Une situation inédite pour Lampedusa
Entre Malte, la Tunisie et la Libye, se trouve la petite île italienne de Lampedusa. Du 11 au 13 septembre, les 6000 habitants du lieu ont vu leur population plus que doubler avec l’arrivée de près de 8500 migrants en provenance d’Afrique subsaharienne. L’île a accueilli près de 10 000 migrants en une semaine. Le maire de l’île, Filippo Mannino, a déclaré un état d’urgence en conséquence. Dans ce contexte, le centre d’accueil de Lampedusa, géré par la croix rouge italienne, a dû s’adapter pour accueillir près de vingt fois plus de migrants que sa capacité habituelle. Il ne s’agit que d’un lieu de passage puisque les migrants sont ensuite transférés en Sicile ou ailleurs en Italie afin de commencer les démarches de demande d’asile si cela est nécessaire.
Venant de divers pays d’Afrique subsaharienne comme le Soudan, le Tchad ou encore la Somalie, ces populations se sont d’abord dirigées vers la Tunisie et la Libye. Cependant, les conditions d’accueil devenant de plus en plus difficiles dans ces pays, elles ont préféré rejoindre l’Europe en atteignant Lampedusa. Les bonnes conditions météo de ces derniers jours ont également facilité les conditions de navigation vers l’île italienne.
Solidarité européenne : le mécanisme fonctionne-t-il ?
L’Italie se retrouve alors seule pour affronter ce flux migratoire dense. Le manque de solidarité des autres pays européens a d’abord été critiqué par des personnalités politiques italiennes. Par exemple, l’adjoint au maire de Lampedusa Attilio Lucia reproche le manque d’action de la France et l’Allemagne qui, sous la pression de leur opinion publique de moins en moins favorable à l’accueil de migrants, ont tendance à adopter des mesures plus restrictives en la matière. Le mécanisme de solidarité européen est donc remis en cause.
Néanmoins, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen s’est rendue sur place et a présenté un plan de dix mesures afin de venir en aide au gouvernement italien dans la gestion de ces flux migratoires. Ces mesures s’appuient entre autres sur le renforcement du soutien de certaines agences européennes, comme l’Agence de l’Union Européenne pour l’Asile (AUEA) et Frontex, à leur pendant italien.
L’idée est d’organiser le retour de certaines personnes vers les pays d’origine ou bien d’aider à leur transfert vers d’autres régions d’Italie ou d’autres États membres. Le président du Conseil européen Charles Michel a également indiqué que la question migratoire dans l’UE sera placée au cœur des deux prochains sommets du Conseil prévus en octobre.
“Submersion”, “crise”, quel vocabulaire employer ?
Certaines personnalités politiques françaises de droite et d’extrême droite qualifient la situation à Lampedusa de “submersion migratoire”, comme Marine Le Pen ou Eric Ciotti. Eric Zemmour, le président de Reconquête (extrême droite), pousse même la comparaison plus loin en parlant d’une “invasion”. Cependant, ce terme de submersion n’est pas adapté aux évènements que traverse l’île de Lampedusa. En effet, les spécialistes s’accordent à dire qu’il ne s’agit pas là d’une métaphore adéquate. La géographe spécialisée dans les questions de migration Camille Schmoll explique qu’il faudrait plutôt parler d’un phénomène de “sur-concentration” et “d’hypervisibilité” lié à la forte densité de migrants sur un territoire si petit. Si ces migrants étaient par exemple répartis sur l’ensemble du territoire italien, on ne parlerait sans doute même pas de “crise migratoire”.
La rhétorique de la peur initiée par l’extrême droite et certaines personnalités de droite passe aussi par la déformation des chiffres. En effet, ces partis ont tendance à faire croire que des milliers de migrants arrivent tous les jours à Lampedusa. Or si il y a effectivement eu une arrivée massive de migrants entre le 11 et le 13 septembre, le nombre d’arrivants par jour a largement diminué depuis. Ce biais s’explique aussi par le fait que contrairement à 2015-2016, période durant laquelle 8% des arrivées de migrants en Italie se faisaient par Lampedusa, c’est 70% des arrivées en ce moment qui se font par l’île, ce qui donne une impression de débordement.
Fausses vidéos : comment démêler le vrai du faux ?
Une autre technique d’amplification de la situation à Lampedusa, qui peut être soit le fruit d’une instrumentalisation soit d’une maladresse, est la circulation de vidéos détournées de leur contexte d’origine sur les réseaux sociaux. Depuis le début des arrivées massives de migrants sur l’île, de nombreuses vidéos attribuées à ces évènements sont relayées, créant ainsi une perception déformée des faits. Par exemple, des vidéos montrant des émeutes et décrites comme se déroulant à Lampedusa circulent mais n’ont rien à voir avec la situation actuelle. On retrouve une vidéo de 2021 qui s’est déroulée à Marotta, une autre île italienne et même des émeutes d’Érythréens à Stuttgart en Allemagne qui n’ont donc pas de lien avec l’ébullition italienne. Une scène de tournage d’un film a même été détournée et relayée entre autres par un candidat aux élections législatives dans le Rhône sous l’étiquette Reconquête. Sur les images, on voit une dizaine d’hommes d’origine africaine qui caillassent une voiture de la police italienne. Une preuve que les fausses informations peuvent très vite envenimer une situation. Pourtant, si on regarde les détails de cette vidéo, il est facile d’apercevoir une perche et une toile blanche pour refléter la lumière, deux outils utilisés fréquemment pour les tournages. Les images proviennent du film Mediterranea sorti en 2015.
Ces exemples révèlent tous les enjeux autour du fact-checking puisqu’il est vrai que les vidéos montrant bien les événements de Lampedusa restent impressionnantes du fait notamment de la forte concentration de personnes sur un si petit territoire. Les différences entre deux vidéos peuvent être subtiles d’où l’importance de les replacer dans leur contexte .
En période d’ébullition médiatique autour d’évènements de cette ampleur, les faits sont souvent déformés soit à des fins politiques soit suite à une réaction en chaîne causée par la diffusion de fausses informations. Il est donc important de vérifier ces informations et de les remettre dans leur contexte avant de les diffuser au risque de créer de vives polémiques enflammant le débat.
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