Séisme en Turquie : quelles conséquences politiques ?

, par Volkan Ozkanal

Séisme en Turquie : quelles conséquences politiques ?
Décombres PxHere

Depuis un mois maintenant, la Turquie vit au rythme de l’actualité concernant les régions touchées par deux puissants tremblements de terre. A la destruction matérielle et aux douleurs d’un pays qui enterre ses morts, se greffe une élection présidentielle sous très haute tension.

Séisme dévastateur pour un pays meurtri

Dans la nuit du 5 au 6 février 2023, le sud-est de la Turquie et le nord de la Syrie ont été le théâtre d’une des plus grandes catastrophes naturelles connues dans la région ces dernières années.

Deux puissants tremblements de terre de magnitude 7,8 et 7,5 sur l’échelle de Richter ont causé la mort de plus de 45000 personnes. Une dizaine de provinces ont été touchées et des villes entières ont été détruites, notamment celle de Gaziantep et de Kahramanmaraş.

Une véritable onde de choc a parcouru le pays mettant en cause la corruption endémique des promoteurs et décideurs. En effet, l’absence de constructions en règle et les retards lors de l’arrivée des secours ont attiré l’attention des critiques.

Ce sont ces lacunes qui font passer cette catastrophe naturelle sur le plan politique.

La tristesse, voire la colère, se tournent désormais vers l’élection présidentielle du printemps prochain. Le scrutin sera pour Recep Tayyip Erdoğan, le président actuel du pays depuis bientôt une décennie (à dater d’août 2014), l’occasion de voir où se situe sa popularité.

Dans un pays cristallisé par les égos, le président turc va certainement jouer son va-tout sur fond de crise sociale, économique et humaine. Bien qu’Erdogan assure que la reconstruction se fera rapidement, l’élection est loin d’être gagnée pour le “Reis” (le chef), comme l’appellent ses partisans.

Un pouvoir de plus en plus secoué et une élection sous haute tension

L’année 2023 est hautement symbolique pour la Turquie puisque la République turque fête le centenaire de sa création. Le 29 octobre 1923, Mustafa Kemal Atatürk, fondait les bases de la Turquie actuelle. Les élections présidentielles qui arrivent sont autant marquées par cette date anniversaire que par le séisme.

Contrairement à ce qu’il avait pu se dire, Recep Tayyip Erdoğan a confirmé que le scrutin se déroulerait le 14 mai prochain, conformément à ce qui était prévu avant le séisme. Dans ces conditions, quelles seront les conditions d’organisation du scrutin dans ces régions ? Mystère.

Toujours est-il qu’Erdoğan va devoir endiguer une contestation montante contre sa candidature.

En effet, son statut a été mis à mal par certains facteurs : le tremblement de terre notamment, qui a fait naître un certain ressentiment. Le retard à l’allumage de l’“AFAD”, l’agence gouvernementale chargée de la coordination des secours, a été pointée du doigt pour sa lenteur et est devenue le symbole d’une “bureaucratie” tentaculaire et inefficace. Tant et si bien que même le président Erdoğan a été contraint de s’excuser, une première pour lui.

Un autre facteur de contestation vis-à-vis de sa candidature concerne cette fois-ci l’économie avec une inflation galopante et un appauvrissement du niveau de vie de la population après des années de croissance.

« En raison de l’effet dévastateur des secousses et du mauvais temps, nous n’avons pas pu travailler de la manière que nous voulions à Adiyaman pendant les premiers jours. Je demande pardon pour cela »

C’est donc tout son écosystème et sa conception d’un pouvoir autoritaire, central et fort, qui sont mises en cause.

Les contestations se font notamment entendre dans les stades de football après trois semaines d’arrêt du championnat turc. Ces lieux ont toujours été des caisses de résonance en Turquie. Par exemple, Gezi, ce mouvement de protestation qui a eu lieu en 2013 afin de sauvegarder le parc du même nom à Istanbul, a pris en partie de l’ampleur au sein des stades des trois grands clubs d’Istanbul (Beşiktaş, Fenerbahçe et Galatasaray). Chose que Recep Tayyip Erdoğan n’a pas oublié tant l’image renvoyée, entre gaz lacrymogène lancé sur les manifestants et mouvements de protestations, avait été désastreuse auprès de l’opinion publique nationale et internationale.

