« Après le réconfort, l’effort » s’est peut-être dit Vladimir Poutine en arrivant en Allemagne. L’homme fort du Kremlin a en effet assisté au mariage de la ministre autrichienne des affaires étrangères, affiliée au parti d’extrême-droite FPÖ, avant de s’envoler pour une réunion de travail tout en sobriété avec Angela Merkel. Les sujets abordés (la résolution des guerres en Syrie et en Ukraine, le pipeline gazier « North Stream 2 », le nucléaire iranien et les relations germano-russes) montrent la sincère volonté des deux chefs d’État les plus puissants d’Europe de renouer de bonnes relations, nécessaires pour trouver des solutions aux problèmes susmentionnés. Une des raisons de ce rapprochement serait à trouver du côté de la Maison Blanche et de son hôte « un brin » déstabilisant. La politique de Donald Trump, plus que de favoriser tel ou tel autocrate, est une politique mercantiliste et impérialiste, imposant les intérêts américains « whatever it takes » pour le reste du Monde. Angela Merkel en fait les frais (avec notamment l’excédent commercial avec les États-Unis que Donald Trump voue aux gémonies ou avec la faible participation financière de l’Allemagne à l’OTAN) ainsi que Vladimir Poutine (la vision de la Russie du Président américain va de l’admiration affichée à l’annonce de nouvelles sanctions à l’égard du Kremlin). De ce fait, Angela Merkel et Vladimir Poutine ont compris la nécessité d’un dialogue « de bon voisinage ».
Les tumultes du « couple Merkoutine »
Une autre raison pousse les deux dirigeants à se rapprocher : leur relatif affaiblissement dans leur pays respectif. Angela Merkel est au pouvoir depuis 2005 et, tout comme son mentor Helmut Kohl avant elle, commence à s’user après toutes ces années. Le cabinet « Merkel IV » s’est formé au terme de négociations rocambolesques qui ont duré plusieurs mois. La « Grosse Koalition » est aujourd’hui au plus bas dans les sondages et les conservateurs bavarois de la CSU se montrent virulents sur la politique migratoire prônée par Angela Merkel. D’aucuns parient même sur la nécessité d’organiser des élections avant 2021. « Mutti Merkel » est peut-être en train de faire le mandat de trop. Vladimir Poutine n’a pas à s’embarrasser des oppositions inhérentes à la démocratie parlementaire. Depuis 2000, il a imposé son autorité sur tout le pays et ravive même les tendances irrédentistes russes, surtout en Ukraine et en Géorgie. Pourtant, il est aussi dans le dur : l’économie russe est à terre, dépendante des ressources gazières et devant importer à peu près tout le reste pour satisfaire les besoins de la population. « La Russie est une station-service déguisée en État » pour paraphraser un célèbre sénateur américain. Les intentions des États-Unis d’imposer de nouvelles sanctions commerciales ont fait dévisser le rouble par rapport au dollar. Résultat : des importations plus chères. Presque trente ans après la chute de l’URSS, les Russes sont cinq fois moins riches que les Européens de l’Ouest et le Président russe n’a pas fait grand-chose pour combler le retard. Malgré une coupe du Monde réussie, le président russe doit faire face à une baisse surprenante de sa popularité à cause d’une réforme des retraites controversée. Ce n’est peut-être qu’un simple passage à vide, mais Vladimir Poutine est dans le dur en ce moment. Les relations germano-russes sont essentielles pour l’Allemagne comme pour la Russie. Entre 1991 et 2014, Berlin était l’interlocuteur privilégié de Moscou. La Russie possède un capital-sympathie important en Allemagne, pour des raisons historiques, économiques et culturelles. Angela Merkel parle couramment le russe, tandis que Vladimir Poutine s’exprime parfaitement en allemand. En bref, ils ont besoin l’un de l’autre, surtout dans les moments difficiles.
Le début d’une convergence de points de vue sur des dossiers hautement sensibles ?
