissait aussi là de « l’occasion de faire entendre notre voix et nos opinions ».
Sur l’Etat de droit en revanche, la Slovénie débute mal son mandat. N’ayant toujours pas nommé les deux magistrats qu’elle doit envoyer au Parquet européen anti-corruption, celle-ci bloque l’action de ce dernier en l’empêchant notamment d’enquêter sur l’utilisation des fonds versés dans le cadre du plan de relance. Les critiques de sa procureure générale Laura Kövesi ont également été acerbes : « Le gouvernement slovène met le parquet européen dans une situation très difficile car cela veut dire que nous ne pourrons pas améliorer notre niveau de protection, au contraire, il sera affaibli » des propos jugés « trop politiques » par Janez Janša.
La Slovénie dispose d’une occasion unique pour s’illustrer sur la scène européenne. Elle peut montrer à l’Europe un visage europhile et fédérateur en menant à bien des innovations législatives et politiques très attendues dans les domaines de la santé et, surtout, de l’environnement où le pays fait figure de modèle. Trente ans après l’indépendance d’une terre qui n’avait jamais été un Etat, les Slovènes disposent d’une opportunité de changer l’Europe. L’alpiniste slovène Julius Kugy disait, longtemps avant l’indépendance : « Le Triglav n’est pas seulement une montagne, c’est un royaume ». Aux Slovènes de le prouver à l’Europe et de montrer la voie de l’intégration au reste des Balkans !
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