Sous le monarque Carl XVI Gustaf, 10 millions de suédois vivent dans le système politique considéré comme étant le plus démocratique au monde, selon l’indice de démocratie du groupe de presse britannique The Economist Group. Cette monarchie constitutionnelle est régulièrement ponctuée par des élections législatives, à l’exemple de celles qui se profilent à l’horizon de septembre 2018. Ces élections, comme tous les scrutins des États membres de l’Union, auront des répercussions sur les politiques européennes. Il convient de connaitre la portée de celles-ci.
Une démocratie parlementaire monocamérale
Pour comprendre et apporter un regard sur ce moment de la vie politique du Royaume, il faut définir la nature du régime politique suédois, dans lequel le Parlement détient le pouvoir législatif. En Suède, le Parlement (Riksdag) est composé d’une seule chambre : c’est le monocamérisme. Du point de vue constitutionnel, l’article 4 du Chapitre Ier de la Constitution suédoise dispose que « Le Riksdag est le premier représentant du Peuple. [Il] légifère, décide des impôts à percevoir pour le compte de l’État et de l’utilisation des fonds [et il] contrôle la direction et l’administration du Royaume. » L’article 1er du Chapitre III dudit texte continu en disposant que « Le Riksdag est formé d’une seule chambre composée de trois cent quarante-neuf membres. » Dès lors, le rôle politique de cette institution revêt toute son importance.
Le scrutin est proportionnel plurinominal selon la méthode de Sainte-Laguë modifiée, puisque sur les 349 parlementaires, 310 sièges sont répartis dans des circonscriptions électorales. Restent 39 sièges permettant de corriger les imprécisions du système, afin d’avoir une répartition parlementaire aussi proche que possible du résultat du scrutin. Cette volonté d’avoir une représentation parfaite conduit au classique reproche de l’instabilité gouvernementale. Cependant, un encadrement a été apporté en 1974 afin de limiter le poids des petits partis, par la fixation d’un seuil électoral. La montée du populisme en Europe ces dernières années raisonne jusqu’en Suède, puisque si les partis les plus modestes peuvent accéder facilement au Riksdag, les extrêmes le peuvent aussi. Ainsi, le scrutin de 2018 risque d’être celui de la révélation de l’extrême droite suédoise, menée par les Démocrates de Suède (SD). Ce mouvement, fondé en 1988, prône une doctrine nationaliste et anti-immigration. Dès lors, si la Suède, dépeinte comme un exemple de réussite sociale, environnementale, égalitaire et économique, connaît un regain de populisme au sein de l’opinion publique, les enjeux pour les idéaux européens seront énormes et risquent bel et bien de finir anéantis.
La virulence du débat politique
Tandis que le journal helvétique Le Temps estimait l’affrontement Marine Le Pen — Emmanuel Macron du mercredi 03 mai 2017 comme étant « Le débat le plus violent de la Ve République », les Suédois ne sont pas en reste. Pour reprendre la BBC, ce dernier scrutin va mettre à nu les grandes divisions de notre époque, entre nation et ouverture sur le monde. Si l’extrême droite est longtemps restée marginalisée, les élections de septembre ont d’inédit que les SD ont été légitimés par la droite libérale-conservatrice suédoise, représentée par les Modérés. Effectivement, c’est en mars 2017 que la dirigeante dudit parti, Anna Kinberg Batra, annonce ne plus considérer comme tabou une alliance avec les Démocrates suédois. Cette rupture du « cordon sanitaire » imposé par l’ensemble des partis suédois au mouvement nationaliste lui attire de nombreuses critiques, entraînant inexorablement la baisse des Modérés dans les sondages d’opinion. Anna Kinberg Batra est alors limogée pour être remplacée par Ulf Kristersson, qui contredira fermement son prédécesseur. Mais, le mal est fait : le populisme a une place reconnue dans la vie politique suédoise.