Quelle opposition face à Erdoğan l’année du centenaire de la République turque ?

C’est une gageure que de le dire, mais l’opposition turque a toujours été fragmentée.

A l’instar du village gaulois des albums d’Astérix, ce sont toujours des tensions entre les partis qui priment. Entre velléités et ambitions personnelles mal placées, cette fragmentation montre surtout une incapacité à s’unir et à construire une opposition ferme face au pouvoir en place. Autant de difficultés qui ont été fatales aussi bien en 2014 qu’en 2018, lors des précédents scrutins.

L’hypothèse de voir Erdogan transmettre son poste est d’autant moins certaine qu’aucun candidat ne se dégage à l’heure actuelle pour les élections présidentielles de 2023, du moins officiellement.

Si au départ la candidature du maire d’Istanbul, Ekrem İmamoğlu, faisait sens, ce dernier a tout simplement été empêché par la justice turque d’aller plus loin dans sa démarche.

En cause, une peine de deux ans de prison prononcée par le tribunal pénal d’Istanbul faisant suite à une incrimination d’İmamoğlu visant les membres du Conseil électoral supérieur après l’annulation des élections municipales de 2019. En effet, après avoir dit que « ceux qui ont annulé ladite élection du 31 mars sont des idiots », le maire d’Istanbul n’a techniquement pas pu se porter candidat à l’élection présidentielle du 14 mai prochain.

Une condamnation préalable qui “tombe à point” diront ses détracteurs. Pour Erdoğan, le maire d’Istanbul faisait figure de premier opposant. L’interdiction politique (siyasi yasak), qui est désormais en attente de validation par la Cour Suprême, bloque habilement İmamoğlu pour ce scrutin.

D’un autre côté, Mansur Yavaş, l’actuel maire d’Ankara était également pressenti comme candidat à la présidentielle 2023. Mais il a préféré, comme d’autres collègues, se ranger derrière le leader du CHP (Parti républicain du peuple), Kemal Kılıçdaroğlu. Ce dernier est désormais candidat et s’est montré très offensif, à l’instar de ses nombreux déplacements dans les zones sinistrées par le tremblement de terre en n’hésitant pas à invectiver Erdoğan à chaque occasion.

Kemal Kılıçdaroğlu a donc réussi son tour de force en prenant le leadership de la coalition : le “Millet İttifakı” (“Alliance nationale”). Ce conglomérat de partis unis comprend : le “İYİ Parti” (le « Bon Parti ») de Meral Akşener qui a été dans les années 90 ministre de l’intérieur, le « Saadet Partisi » (le Parti de la félicité) d’obédience islamiste et dont les cadres ont vadrouillé avec le mentor politique d’Erdoğan, le « DP » (« Parti Démocrate ») créé sur les ruines de deux partis de centre-droit libéral. Enfin, dans cet attelage baroque, citons le « DEVA » (« Partie de la démocratie et du déplacement »), dirigé par Ali Babacan, ancien ministre de l’économie de Erdoğan, et le « Gelecek Partisi » (“Parti du futur”) de l’ancien premier ministre de... Recep Tayyip Erdoğan, Ahmet Davutoğlu.

Voilà un ensemble hétéroclite sur fond de revanche à prendre sur Erdoğan et qui a déjà connu son premier couac puisque Meral Akşener avait claqué la porte (avant finalement de se raviser) du « Altılı Masa » le 3 mars dernier. Raison invoquée : son refus de voir Kemal Kılıçdaroğlu se porter candidat.

Dans ces conditions (crise économique de plus en plus grande, inflation galopante et douleur du séisme actuel), ce sont des élections sous haute tension qui se profilent. Si Erdoğan est capable de se régénérer lors de sa campagne électorale en galvanisant ses troupes, la situation actuelle est à prendre avec des pincettes. C’est l’occasion pour l’opposition de mettre fin au règne de Tayyip Erdoğan en profitant des crises et incohérences d’un pouvoir central affaibli par l’usure du pouvoir.

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