Si on se fonde sur la géographie classique, seule 3% du territoire turc est véritablement européen, le reste se situant en Asie (mais la partie européenne concentre 15% de la population). Cette portion de territoire semble cependant suffisante pour arguer que la Turquie est européenne, comme le montre son statut officiel de candidat. D’autre part, le critère géographique est difficile à opposer à l’adhésion de la Turquie, puisque Chypre, selon les canons de la géographie classique, n’est pas non plus en Europe.
Certes, la comparaison s’arrête là puisque la Turquie diverge tant par son étendue que par sa population. Mais la géographie est un argument extrêmement difficile à manier puisqu’elle est une construction arbitraire qui ne correspond à aucune réalité tangible. Ainsi, les chaînes de montagne Turques ne sont que le prolongement des Alpes. D’ailleurs le continent européen en tant que tel n’a pas de réalité au sens physique du terme, puisque l’Europe (et la Turquie) font partie de la plaque eurasienne. Ce qui explique que dans les écoles primaires américaines, on étudie les 5 continents suivant : l’Amérique du Sud, l’Amérique du Nord, l’Océanie, l’Afrique et l’Eurasie. Mais pas l’Europe (!) puisque, de fait, il n’existe pas de continent européen.
Aussi, l’argument de la non appartenance de la Turquie à l’Europe n’a-t-il aucun sens géographiquement parlant. D’ailleurs, il semble que le caractère non extra européen de la Turquie ai été déjà tranché par de nombreuses organisations : la Turquie est l’un des membres fondateurs du Conseil de l’Europe, de l’OSCE, et ses équipes de foot jouent en coupe de l’UEFA. La Turquie est également membre de l’Organisation du Traité Atlantique Nord (OTAN), alliance euro-atlantique par définition. Or la Turquie ne se situant pas en Amérique du Nord, on ne peut qu’en déduire qu’elle se situe en Europe.
Un passé commun mais mouvementé
Il est également difficile d’arguer que la Turquie et l’Europe ont des histoires distinctes, bien qu’elles ne soient pas totalement communes. La Turquie est une puissance européenne majeure depuis des lustres, ses conquêtes s’étant étendues jusqu’aux portes de Vienne (mais également jusqu’en Égypte et loin jusqu’au Moyen-Orient). Au 19e, on parlait de la Turquie comme de « l’homme malade de l’Europe ».
Certes, la Turquie a plus souvent été perçue comme un adversaire, voire une menace que comme un pays partageant une destinée européenne commune. Mais si le caractère historiquement belliqueux des relations de la Turquie avec les diverses autres puissances européennes suffit à nier le droit de la Turquie à intégrer l’Union européenne, c’est oublier la vocation première de la construction européenne, i.e. intégrer les adversaires d’antan dans une structure supranationale pour éviter toute résurgence guerrière.
Une communauté de valeurs est-elle possible avec la Turquie ?
Mais au-delà de sa vocation pacificatrice, l’UE se veut une communauté de valeur. Repousser l’adhésion de la Turquie tant que les valeurs essentielles de l’UE (démocratie, droits de l’homme et de la femme, droit de propriété, liberté de penser…) ne sont pas respectées est un devoir, mais le caractère universaliste de ces mêmes valeurs fait que la Turquie peut parvenir, à terme, à les faire siennes. Aussi, on ne peut écarter que de façon temporaire l’adhésion de la Turquie au nom de cette communauté de valeur. S’il reste encore beaucoup de progrès à faire, la Turquie semble pourtant être sur le bon chemin puisque les récentes élections ont montré que la démocratie y est vivace et que le pays est capable de résoudre une grave crise institutionnelle et politique par les urnes. L’accession au statut de membre à part entière de l’UE d’une Turquie démocratique et respectueuse des droits fondamentaux serait le plus éclatant succès de la politique étrangère de l’UE, démontrant ainsi l’efficacité du spill-over et du soft power.
