Sommet européen - L’échec des États

, par Rémi Laurent

Sommet européen - L'échec des États
Conseil européen à Bruxelles. Crédit : Union européenne 2020 - Service audiovisuel du Conseil européen

OPINION. Une durée presque record, des marchandages tellement infondés que l’on se demande bien qu’elles en étaient le but, le sommet européen de juillet 2020 rappelle aux amateurs de sport, le match interminable entre Nicolas Mahut et John Isner lors du tournoi de tennis de Wimbledon. Au-delà d’indéniables avancées, il restera dans les annales comme le symbole d’un échec : celui de l’Europe des États.

Sur le papier, l’idée portée par la France d’Emmanuel Macron, rejointe par l’Allemagne d’Angela Merkel était d’une simplicité confondante : adopter un plan de relance budgétaire et ainsi apporter une réponse collective forte au choc causé par la pandémie de Covid-19.

En pratique, les choses se sont montrées plus… Compliquées. Non pas que personne ne convienne, même les Pays-Bas, de la nécessité d’une réponse européenne coordonnée à la situation mais qu’il était tout simplement impossible de parvenir à l’objectif fixé sans renoncement. Si un accord a été conclu, et qu’il y aura bien finalement un plan de soutien européen, le renoncement est plus idéologique que budgétaire : l’Europe a renoncé, au moins temporairement, à sa raison d’être : une relation sans cesse plus étroite.

Le sommet européen du juillet 2020 est avant tout le fruit d’une certaine Europe, l’Europe des États, l’Europe de l’unanimité. Cette Europe, une Europe défensive, est la vision des États où chacun voit le budget européen comme un gâteau à se partager et dont il faudrait obtenir la plus large part au détriment des autres pour revenir la tête haute dans sa capitale nationale. Ironie de l’Histoire, cette Europe est le fruit des décisions d’un pays qui aujourd’hui la dénonce : la France. Avec la politique de la « chaise vide », le général de Gaulle, eurosceptique raccroché au projet européen par pragmatisme, avait voulu préserver les intérêts de la France. Mais comme souvent, la vision d’un intérêt personnel à court terme, s’est faite au détriment d’une vision à long terme dont l’Europe paie actuellement le prix.

Si la sortie du Royaume-Uni a levé bien des points de blocage, il en reste un certain nombre sans lesquels, l’Europe ne pourra pas avancer. Ces points étant : l’unanimité ; l’absence de ressources propres ; l’inadéquation du cadre institutionnel actuel et de la prépondérance du Conseil.

Le poison de l’unanimité

La durée de ce sommet, l’absence de la Commission et un Parlement Européen soigneusement tenus à l’écart traduisent bien des choses. Le fait qu’une minorité de pays « radins » puissent bloquer la volonté et imposer ses décisions à l’écrasante majorité des Européens est en soi un problème à résoudre.

Alors qu’une opinion publique européenne émerge progressivement, l’Europe des États dont l’unanimité est l’une des traductions les plus concrètes montrent ses limites. L’unanimité est un problème non seulement par les blocages qu’elle provoque et la course au moins disant mais surtout parce qu’elle repose en réalité sur la peur de l’autre et l’absence de confiance. S’il ne faut pas être naïf et penser que les autres États-membres suivront quoi qu’il arrive, il y a un remède à cela : la majorité qualifiée.

Dans un fonctionnement démocratique traditionnel, le projet de plan de relance aurait non seulement été adopté très vite car il ressemblait (dans sa version initiale) 90% de la population de l’Union représentant plus de 80% de son PIB mais surtout, le budget communautaire au lieu d’être réduit aurait été augmenté pour faire face à la crise sans précédent que nous traversons. Le contrôle des fonds aurait été effectué par le Parlement européen, institution représentant les citoyens et personne n’aurait trouvé à y redire.

L’absence de ressources propres

Autre point soulevé depuis des décennies par les différents acteurs et observateurs de la construction européenne, l’absence de ressources propres. En multipliant les accords de libre-échange, l’Union Européenne n’a pas seulement ouvert son marché à d’autres pays (ce qui pose de nombreux problèmes en termes de souveraineté industrielle) mais s’est aussi privée de ressources propres qu’il a fallu compenser par des contributions nationales.

Sorte de rustine, les contributions nationales proportionnelles au PIB ont eu des effets pervers :

 faire apparaître l’Europe et le projet européen non plus comme un projet politique mais comme une ligne comptable dans les budgets des États-membres ;

 conduire à des négociations de boutiquiers interminables causant des dommages considérables au projet européen altérant la confiance des citoyens dans celui-ci.

Là encore, un système démocratique serait que le Parlement ait un réel pouvoir budgétaire, rendant ainsi au citoyen européen le pouvoir de décider de l’orientation qu’il compte donner au projet européen.

Lors de ce sommet, des propositions ont été faites via l’instauration de nouvelles taxes, notamment une taxe carbone, une taxe sur les transactions financières, mais seule la taxe sur les plastiques à usage unique a été adoptée. Un bien maigre bilan qui ne suffira pas à remplir les caisses communautaires.

Un cadre institutionnel dépassé

Lors de ce sommet, l’un des sujets d’amusement devant l’interminable durée du sommet a été de se demander si le record du sommet le plus long établi à Nice serait battu. Le sommet des chefs d’État et de gouvernement de juillet 2020 à Bruxelles ne ressemble pas à celui de Nice que par sa durée.

Si aucune plaque ne sera apposée devant la salle du Conseil européen pour commémorer le record du durée du sommet, celui-ci ressemble beaucoup au traité de Nice par son résultat et les efforts qu’il a fallu déployer pour y parvenir.

Comme pour le traité de Nice, il acte des avancées. Mais comme le traité de Nice, cela s’est fait au prix de rabais accordés aux radins et par la victoire d’égoïsmes nationaux sur un certain nombre de sujets. Enfin, comme le traité de Nice, ce sommet traduit la fin d’un cycle entamé il y a plus de 20 ans. Suite à ce traité désastreux, les pays européens ont convenu qu’il était nécessaire de changer de cadre et ont lancé le projet de traité constitutionnel européen. Un traité finalement traduit concrètement par le traité de Lisbonne de décembre 2007.

Un nouveau cadre institutionnel est nécessaire pour éviter que le projet européen ne sombre du fait de l’égoïsme d’une minorité. Il passe par la fin de la présidence tournante du Conseil ou de ce qu’il en reste, un rôle accru et prépondérant du Parlement européen mais surtout par la fin de l’unanimité, condition indispensable à l’adoption pérenne de ressources propres. Le fonds de relance est temporaire. Pour qu’il soit une véritable avancée, il doit non seulement être pérennisé mais aussi et surtout être le début d’un nouveau cycle politique.

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