Taïwan : stagnation ou changement ?

, par Marie Menke, Traduit par Léo Allaire

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Taïwan : stagnation ou changement ?
Rue de la capitale de Taïwan Pixabay / punnatorn / Creative Commons CC0

En novembre dernier, les citoyennes et les citoyens de l’État insulaire est-asiatique ont voté pour 11 000 responsables au niveau local et régional. Le résultat : un succès pour le Kuomintang. Le parti défend son identité chinoise, à l’inverse de l’opposition, qui prône l’indépendance de Taïwan.

Avec le Japon, au nord, et les Philippines, au sud, Taïwan forme un archipel d’îles juste devant les côtes chinoises. Taïwan est rarement mentionnée sans parler de la République populaire de Chine, surnommée parles Taïwanaises et les Taïwanais « Chine continentale ». Pour certains, Taïwan, officiellement appelée « République de Chine » n’est autre qu’une province chinoise renégate. Pour d’autres au contraire, Taïwan fait partie intégrante de la Chine, alors que d’autres encore estiment qu’il s’agit d’un état de fait, pour lequel le temps de l’indépendance est venu.

Au contraire de la République populaire de Chine, Taïwan est démocratique. En novembre 2018, les citoyennes et les citoyens ont élu de nombreux officiels, des cheffes et chefs de villages aux maires. Ces élections peuvent être considérées comme des « midterms » taïwanaises. Celles-ci ont surtout démontré que l’opinion a changé depuis les dernières élections nationales, il y a deux ans. À cette époque, le Kuomintang, plus ouvert à la Chine continentale, n’a pas réussi à obtenir de majorité, plaçant ainsi le Parti démocrate progressiste (PDP), qui soutient l’indépendance à long terme de Taïwan, au pouvoir depuis lors. Cependant, la nette victoire électorale de cette année a confirmé que le Kuomintang, battu en 2016, était en train de rattraper le parti au pouvoir.

Du parti d’État chinois à la démocratisation

Les manifestations font partie du paysage de la capitale, Taipei, ces jours-ci, mais elles ne sont composées généralement que de quelques personnes avec des affiches sporadiques. Les haut-parleurs sont montés sur le toit de petits camions et diffusent les messages des manifestants. Ils circulent lentement mais happent inlassablement les passantes et les passants… Ils s’arrêtent ici ou là, et les conductrices et conducteurs rejoignent un groupe de manifestantes et de manifestants avant de poursuivre leur périple.

Dans son passé, Taïwan a vécu quelques occupations par des puissances coloniales : d’abord les Pays-Bas, puis l’Espagne et enfin le Japon. Lorsque ce dernier capitula pendant la Seconde Guerre mondiale, Taïwan fut cédé à la Chine. Deux ans plus tard, le Kuomintang – principal partisan d’un renversement de la dynastie des Qing et de la création de la République de Chine, subit une défaite en Chine continentale contre les forces communistes de Mao Zedong. Dirigés par Tchang Kai-shek, le Kuomintang et ses partisanes et partisans s’enfuirent ensuite vers l’île taïwanaise. Il en résulta pour Taïwan des décennies sous la coupe d’un parti unique. Sur l’île, les réfugiés qui avaient fui le continent en 1949 s’établirent, parfois violemment, en tant qu’élite vis-à-vis du reste de la population. Ils purent cependant générer une croissance économique énorme pour toute l’île.

Jusqu’en1979, le gouvernement de Taipei est parvenu à conserver le siège de la Chine aux Nations Unies. Il l’a ensuite perdu au profit de la République populaire de Chine. Les réformes, attendues depuis longtemps, ont été mises en œuvre : la fondation de nouveaux partis politiques a été permise, le parti d’opposition le plus fort jusqu’aujourd’hui, le PDP, a été fondé et l’ensemble du système politique a été démocratisé. Depuis 1992, le parlement taïwanais est désigné grâce à des élections et en 2000, le Kuomintang a perdu pour la première fois la majorité en faveur du PDP.

La coalition dite pan-bleue, à laquelle appartient aussi le Kuomintang, appelait à l’origine à la réunification de la Chine, mais compte tenu des changements intervenus dans la République populaire, celle-ci tend de plus en plus à conditionner ce processus à l’effondrement du régime communiste et à la nécessité pour la République populaire de devenir démocratique. Elle continue de considérer Taïwan comme le seul véritable gouvernement chinois, tandis que la coalition pan-verte, y compris le PDP, milite pour l’indépendance de Taïwan. Cependant, le parti récolte souvent des voix pour des raisons indépendantes au conflit : la couleur attribuée à la coalition n’est pas nécessairement associée à une éventuelle indépendance, mais a été choisie suite à son affiliation au mouvement antinucléaire.