Malgré l’absence de communiqué final à l’issue de la réunion de Meseberg, il est permis d’espérer un apaisement des tensions entre la Russie et l’Allemagne et par extension l’Union européenne. Berlin et Moscou sont en froid depuis 2014 et l’annexion de la Crimée par la Russie. Cet évènement avait provoqué une véritable onde de choc sur le continent européen et, effet plutôt salutaire, avait fait prendre conscience aux Européens qu’ils devaient absolument avancer sur le dossier de la défense européenne. La situation ukrainienne faisait justement partie de la réunion. Malgré sa disparition dans les médias, les évènements en Ukraine sont toujours préoccupants : la Crimée, autrefois très touristique, est désormais une zone où les droits de l’Homme sont bafoués et où la Russie ressert son emprise, notamment via la construction d’un pont reliant la péninsule au Mainland russe. La grève de la faim du cinéaste ukrainien Oleg Sentsov, emprisonné en Russie pour son opposition à cette annexion montre une situation toujours très tendue. La guerre du Dombass doit aussi retenir l’attention, l’Est de l’Ukraine est devenu une zone de non-droit où les combats ont énormément éprouvé les populations. Qu’il est loin de temps où Renaud Lavillenie fêtait son record du monde en saut à la perche dans un stade de Donetsk en liesse.
La guerre en Syrie est l’autre point crucial abordé. Depuis 2011, le conflit a fait des centaines de milliers de victimes, des millions de réfugiés et a permis l’émergence de Daesh. Angela Merkel et Vladimir Poutine ont chacun besoin d’une solution au problème syrien : Merkel est acculée en Allemagne à cause de sa politique humaniste qui a fait venir près d’un million de réfugiés rien qu’en 2015. Vladimir Poutine commence à se demander si Bashar al-Assad n’est pas un allié trop encombrant. La question de la reconstruction du pays a été évoquée à Meseberg, Vladimir Poutine demandant que l’UE participe pleinement à cette reconstruction. Les deux dirigeants ont également fait part de leurs convergences de vues au sujet du nucléaire iranien, et particulièrement de leur volonté de conserver l’accord négocié en 2015 et que Donald Trump veut déchirer.
Le dialogue entre Berlin et Moscou est une bonne nouvelle pour l’Union européenne car malgré toute l’hostilité que le Kremlin manifeste pour l’UE, la Russie reste un partenaire indispensable pour la stabilité et la sécurité européenne. Il faut de ce fait discuter sur les sujets qui peuvent être évoqués de manière sensée, collaborer dans une optique ciblée. L’Allemagne est certainement le seul pays européen à pouvoir le faire, grâce aux liens assez solides avec la Russie. La France n’a pas le capital politique nécessaire et « l’effet Macron » sur le président russe depuis mai 2017 ne suffira certainement pas à rééquilibrer la balance.
L’Allemagne doit nécessairement agir en accord avec ses engagements européens
Sur les dossiers ukrainiens, syriens et iraniens, l’Allemagne se fait le porte-parole de l’Union européenne. Le dossier du pipeline gazier « North Stream 2 » nous rappelle en revanche que l’Allemagne est là pour défendre d’abord ses propres intérêts. Le gaz russe a toujours été un levier d’influence très important pour Vladimir Poutine et joue certainement un rôle non négligeable dans la modération allemande vis-à-vis de la Russie. Le soutien de l’Allemagne à « North Stream » est vu par certains comme une entorse à la politique énergétique européenne et aux projets favorisant l’indépendance énergétique de l’UE et la solidarité énergétique entre ses membres (l’Union de l’énergie et la directive 2017/1938 sur la sécurité de l’approvisionnement en gaz). La République fédérale d’Allemagne s’est construite grâce à la Communauté économique européenne puis à l’Union européenne. Son développement est concomitant à la construction européenne. Angela Merkel doit avoir cela en tête quand elle discute avec Vladimir Poutine sur des sujets qui concernent l’Union européenne dans son ensemble. Ainsi le rapprochement esquissé avec Moscou pourra être très bénéfique pour tout le continent européen.
1. Le 29 août 2018 à 14:59, par Y. Varest En réponse à : Rencontre Merkel – Poutine : le pragmatisme retrouvé de deux dirigeants esseulés ?
Excellente analyse qui nous permet de mieux saisir l’intérêt pour tous de faire évoluer rapidement l’union européenne.
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