Solidarité européenne : un bilan contrasté pour les Vingt-Sept

Comment la solidarité européenne résiste-t-elle aux multiples crises qu’elle traverse ?

, par Jeanne Lemasson

Solidarité européenne : un bilan contrasté pour les Vingt-Sept
David Sassoli, le 19 juin. Image : © European Union 2020 - Source : EP

Face à la crise de la Covid-19, l’idée de solidarité entre les pays européens s’est imposée et a fait l’objet d’une controverse. Tandis que de nombreux désaccords et tensions persistent sur la question du versement de fonds aux pays en difficulté, la décision du 27 mai prise par Ursula von der Leyen place la solidarité européenne sur le haut du podium.

Des réticences vis à vis des fonds économiques versés aux pays de l’UE en difficulté

La solidarité européenne est désormais mise à l’épreuve. En effet, les dirigeants des 27 pays membres de l’UE ont souvent montré leur incapacité à s’entendre sur un mécanisme de solidarité européenne. La question des Corona Bonds s’est souvent trouvée au centre de conflits et désaccords entre Pays du Nord et Pays du Sud de l’Europe, dont les dettes se sont accrues de manière considérable depuis la crise sanitaire de la Covid-19. En effet, depuis mi-mars, Giuseppe Conte, le Président du conseil italien, milite pour l’émission de Corona Bonds, une dette commune aux pays de la zone euro pour lutter contre la pandémie et soutenir financièrement les pays les plus touchés par la crise en Europe, comme l’Italie. A l’inverse, le groupe des « quatre parcimonieux » (Autriche, Danemark, Pays-Bas et Suède) a exprimé sa ferme opposition à l’idée de subventions attribuées à ces pays en difficulté, n’étant selon lui aucunement responsable de leur mauvaise gestion de la crise et de l’augmentation de leur déficit budgétaire.

Ces divergences apparues entre les différents pays européens sont donc nombreuses, mais pas nouvelles : elles nous rappellent en effet la crise économique de 2012 dans la zone euro, qui mettait en évidence la question des subventions apportées à la Grèce, pays gravement touché financièrement et économiquement, animant ainsi de forts désaccords sur la gestion du budget européen. L’Allemagne, en tant que premier contributeur financier au Mécanisme européen de stabilité (le fonds de soutien de la zone euro), ne souhaitait effectivement pas participer au remboursement de la dette grecque, qui frôlait la catastrophe économique. Ce drame financier laissant ce pays à l’agonie a perduré pendant des années, notamment à cause des craintes que ce pays fait naître chez les investisseurs sur sa capacité à rembourser sa dette publique et par le poids du paiement de ses intérêts. On a pu effectivement observer un refus des créanciers de concéder un allègement substantiel des dettes ; ceux-ci ont d’ailleurs choisi d’accorder de nouveaux prêts à la Grèce en la prétendant solvable, plutôt que de restructurer la dette et réformer l’économie. Il était en effet plus important pour l’Europe de protéger les banques françaises et allemandes face à la dette publique grecque, impliquant des pertes d’argent conséquentes pour les banquiers. La Grèce a donc dû faire face à des doses croissantes d’austérité qui lui étaient administrées et est restée au cœur de conflits, de telle sorte que ces tensions ont mené à l’hypothèse de la sortie de la Grèce de la zone euro, sous le nom de « Grexit ».

Cet état de la dette publique grecque en 2012 témoigne ainsi, à l’instar de la situation actuelle, d’un manque réel de cohésion au sein de la zone euro, et même de l’UE. Il est aussi important de mentionner que la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe ne semble pas vouloir accepter la politique de rachat des dettes des Etats européens par la BCE. Cette décision récente fragilise grandement l’accord voulu par Emmanuel Macron et Angela Merkel sur le plan d’aide financier des Etats européens les plus touchés économiquement par les conséquences de la crise de la Covid-19. Cette même Cour constitutionnelle de Karlsruhe doit rendre son arrêt définitif dans le courant du mois d’août 2020 sur cette question. De l’issue de sa décision dépendra donc l’avenir des plans de soutien européens mis en place. Nous verrons dès lors si la démocratie allemande (la Cour constitutionnelle de Karlsruhe étant le pilier suprême de cette démocratie) considère que le droit national allemand prime sur les décisions européennes.

Des efforts et actions de solidarité néanmoins mis en place au sein de l’UE

Face à cette parcimonie parfois présente en Europe, le plan de relance proposé par Ursula von der Leyen aux Vingt-Sept traduit une avancée conséquente dans l’histoire de l’Europe en termes de solidarité. Celle-ci a affirmé le 27 mai devant le Parlement européen vouloir mettre en place un plan de relance de 750 milliards d’euros, dépassant le projet initialement proposé par le président français et la chancelière allemande, qui souhaitaient verser 500 milliards d’euros destinés à la relance. Ce compromis ou Green deal finalement trouvé par la présidente de la Commission européenne vise à répartir cet argent entre 500 milliards d’euros de subventions et 250 milliards d’euros de prêts, l’avis des « quatre parcimonieux » ayant été également pris en compte. Von der Leyen affirme donc sa volonté de faire sortir l’Europe de cette crise sanitaire, en s’appuyant sur une modernisation de l’économie en promouvant la transition écologique et le secteur du numérique, politique poussée notamment par le commissaire français européen Thierry Breton. Cette décision devra cependant être approuvée par les 27 chefs d’Etats siégeant au Conseil européen, laissant ainsi ce projet de relance incertain.

Cette coopération européenne, nécessaire à la survie de l’Europe se manifeste également à l’échelle régionale. Celle-ci permet en effet de valoriser les atouts des territoires européens grâce à une convergence, dans le cadre d’une division régionale, du processus productif. La politique de cohésion de l’UE nous a ainsi montré durant la crise ses performances, comme on a pu l’observer avec le cas du Grand-Est par exemple. Le nouveau plan de relance mis en place ce 27 mai entend en effet allouer 55 milliards d’euros supplémentaires à la politique européenne de cohésion (FEDER, FSE, FEAD), afin d’apporter de l’aide aux régions et aux secteurs les plus touchés, tels que le Grand-Est, longtemps situé en zone rouge, et comptant le 29 mai 2.114 malades hospitalisés et 168 en réanimation : preuve qu’une solidarité entre Union européenne et régions des Etats membres s’est renforcée en ces temps de crise.

De plus, un soutien européen s’opère entre les régions elles-mêmes, preuve de l’importance de la position de force des régions en termes politiques et économiques, dans un contexte de mondialisation. Nous avons pu ainsi apercevoir une solidarité de régions allemandes frontalières, ayant accueilli des malades français atteint de la Covid-19. En effet, face à la saturation des hôpitaux dans le Haut et le Bas-Rhin, la région frontalière allemande du Bade-Würtenberg a accepté de recevoir dans ses hôpitaux de nombreux patients français, ayant besoin d’appareils respiratoires, qui avaient été testés positifs à la Covid-19 et se trouvaient dans un état critique. De la même manière, les régions de Saxe et de Bavière ont accepté depuis mars de recevoir des patients italiens, le coût de prise en charge de ces patients européens devant atteindre près de 20 millions d’euros pour l’Allemagne.

Cette solidarité européenne et transfrontalière en termes sanitaires et économiques nous a donc montré les bénéfices d’une entraide au sein de l’UE, ainsi que la nécessité de sa pérennité. Cela permet aussi dans le même temps, de nous faire un peu plus oublier les frictions concernant le partage de stocks de masques entre pays européens (notamment entre la France et la Suède).

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