Le tweet qui a mis le feu aux poudres
Tout est parti d’un tweet publié le 17 octobre. Plus précisément d’une vidéo postée dans un tweet dans laquelle l’eurodéputée Manon Aubry (GUE/NGL) suggère à Extinction rébellion, une organisation pratiquant la désobéissance civile pour défendre la cause environnementale, d’occuper le Parlement européen, pour faire valoir ses idées.
Une semaine plus tard, David Maria Sassoli, le président du Parlement européen, adresse un courrier à Manon Aubry : il considère que les propos tenus dans la vidéo contreviennent aux règles de conduite des membres du Parlement européen, et déclenche une procédure de sanction à son encontre. Son argument majeur est que par sa sortie sur Twitter, Manon Aubry compromettrait « le bon déroulement des travaux parlementaires » et « le maintien de la sécurité et de l’ordre dans les bâtiments du Parlement ».
Le 5 novembre, Manon Aubry riposte en rendant publique la lettre du président du Parlement européen ainsi que sa réponse. Dans ce retour, elle dénonce une « interprétation hypothétique » de ses déclarations. Et demande si les eurodéputés qui soutiennent les actions des ONG doivent « s’inquiéter de la censure qui pourrait être exercée à leur encontre ».
C’est finalement d’un blâme que l’eurodéputée écope, le 22 novembre. Il est justifié non seulement par l’atteinte portée « à la dignité du Parlement », mais également par « l’intérêt de l’institution de prévenir dans l’avenir de tels propos d’incitation ». Face à la sanction, Manon Aubry dénonce un Parlement européen qui « bâillonne les députées activistes ».
Une panoplie de sanctions à disposition du Parlement
Sur le fond réglementaire de l’affaire, David Maria Sassoli s’appuie sur l’article 10 du règlement intérieur du Parlement européen qui fixe les règles de conduite s’appliquant à un député européen. En cas d’infraction, différentes sanctions sont prévues. Elles vont du « blâme » au retrait de certains mandats ou fonctions au sein du Parlement, en passant par la possibilité de suspendre l’indemnité de séjour du parlementaire jusqu’à 30 jours.
Pour sa part, dans le cadre de la procédure de sanction, Manon Aubry a été invitée à faire un retour écrit. Dans sa lettre, elle base, semble-t-il, sa défense sur ce même article 10. Ce dernier précise que « l’application du présent article ne peut autrement réduire la vivacité des débats parlementaires ou limiter la liberté de parole des députés ». En l’espèce, une sanction entrerait clairement à ses yeux dans ce cas de figure : elle dit redouter qu’une sanction à son encontre crée « un précédent extrêmement dangereux de remise en cause du principe fondamental de liberté d’expression des membres de cette institution ».
L’affrontement de deux conceptions du rôle du Parlement européen
Pour autant loin d’être une bataille uniquement réglementaire, cette passe d’armes est en outre le signe d’un différend politique.
Entre David Maria Sassoli et Manon Aubry l’incompréhension, ou tout du moins le désaccord d’interprétation, semble de fait le reflet de deux visions différentes du Parlement européen et de sa relation avec les citoyens.
La vision du président de l’institution repose sur la légitimité accordée par le suffrage universel dans une démocratie représentative. Tout député étant ainsi élu, il est légitime, en tant que représentant du peuple, à prendre de son propre chef l’ensemble des décisions soumises à son vote. Toute influence extérieure trop forte (par exemple une action d’occupation du Parlement) reviendrait dès lors à faire primer l’action d’une minorité agissante sur la volonté du peuple, exprimée au travers de la démocratie représentative, et serait donc une atteinte à la démocratie.
Côté Manon Aubry, on a une appréciation différente de la notion de démocratie représentative. Si les députés européens sont bels et biens issus du suffrage universel, leur mandat ne leur confère pas pour autant un blanc-sein concernant les décisions à prendre. Les citoyens exercent dès lors une fonction de contrôle de leurs élus. Un contrôle dont les interventions pacifiques d’un certain nombre de corps intermédiaires dont les ONG, peuvent être le vecteur d’expression. Dans sa vidéo du 12 novembre, l’eurodéputée ne se prive d’ailleurs pas de rappeler que certaines avancées politiques comme le droit de vote des femmes, ont été gagnées à la suite de mouvements de désobéissance civique. Enfin, elle dénonce la sanction arguant que « le Parlement doit s’ouvrir vers l’extérieur au lieu de creuser encore un peu plus le fossé entre les peuples et la politique ».
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