Ce serait également la preuve que l’Union européenne n’est pas un « club chrétien ». Mais de là à penser que l’UE s’attirerait les faveurs du monde musulman, il n’y a q’un pas à ne pas franchir ; ce serait en effet oublier que les turcs, bien que musulmans, ne sont pas portés dans leur cœur par leurs co-religionnaires, justement parce qu’ils sont jugés trop européanisés : consommation de raki, faible assiduité à la mosquée, mœurs jugées par trop libérales…
La Turquie, atout ou danger pour la politique étrangère de l’UE ?
La politique étrangère de la Turquie joue aussi un rôle dans le désamour entre les Turcs et les reste du monde musulman. En effet, la Turquie est alliée à Israël et a toujours été un fort soutien des Etats-Unis dans la région. Soutien qui a amené certains à dénoncer la Turquie comme un second cheval de Troie qui en cas d’adhésion inféoderait l’UE encore d’avantage aux intérêts de l’hyper puissance américaine. Mais une telle position ne peut résulter que d’une mauvaise connaissance de la politique étrangère de la Turquie, qui frappe d’avantage comme extrêmement indépendante que comme alignée sur celle d’une quelconque puissance. En témoigne le refus turc de laisser les Etats-Unis utiliser leur espace aérien et leurs bases lors de la seconde guerre du Golfe.
En fait, la Turquie pourrait s’avérer être un atout géostratégique pour l’UE, notamment en permettant à l’Union de briser le monopole stratégique des USA au Moyen-Orient et en lui donnant une possibilité de contrôler les flux de pétrole et de gaz en provenance de la Caspienne et du Golfe, assurant ainsi pour partie la sécurité des approvisionnements énergétiques des pays membres.
Mais intégrer la Turquie serait également synonyme de défi stratégique et diplomatique pour l’UE, puisqu’elle aurait désormais des frontières avec des pays aussi dangereux ou instables que l’Iran, la Syrie ou l’Irak. Sans compter que l’Union devrait faire face à une éventuelle gestion du problème kurde, puisque la Turquie abrite une forte communauté de ce peuple disséminé entre la Turquie, l’Irak et l’Iran. Or, la Turquie n’a pas exclu d’agir militairement au Kurdistan irakien si ce dernier supportait les velléités indépendantistes des kurdes de Turquie.
Le problème chypriote : un sujet épineux
L’autre grand problème, c’est la non reconnaissance par la Turquie de la république chypriote grecque. Comment envisager d’intégrer un pays au sein d’une Union dont il ne reconnaît pas tous les membres ? C’est la raison de la clôture de 8 des 35 chapitres de négociations d’adhésion en décembre dernier. Mais le problème chypriote est plus complexe qu’il n’y paraît. En effet, normalement les deux parties de l’île devaient se réunifier en 2004 et entrer ensemble dans l’Union européenne. Mais, alors que la partie turque a voté pour le plan de réunification de l’ONU, la partie grecque a voté contre. Cette dernière est donc entrée seule dans l’UE, au grand dam de la Turquie et des Chypriotes turcs.
Conclusion
Au final, la vocation européenne de la Turquie ne peut être totalement niée. Et l’on est bien forcé de constater que tous les obstacles qui pourraient s’opposer à une éventuelle adhésion de la Turquie pourraient êtres levés dans les décennies à venir. Les récentes élections sont d’ailleurs la preuve du pouvoir évanescent de l’armée et viennent conforter la solidité de la démocratie turque.
Certes, c’est un parti islamique (mais pas islamiste !) aux rênes du gouvernement, mais il se veut l’équivalent de la démocratie chrétienne, et jusqu’à présent, il faut bien reconnaître que ce parti à plus fait dans le sens de la démocratisation et du rapprochement de l’UE que l’ensemble des gouvernements laïques qui l’ont précédé. La volonté d’intégrer un jour l’Union semble être le moteur qui réussira pour la première fois à rendre Islam et démocratie pleinement compatibles dans un pays musulman.
