Taxe sur les transactions financières : illusion ou nécessité ?

, par Gabriel Smaniotto, Laura Mercier, Sarah Vanseveren, Victor Thévenet

Taxe sur les transactions financières : illusion ou nécessité ?
Dans les couloirs du Forum économique mondial, l’idée d’une taxe sur les transactions financières alimentent les discussions depuis la crise de 2008. Cependant, seule une dizaine de pays européens devrait sauter le pas. - World Economic Forum (CC/Flickr).

La taxe sur les transactions financières est une proposition qui revient régulièrement sur le tapis tant au niveau européen qu’au niveau mondial, notamment depuis la crise financière de 2008. Partisans et détracteurs rivalisent sur le plan politique, et de nouvelles questions s’invitent dans le débat, telles que son niveau d’application, la régulation des marchés et l’usage des fonds ainsi récoltés.

Nicolas Hulot a déclaré lors de la COP21 que « la taxe sur les transactions financières pourrait changer la face du monde ». Cette taxe a en effet été discutée début décembre dernier à l’occasion des négociations du sommet de Paris. Cependant, aucun compromis n’a pu être trouvé et les négociations autour de la taxe sont appelées à se poursuivre au niveau mondial. Au niveau européen, c’est une autre affaire.

Pourquoi une taxe sur les transactions financières ?

La Commission européenne a publié en septembre 2011 une proposition de taxe sur les transactions financières, ou taxe Tobin, à la suite de la crise économique et financière de 2008.

L’un des principaux objectifs de cette taxe est d’harmoniser la taxation sur les transactions financières au sein de l’Union européenne, afin d’éviter la fragmentation du marché intérieur. En effet, après la crise financière, de nombreux Etats membres ont mis en place de nouvelles formes de taxation financière, afin de résorber leurs dépenses publiques. Cette multiplication des taxes pourrait mener à des phénomènes de double imposition.

C’est pourquoi la Commission européenne a proposé d’instituer une taxe sur les transactions financières à l’échelle de l’Union. Elle serait appliquée sur les titres (actions et obligations) et sur les produits dérivés financiers (contrat financier entre deux parties). La taxe pourrait aller jusqu’à 0,1% pour les titres, et 0,01% sur les autres produits financiers. En pratique, la taxe serait appliquée à tous les marchés, tous les instruments et à tous les acteurs (gestionnaires d’actifs, banques, etc.).

Cette taxe permettrait donc à la fois de générer des recettes et de décourager toute transaction risquée. Selon la Commission européenne, la taxe Tobin pourrait réunir au minimum 50 milliards d’euros par an. Ces fonds seraient notamment utilisés pour le financement de la lutte contre le réchauffement climatique, afin de soutenir la transition énergétique, ou bien pour développer les aides publiques qui ont pour but de renforcer la lutte contre le sida.

Malgré les objectifs louables d’une telle taxe, parvenir à un accord entre les Etats membres s’avère ardu.

La difficulté de conclure un accord

Depuis la crise économique de 2008, la taxe sur les transactions financières revient régulièrement sur la table des négociations.

Le regain d’actualité de cette taxe, depuis la crise financière et la responsabilité qu’y a tenu la spéculation, n’a pourtant pas permis sa création effective au sein de l’Union. Beaucoup d’États membres redoutent en effet une fuite des transactions en cas de taxe financière non-globalisée, et d’autres ne souhaitent pas se mettre à dos le grand capital. La Commission rêvait d’un accord des Vingt-Sept de l’époque et prévoyait une entrée en vigueur en 2014. La mise en œuvre n’a cessé d’être repoussée jusqu’à la dernière date du 1er juin 2016.

Malgré d’âpres discussions depuis des années, les ministres des Finances se sont bien gardés d’entrer dans le vif du sujet en décembre dernier. Ils n’ont notamment pas statué sur deux questions essentielles, à savoir le taux de la taxe, et à quoi serviront réellement les fonds récoltés. François Hollande l’avait affirmé dès début 2015, il souhaiterait qu’une partie de la taxe serve à financer la lutte contre le réchauffement climatique. C’est pourquoi il aurait également souhaité un accord pendant la COP21 sur un équivalent de cette taxe au niveau mondial pour alimenter le Fonds Vert. Mais si les ONG (comme OXFAM) soutiennent largement le projet, il n’en va pas de même pour un certain nombre d’acteurs, notamment privés et étatiques. Ainsi le président de la Société Générale s’est indigné contre « une taxe idéologique, qui serait un suicide pour le marché financier européen ».

L’embourbement des négociations au niveau européen n’est pas surprenant. D’un côté, Londres, qui ne veut pas contrarier la City, a déposé un recours auprès de la Cour de Justice de l’Union européenne contre ce projet de coopération renforcée. Déboutés par le juge, les Anglais n’excluent pas d’y retourner si la taxe voit effectivement le jour. De l’autre, le couple franco-allemand qui, en plein cœur de la crise de la dette dans la zone euro, s’est mis d’accord sur les bénéfices que l’Europe pourrait tirer d’une taxation des transactions financières. Après un constat de désaccord de fond sur le sujet, les États membres favorables ont désormais repoussés l’accord à juin 2016 au plus tôt.

Europe à plusieurs vitesses : le système des coopérations renforcées

Devant l’impossibilité de mettre les 28 Etats membres d’accord, le processus de la coopération renforcée a été mis en place entre 11 pays européens (France, Allemagne, Belgique, Italie, Portugal, Autriche, Slovénie, Grèce, Espagne, Slovaquie et Estonie).

L’intégration différenciée via des projets de coopérations renforcées ou « Europe à deux vitesses » est probablement une solution pour réaliser pleinement le projet politique et économique de l’Union européenne, mais dans le cas présent le nombre d’Etats participants est insuffisant. En effet, si les négociations aboutissent, à peine la moitié des Etats membres de la zone euro y participeront. D’autant plus qu’il faut a minima 9 membres pour que les institutions autorisent une coopération renforcées, l’incertitude est donc grande sur la suite du processus puisque les 10 Etats membres atteignent tout juste le quota.

En l’espèce, il s’agit de doter le budget de l’Union européenne d’une nouvelle source d’approvisionnement pour financer des projets environnementaux et sociaux, au sein de l’Union comme dans le monde. Ainsi, deux problèmes surgissent. Premièrement cela pose la question de la solidarité européenne, de la participation financière et politique des différents Etats membres. Cette valeur constitue un fondement de l’Union qui est trop souvent non respecté. On peut en particulier déplorer l’absence du Luxembourg et de l’Irlande de la table des négociations, deux pays de la zone euro entachés par l’évasion fiscale. Deuxièmement, en étant désunis, l’Union européenne pourrait de nouveau envoyer un message négatif, participant à l’affaiblir sur la scène internationale.

Symbole d’un projet économique et politique, la taxe sur les transactions financières se révèle finalement désastreuse sur le plan politique pour l’Union qui peine à s’imposer comme leader de cette initiative. La négociation de la présente taxe montre encore une fois la plus que nécessaire réforme du processus décisionnel de l’Union européenne pour que l’intérêt européen puisse s’exprimer pleinement.

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