La stagnation : un pas de plus vers la Chine

Tout ce qui relève à Taïwan de la politique extérieure peut en fait être interprété directement ou indirectement comme une réaction à ce qui se passe en la Chine. Interpréter de la sorte la défaite du PDP cette année est toutefois trop simpliste. Si, jusqu’à présent, le PDP devait sa victoire électorale à l’insatisfaction à l’égard du Kuomintang, le vent tourne désormais. L’économie taïwanaise est de plus en plus en mauvais état, de nombreux diplômés partent à l’étranger pour commencer leur carrière et le PDP n’a finalement pas réussi à faire passer la légalisation du mariage homosexuel, que réclamaient notamment les jeunes électrices et électeurs.

Dans le même temps, les électeurs en faveur d’une indépendance rapide se vengent avec ce résultat électoral d’une approche peu cohérente du PDP à l’égard du gouvernement de Pékin. Taïwan doit également ses préoccupations économiques aux efforts déployés par la Chine sur le continent pour l’isoler en matière de politique étrangère : toute personne souhaitant établir des relations diplomatiques avec la République populaire de Chine doit suivre la politique d’une Chine unique et ne pas reconnaître Taïwan comme une République de Chine. Même les États-Unis, qui servent en grande partie de puissance protectrice à Taïwan, n’ont pas d’ambassade à Taipei.

La popularité croissante du Kuomintang par rapport au résultat des élections de 2016 peut être interprétée comme un pas de Taïwan vers la Chine après que le gouvernement du PDP ait tenté, au cours des deux premières années de son mandat, de rompre avec Pékin dans ses décisions. Si le gouvernement ne réussit pas à démontrer son succès avant les prochaines élections nationales, on peut s’attendre à ce que le Kuomintang gagne - un pas de plus vers une éventuelle déclaration d’indépendance et des relations plus harmonieuses avec le continent. Il est probable que le conflit continuera à stagner si le Kuomintang parvient à mobiliser plus d’électrices et d’électeurs d’ici 2020 qu’il y a deux ans.

Le changement : ça gronde sous la surface

La politique n’est pas le genre de thème sur lequel on échange avec un étranger au premier repas partagé. Les opinions sont trop divisées. Et la population est trop frustrée par le monde politique : ce dernier n’est guère considéré comme un représentant de l’opinion publique. On oublie donc à Taïwan qu’il ne s’agit pas, lors des élections, seulement de réagir encore et encore aux actions de la République populaire, toujours très semblables, même si l’émergence, mais aussi la pérennité, de la démocratie taïwanaise est remarquable.

La solution qu’a trouvée le gouvernement taïwanais jusque-là est de maintenir le statu quo. L’absence de reconnaissance internationale est douloureuse, mais la majorité des Taïwanaises et des Taïwanais ne sont favorables ni à provoquer la République populaire par une déclaration d’indépendance ni à devenir, comme Hong Kong et Macao, des zones administratives « spéciales » appartenant à la République populaire de Chine. Les deux options sont trop risquées.

Et pourtant, le changement gronde sous la surface. Le gouvernement de Taipei réussit à attirer des étudiants du monde entier grâce à de nombreuses bourses d’études, à un budget élevé pour l’éducation et à la promotion des échanges. Le média allemand Deutsche Welle a déjà fondé une antenne est-asiatique à Taipei. Bien que ce média déclare ne pas vouloir nécessairement rendre compte de l’actualité taïwanaise, mais surtout de celle de la République populaire de Chine depuis Taipei, il a été contraint de chercher des alternatives en raison, entre autres, d’un manque de liberté de la presse sur le continent et en a trouvé une à Taïwan. Taïwan est utile pour le monde extérieur, mais pourtant encore trop faible pour demander son aide.

En dehors de l’état insulaire, presque personne n’ose provoquer la Chine. Néanmoins, il n’est guère juste de ne pas soutenir un État qui a réussi une démocratisation rapide de l’intérieur et la défense permanente d’une démocratie vivante. Toutefois, on peut se demander si un changement sur la question chinoise peut provenir uniquement de Taïwan. Bien que le résultat des élections semble mener au départ à une stagnation, il est rarement facile, en politique internationale, de maintenir le statu quo.

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