Mais la grande question, en tant que fédéraliste, n’est pas tant de savoir si la Turquie remplira ou non les critères pour entrer un jour dans l’Union européenne, mais plutôt de s’assurer que, si la Turquie venait un jour à rejoindre notre communauté, elle ne serait pas un obstacle à l’avènement de l’Europe fédérale que nous appelons de nos vœux. Et c’est cela qui devrait guider notre réflexion et nos positions vis-à-vis de la Turquie.
Cet article a déjà été publié le 7 septembre 2007.
1. Le 7 septembre 2007 à 08:43, par Ronan En réponse à : Turquie et Union européenne
Dans les écoles primaires américaines, on étudie les 5 continents suivant : l’Amérique du Sud, l’Amérique du Nord, l’Océanie, l’Afrique et l’Eurasie. Mais pas l’Europe (!) puisque, de fait, il n’existe pas de continent européen.
Re : Et dans le système scolaire français, les choses se font autrement et en deux étapes. D’abord, on étudie (en niveau Collège) les dénominations traditionnelles et leurs limites conventionnelles.
Et, ensuite (en Lycée), on réfléchie sur ces contenus, sur la ’’construction’’ de ces notions, sur la validité scientifique de celles-ci, et on apprend à en relativiser le caractère éminemment conventionnel et complètement arbitraire.
PS : Il est toujours étonnent de constater à quel point ce cours complémentaire de Lycée est toujours si mal compris et si mal intégré ; au profit des seules données superficielles apprises dans les ’’petites classes’’ (et au détriment de l’exactitude et de la seule rigueur scientifique...).
Aujourd’hui près de 80% des Enseignants d’Histoire-Géo du secondaire sont Historiens de formation (et non Géographes) : ceci explique cela ?!
2. Le 7 septembre 2007 à 13:57, par David En réponse à : Turquie et Union européenne
agréable de lire un article équilibré sur un sujet aussi passionnel ! merci Stéphane.
3. Le 7 septembre 2007 à 17:24, par Stéphane-Emmanuel RAYNAUD de FITTE En réponse à : Turquie et Union européenne
Je suis particulièrement heureux de lire de tel propos sur notre site ! Tout ce qui est précisé résonne avec un écho vibrant à ce que je m’efforce aussi de faire comprendre sur cette question qui, quoiqu’en disent certains, reste finalement d’une actualité brûlante et permanente, comme le démontre parfaitement la conclusion de cet article ! Stéphane, deux mots : merci et bravo !
4. Le 8 septembre 2007 à 23:58, par Munir En réponse à : Turquie et Union européenne
Si l’UE ne devrait se construire que sur le seul critère géographique, il va falloir exclure un certain nombre de pays (comme la France) de l’Union. A ma connaissance l’Europe « géographique » n’a pas de frontière commune avec l’Océan Indienne (Ile de la Réunion) et L’Amérique du Sud (La Guyane).
5. Le 10 septembre 2007 à 08:23, par Valéry En réponse à : L’opinion réticente
Le site touteleurope.fr publie l’information suivante (je la cite intégralement, leur site étant en Creative Commons) :
Adhésion de la Turquie : l’opinion publique reste à convaincre 03/09/2007 11:32
« What Europeans think about Turkey and why ? » par Katinka Barysch Centre for European Reform - Briefing note - août 2007
Les derniers sondages montrent qu’une part croissante des Européens manifeste son opposition à une adhésion de la Turquie à l’UE. Katinka Barysch dresse, pour le CER, un état des lieux de l’opinion publique sur cette question.
Selon elle,« l’époque de l’intégration et de l’élargissement ’à la dérobée’ est terminée ». L’opinion veut désormais avoir son mot à dire dans les grandes évolutions de l’UE et demande à être convaincue de leurs bénéfices. Problème pour les partisans d’une Turquie européenne : « les craintes populaires liées à l’adhésion sont immédiates et personnelles : perte d’emploi, peur du terrorisme, affaiblissement de la culture nationale. Les bénéfices sont quant à eux (…) plutôt abstraits : croissance économique, renforcement de la politique étrangère européenne, sécurité énergétique ».
