Avant toute chose, sur votre métier de dessinateur-caricaturiste, pourquoi et quand avez-vous décidé de vous engager dans cette profession ?
Comme beaucoup de caricaturistes, j’y suis tombé parce que j’adorais dessiner. Je dessinais toujours lorsque j’étais enfant. Quand j’ai eu 18 ans, j’ai dû faire face à un choix : allais-je me diriger vers une école d’art ? Finalement, j’ai opté pour les sciences politiques. Mais je n’ai jamais perdu mon attirance pour le dessin et j’ai décidé plus tard d’en faire mon métier, malgré les difficultés.
Nous pouvons penser que l’Europe et l’Union européenne ne sont pas des sujets très accrocheurs. Pourquoi réalisez-vous des dessins sur les actualités et les thématiques européennes ? Et quelles sont plus généralement vos inspirations ?
C’est tout simplement parce que j’ai toujours considéré que l’Europe est importante. Toutes les choses à propos desquelles je dessine peuvent être étudiées à un niveau européen. Le changement climatique, la question des réfugiés, tout cela a évidemment des conséquences pour l’Union européenne. Ces questions m’intéressent beaucoup et lorsque je m’assois et que j’y réfléchis, je me rends compte que la politique néerlandaise sur ces sujets n’est pas la seule à pouvoir être examinée, je dois l’élargir au monde entier. Économie, société, politique… Je suis diplômé en relations internationales. J’ai un intérêt marqué pour l’actualité, comme un journaliste, je me maintiens informé, cela fait partie de mon travail.
Comment a évolué votre métier depuis que vous avez commencé votre carrière de dessinateur de presse ? Que pensez-vous de la protection des caricaturistes et de la liberté d’expression en Europe et dans votre pays, les Pays-Bas ?
Je pense que j’ai commencé il y a environ 17 ans et cela m’a pris 7 ans pour vraiment me débrouiller dans le métier avec des commandes. J’espère pouvoir continuer comme ça pendant longtemps. Cependant, je ne suis pas très optimiste quant au métier de caricaturiste. Regardez l’état de la liberté de la presse. Vous pouvez penser à l’attentat de Charlie Hebdo en France. Et au-delà du danger, il devient de plus en plus difficile de vivre de ce travail. La situation économique n’est pas favorable, des médias abandonnent la publication de caricatures.
Vos dessins sont publiés dans divers médias et journaux européens. Constatez-vous des différences dans la manière dont ils sont publiés ? Prenez-vous en compte les différences qui peuvent exister en termes d’humour entre différents pays ?
En fait, je me considère comme très chanceux d’être un dessinateur de presse néerlandais. Quand vous regardez les classements concernant la liberté de la presse, nous sommes toujours dans les dix premiers. Mais il y a une chose que je souhaiterais changer actuellement, les dessinateurs de presse ne font pas partie des organisations journalistiques et ne bénéficient pas des mêmes protections. Concernant les différences entre les médias, elles existent, mais je ne vais pas changer mes dessins pour autant. Je peux plus ou moins pressentir ce qui fonctionnera en fonction de l’audience mais, de toute façon, c’est très difficile de changer de style. J’ai appris à être satisfait de ce que je produis.
Concernant Cartoon Movement : pourquoi avez-vous décidé de prendre la tête de cette organisation ? Et comment fonctionne-t-elle aujourd’hui ?
Je travaillais avec une plateforme journalistique et un jour, certains des membres m’ont fait part de leur volonté de créer une plateforme internationale pour les journalistes et m’ont demandé si j’étais intéressé pour réaliser la même chose mais pour les dessinateurs de presse. C’était il y a à peu près douze ans. Cartoon movement est devenu une communauté de plus de 600 dessinateurs, répartis partout dans le monde. Nous sommes une plateforme de publication et en arrière plan, nous gagnons de l’argent en revendant des dessins. Nous pouvons également développer des projets sur des sujets spécifiques comme nous l’avons fait avec le Conseil de l’Europe.
