La disparition de Théo Klein le 28 janvier dernier s’est heurtée au hasard d’un calendrier. Cinq jours auparavant, quarante-sept dirigeants du monde se réunissaient à l’occasion du 5e Forum de la Shoah à Jérusalem pour les commémorations de la libération du camp d’Auschwitz, organisées par Moshe Kantor, président du Congrès juif européen. C’est pourtant le premier président et fondateur de ce dernier qui nous quittait, 75 ans jours pour jours après l’entrée des Soviétiques dans le camp polonais. Né à Paris et issu d’une famille d’origine alsacienne, arrière-petit-fils du Grand Rabbin de Colmar, celui qui fut le Président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) de 1983 à 1989 n’a cessé tout au long de sa vie de développer un dialogue intercommunautaire, pour la paix et pour le respect de la dignité humaine à l’échelle du continent.
Entretenir la mémoire pour lier les peuples
Chef de file de la résistance juive durant la Seconde Guerre mondiale, Théodore Klein se confronta très tôt aux réalités d’une Europe en proie à la haine et aux manquements aux droits fondamentaux. Son parcours tout au long du siècle dernier se calqua à son action pour joindre la reconstruction à la réconciliation. Rapidement après la guerre, il prit la tête de l’UEJF, l’Union des Etudiants Juifs de France, pour contribuer à la réintégration de ceux qui avaient vécu l’horreur des camps. Après des études de droit, il entretient la culture de la mémoire, comme par exemple lors de l’affaire médiatiquement très exposée du Carmel d’Auschwitz au cours de laquelle il prit le parti de s’opposer fermement au Vatican.
« En insistant trop sur notre drame, nous permettons à l’Europe de ne pas se poser le problème de sa responsabilité. Cette responsabilité existe, elle est même internationale [1]. »
Ce travail de mémoire promu par Théo Klein s’inscrivit dans le cœur de son action. Bien conscient que ce drame s’était déroulé sur ce sol ici-même, il remettait en cause la politique des pays européens d’alors. S’il fit le constat d’un vide très important et d’un deuil immense provoqués par la Shoah, pour le reste, il s’agissait d’« une affaire politique européenne [2] ». Imposer le respect de la mémoire, c’était non seulement permettre aux responsables d’assumer, mais également permettre à ces derniers de prendre les mesures nécessaires pour s’opposer aux dangers de la haine raciale. Théo Klein avait compris que la mémoire liait les peuples.
Faire de l’histoire européenne un exemple de réconciliation
C’est en 1986 qu’il fonda le Congrès juif européen, pour succéder à la section européenne du Congrès juif mondial. En fusionnant les activités des communautés juives européennes, pour les destiner à travailler avec l’UE et le Conseil de l’Europe, il reconnaissait le particularisme d’une Europe amenée à interpeller d’une seule voix le monde de demain. Ici, le combat contre l’antisémitisme, la conservation du souvenir de la Shoah et l’assurance d’une politique équilibrée de l’Europe vis-à-vis d’Israël donnèrent une ligne directrice aux objectifs de la structure.
Plus loin encore, le regard de ce responsable de la communauté juive, libéral et laïc, sur la situation au Proche-Orient incarnait cette singularité européenne sur la scène internationale. Lui le franco-israélien, attaché à la terre d’Israël tout en demeurant critique à l’encontre de la politique de l’Etat hébreu, ne manquait pas d’interpeller la Communauté européenne pour que sur la base de son expérience passée, elle puisse se mettre à rechercher les voies de la paix. Lui qui avait connu les affres de la guerre souhaitait que ce destin européen qui reposait sur la réconciliation puisse bénéficier à une pacification du bassin méditerranéen, autour d’un caractère commun mais tout en respectant l’identité de chacun. La France et l’Allemagne avait en effet dépassé le souvenir de la souffrance pour permettre une vie commune, ce qui en fit l’un des axes de son appel à l’Europe des Douze pour le Proche-Orient, publié à l’été 1993 [3], alors même que les négociations des accords d’Oslo préparaient le triomphe de Washington sur le plan de la diplomatie internationale.
Une communauté de valeurs à peine initiée, déjà menacée
Par son approche, Théo Klein nous laisse de lui le souvenir d’un initiateur de la réflexion européenne autour de la lutte contre l’antisémitisme et le racisme. Cette lutte devait intégrer une communauté de valeurs, et le sillon dans lequel s’engagea son successeur direct à la tête du CRIF, le Strasbourgeois Jean Kahn. Par son travail étroit avec les organisations européennes et à l’initiative de l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes, désormais agence de l’Union européenne, ce militant des droits de l’homme contribua à armer institutionnellement l’Europe.
Mais ce qui représentait une espérance à l’aube du XXIème siècle fut rapidement balayé par des actes appelant une vigilance qui jamais ne devait faiblir. Cette nécessité de vigilance a transparu dans le discours du président allemand Franck-Walter Steinmeier à Yad Vashem, lors des commémorations du mois de janvier 2020. Une mise en garde contre les démons du passé qui résonne toujours en Alsace, terre de Jean Kahn, symbole du miracle de la réconciliation et régulièrement meurtrie par le vandalisme dont font l’objet ses cimetières israélites.
Enfin, comme tombe un couperet, le rapport annuel de l’ECRI [4] constatant la multiplication des actes et de la banalisation des discours racistes fut publié le 27 février. Théodore Klein souhaitait que l’Europe figure comme modèle d’une diplomatie de réconciliation. Il est désormais certain que pour honorer ce vœu, l’Europe devra dans un premier temps achever sa réconciliation avec elle-même.
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