Autre facteur de défiance : le débat sur la Turquie renverrait à des réflexions bien plus larges (sur la nature même de l’Europe, sur l’intégration des populations immigrées) qui charrieraient beaucoup d’arguments hors-sujet. Qui plus est, la Turquie jouit d’une image globalement négative, qui tend à persister dans les opinions publiques en dépit de l’évidente modernisation du pays. Cependant, lorsqu’on demande aux Européens s’ils sont prêts à accueillir la Turquie « une fois que celle-ci aura rempli toutes les conditions posées par l’UE », les réponses sont moins défavorables.
Les analystes notent également chez les citoyens européens une « fatigue de l’élargissement » consécutive à l’extension de l’UE en 2004 et 2007. Une fatigue qui, selon l’auteur, pourrait vite être oubliée en cas d’amélioration des performances économiques au sein de l’UE.
Katinka Barysch en conclut que « l’opinion publique ne constitue pas un obstacle insurmontable pour l’adhésion de la Turquie », à condition que les dirigeants turcs poursuivent leurs efforts pour rendre leur pays moderne et attractif et que les gouvernants européens éclairent davantage l’opinion sur ce sujet.
6. Le 10 septembre 2007 à 22:05, par Atilla Barýþ En réponse à : Turquie et Union européenne
Un grand merci a Mr. Wakeford qui a su brillamment analyser la Turquie et ses relations avec l’UE, enfin un papier qui développe un raisonnement pertinent, meme si la question de Chypre a été « volontairement » survolé et l’accent sur le comportement non conciliateur de Papadopoulos et de son intervention televisee pour influer sur le referendum a ete omis. Ouvrir les yeux, c’est mieux voir le probleme.
La Turquie refuse effectivement d’ouvrir ses ports et aéroports a un pays devenu membre de l’UE en 2005 alors que le probleme etait deja la depuis 1974, voire meme avant puisque l’intervention (l’operation de paix) de la Turquie sur l’ile avait pour seul but de rétablir la sécurité de la communauté turque persécutée par les grecs. On peut dire d’une certaine façon que la Turquie a vraiment réussie dans cette voie puisque l’île a retrouvée un semblant de paix depuis. On voudrait faire croire que Chypre a toujours été héllénique comme on pourrait faire croire que les Etats-unis ont toujours été WASP.
C’est le manque de vision et l’incapacite de traiter les problemes dans leur contextes politiques de l’UE qui est a l’origine de cette situation. Au contraire la Turquie a fortement influee sur les dirigeants de la partie turque pour que le resultat du referendum soit un succes. Mais ce sont ceux qui ont dit non qui ont rejoins l’UE. l’Europe a ainsi creee une situation « de facto » ou les « fouteurs de troubles » sont récompensés et les conciliateurs punis. Sont-ce la les valeurs de l’UE ? les droits (et obligations je le precise) universels de l’homme ? l’Europe doit se reprendre et se resaisir. Le juste doit prévaloir sur l’arbitraire. L’Europe, pour ne pas perdre de sa credibilité et de sa force motrice, doit prouver que ces valeurs s’appliquent non seulement aux Européens mais aussi a ceux qui aspirent a le devenir. L’Europe doit éviter le passionnel pour enfin atteindre le rationnel. On en est loin. A voir les conditions imposées a la Turquie, si ces conditions avaient été appliquées de la meme façon a bon nombre d’autres pays candidats, ils n’auraient jamais rejoins le club des 27, ni la Bulgarie ni la Roumanie. L’Europe, si elle avait elle meme respecté ses propres valeurs, aurait dû imposer a Chypre du Sud de régler son contentieux avec la partie nord avant de promettre son adhésion, sur le principe du bon voisinage. Aujourd’hui le probleme chypriote a moins de chance d’aboutir a une solution de paix durable car les grecs n’ont plus rien a perdre. La Turquie non plus...Mais l’Europe oui ! car elle perd de sa crédibilité.