Vous êtes également membre de Cartoonists Rights Network International, et de Cartooning for peace… Comment ces organisations vous aident-elles, vous et d’autres professionnels ?
De manière générale, toute organisation qui favorise le dessin de presse et la caricature est une bonne chose. Nous travaillons de manière très rapprochée, particulièrement en ce qui concerne la surveillance de nos droits. Mais c’est plus que cela. Nous aidons des dessinateurs lorsqu’ils en ont le besoin. Récemment, nous avons aidé H., un caricaturiste de Kaboul. H. a travaillé avec Cartoon movement sur plusieurs projets internationaux de caricatures. Il a dû quitter le pays, craignant pour sa vie alors que les talibans avançaient vers Kaboul. Avec l’aide du ministère néerlandais des Affaires étrangères (qui a financé plusieurs de nos projets, y compris ceux auxquels H. a participé), nous avons pu l’inscrire sur la liste d’évacuation. Avec un peu plus de chance encore, H. a pu atteindre l’aéroport après un voyage ardu et plusieurs tentatives infructueuses et se trouve actuellement en sécurité aux Pays-Bas. Nous essayons d’aider les caricaturistes du monde entier, mais étant donné l’état de la liberté de la presse, certaines parties du monde n’ont aucun caricaturiste politique. La Chine en est un exemple, bien que nous ayons quelques caricaturistes à Taiwan et à Hong Kong.
Sur un autre sujet, comment avez-vous réagi à votre nomination aux European cartoon award ? Pensez-vous que ce type de prix est un bon moyen pour permettre aux Européens de découvrir le travail d’autres dessinateurs du continent ?
Je me sentais trop bien, évidemment ! Je suis très honoré que mes dessins aient été nominés. Toutes les initiatives qui attribuent des prix aux caricatures sont une bonne chose, surtout au niveau européen, car je pense, et j’espère, que cela pourrait développer la pratique. Quand vous regardez les 16 dessins retenus, ils portent tous sur des sujets paneuropéens importants, et c’est une bonne chose que ce prix les mette en lumière. Regardez quelque chose comme le « World Press Photo », qui est organisé chaque année et qui permet de montrer les images dans un lieu unique, cela nous raconte une histoire. Et les dessins de presse, à l’image des photographies, racontent des histoires. Les caricatures nominées vont faire l’objet d’une exposition, pour gagner en visibilité.
L’un des deux dessins retenus, “European Democracies”, concerne la situation politique du Bélarus. Quel est votre regard sur le Bélarus et l’action de l’Union européenne à ce sujet ?
J’essayais d’être optimiste sur ce point mais l’UE peut faire tellement plus avec le Bélarus. Si nous souhaitons que l’Union européenne soit une organisation basée sur des valeurs, la démocratie doit être l’une des plus cruciales de celles-ci. Mon dessin était tout particulièrement axé sur cette opinion.
Et votre autre dessin retenu, “Summertime in Europe” ?
Je pense que durant la pandémie, à un moment donné cet été, les gens semblaient oublier le coronavirus. Pendant la période estivale, après les confinements, tout le monde agissait comme si nous étions passés à autre chose. Mais ce n’était pas la fin de la pandémie.
Une dernière question : comment représentez-vous généralement l’Union européenne dans vos coups de crayons ?
J’ai l’habitude de faire référence à l’UE dans les dessins de presse avec le symbole des douze étoiles jaunes sur un champ bleu, car je pense que c’est le plus reconnaissable pour la plupart des gens. La référence mythologique d’Europe sur le taureau échappe à beaucoup de gens, et dessiner l’Europe sous la forme d’une vieille (ou jeune) femme encourt le risque d’être considéré comme sexiste. Ainsi, lorsque j’ai besoin de personnifier l’Union européenne, je dessine généralement un homme chauve d’âge moyen en costume, comme un symbole des politiciens européens gris que personne ne connaît ou comme un symbole de la bureaucratie bruxelloise.
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