Au-delà des attaques politiques plus ou moins courantes, le second temps fort de la campagne électorale est intervenu au cours de la Coupe du monde de football masculin. Malgré l’excellent résultat de l’équipe de Suède qui est parvenue aux quarts de finale, les insultes racistes vont s’acharner, par le biais des réseaux sociaux, sur un joueur en particulier : Jimmy Durmaz. En cause, une défaite, le 23 juin, face à l’Allemagne, suite à un coup franc à la 95ème minute, en raison d’une faute dudit joueur. Malgré les plaintes portées par la Fédération de football et le rassemblement de plusieurs milliers de personnes à Stockholm, en soutien au joueur, les faits ont amené le Royaume à se questionner sur son identité. Le débat porte notamment sur l’intégration des minorités à la communauté nationale, dans un État où près de 12 % des résidents sont nés à l’étranger et environ un cinquième de la population suédoise est constitué soit d’immigrants, soit d’enfants d’immigrants, selon l’institut des statistiques Suédois SCB. Dans ce questionnement, les populistes ont trouvé leur place et martèlent la sécurité et le maintien des traditions suédoises. Björn Söder, leader des SD et vice-président du Riksdag, affirma même que « ni les Juifs, ni les Samis [peuple autochtone du Nord de la Scandinavie] n’étaient suédois. »
Au pays de l’ameublement en kit, la stupeur de voir un joueur né en Suède, portant les couleurs de son pays forcé de défendre son identité suédoise demeure. Autant d’ailleurs que le malaise causé par les commentaires de certains des défenseurs de Jimmy Durmaz, qui rappellent ses exploits passés ou le fait qu’il ne soit pas musulman. La journaliste française Anne Françoise Hivert, correspondante en Scandinavie, dévoile qu’un éditorialiste du quotidien Svenska Dagbladet propose même d’inventer un nouveau terme pour désigner les Suédois d’origine étrangère. Elle conclut son billet en critiquant : « Suédois ne suffirait plus. » En bref, quelle que soit la couleur politique du prochain gouvernement suédois, la question de l’identité suédoise semble devenir prééminente.
Les enjeux du futur gouvernement : vaincre le nationalisme c’est réaffirmer l’Europe
Pour conclure sur les sondages, la moyenne des différentes études effectuées au cours du mois de juin 2018 projette la victoire d’une coalition de droite, menée par l’extrême droite (22,31 %) et les Modérés (19,38 %) même si les sociaux-démocrates resteraient, de peu, la première force politique du pays (23,61 %). Néanmoins, les premiers sondages de juillet (d’après Demoskop, Sentio ou encore Yougov), font ressortir la possibilité d’une formation d’une coalition organisée autour des sociaux-démocrates.
Au-delà des chiffres et du politique, le prochain gouvernement devra donc faire face à des enjeux monstres, qui sont de réinstaller dans la conscience collective ce qu’est être suédois, ce qu’est être européen. Les principales attentes des électeurs sont la santé, l’éducation et l’immigration/intégration. Si la Suède moderne a toujours prôné le multiculturalisme et la tolérance, afin d’intégrer au mieux les populations étrangères à la société suédoise, une victoire de l’extrême droite viendrait rabattre les cartes, par la stigmatisation des minorités. Et puis, il ne faut pas nier le regain d’activité des néonazis suédois, par le biais du Mouvement de résistance nordique (NMR), né en 1997 et qui trouve ses origines dans le national-socialisme des années 1930. Le journal français Le Monde, dans un article en date du 05 mai 2018, rappelle que « selon le magazine Expo, ses militants n’ont jamais été aussi actifs que l’an dernier, avec 3 446 actions dénombrées en 2017, soit une augmentation de 20 % par rapport à 2016. Il s’agit essentiellement de distributions de tracts, collages d’affiches, d’autocollants… « C’est une façon de créer un rapport de force dans la rue, en occupant ses membres », constate le journaliste Jonathan Leman. » Sans faux espoirs, seul un gouvernement social-démocrate pourrait peut-être apporter des solutions efficaces face à l’émergence de ce type de mouvements fascistes et à la recrudescence d’agressions racistes. Le point de travail définitif pour le prochain chef du gouvernement suédois et son administration sera de donner à la Suède une place prééminente en Europe, alors que l’Union Européenne s’éloigne, malgré tout, de l’administration Trump et qu’elle peine à entrapercevoir la fin du Brexit. Le Royaume pourrait apporter un nouveau souffle à l’Europe, en impulsant notamment l’ambition de politiques sociales européennes. Ce souffle venu du Nord serait alors le bienvenu !
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