7. Le 13 octobre 2007 à 22:44, par ? En réponse à : Turquie et Union européenne
En désaccord avec la thèse développée dans cet article, je ne reconnais pas moins le sérieux des arguments utilisés par un fédéraliste dans l’âme. Pour ma part, de la même manière qu’il n’y avait que peu de raisons à rejeter les candidatures chypriote ou croate dans l’UE, il faut reconnaître que la Turquie aurait tout autant sa place en « Europe ». Cependant, je trouve que votre partie à propos de la communauté de valeurs avec ce pays est la plus faible. En effet, si les valeurs issues des Lumières notamment développées dans la France du XVIIIème siècle se sont diffusées dans les vieilles nations chrétiennes, je doute qu’elles s’incarnent aussi aisément en Turquie. L’exemple irakien, certes pays différent de la Turquie, illustre à quel point il est osé de croire en l’universalisme de doctrines théorisées dans des zones culturelles différentes. Toutefois, je donne rendez-vous dans « au moins dix ans », selon Orhan Pamuk, pour connaître l’issue de ces négociations.
8. Le 25 octobre 2007 à 20:59, par JB En réponse à : ...
Et le Génocide Arménien ? Et la place des femmes ? Et la place des minorités, Kurdes notamment ? Pourquoi ne pas en parler ?
...
JB
9. Le 26 octobre 2007 à 07:29, par Fabien Cazenave En réponse à : ...
Arf, le génocide arménien ne fait pas parti (malheureusement) des critères du dossier d’adhésion... Mais il est clair que c’est une chose que nous devons mettre en avant également au moment des futures nouvelles négociations.
Pour le reste, cela fait parti des droits de l’homme : donc la Turquie a tout un travail à faire dessus encore et n’est pas prête d’entrer dans l’Union européenne, rien que pour ces raisons là.
Cependant, l’une des complexités du dossier turque est le décalage qu’il peut y avoir entre villes et campagnes... La Turquie doit déjà remplir les conditions qui lui sont posées : c’est déjà un vrai défi.
10. Le 26 octobre 2007 à 13:14, par Ronan En réponse à : ...
Le Génocide Arménien, la place des femmes et la place des minorités, Kurdes notamment (etc) : on n’en parle pas ici, puisqu’on en parle là.
11. Le 25 novembre 2007 à 18:42, par Stéphane Wakeford En réponse à : Turquie et Union européenne
L’objet du passage sur les valeurs dans l’article est de s’interroger dans l’absolu, et non de se demander si et dans quelle mesure ces valeurs peuvent s’incarner en Turquie. Puisque l’UE considère ses propres valeurs comme ayant un caractère à vocation universelle, elle doit envisager l’éventualité qu’un pays candidat comme la Turquie puisse à terme parvenir à cette communauté de valeurs. Il faut donc s’interroger sur les avantages et les incovénients que repésenterait l’intégration de la Turquie pour l’Union avant de s’interroger sur la capacité de ce pays à assimiler les valeurs de l’UE. Il est en effet assez peu correct de demander à un pays d’adhérer à des valeurs dans le but d’intégrer le club européen alors même que s’il parvenait un jour à les faire siennes il se verrait tout de même refuser l’adhésion au nom d’autres considérations (géographiques, géopolitiques...). D’où la nécessité de se poser la question en amont : si la Turquie parvenait à se conformer aux valeurs européennes, devrait-elle intégrer l’UE ou serait-elle malgré tout un obstacle à l’avènement d’une Europe fédérale ?
12. Le 17 décembre 2007 à 17:30, par COLPIN Didier En réponse à : Turquie et Union européenne
EUROPE ET TURQUIE
– Le « Non » au Traité constitutionnelle est encore dans toutes les mémoires. Mais est-ce pour autant l’ « Europe » qui a été ainsi rejeté ? Non, tout le monde en convient ! L’a été une certaine vision, compréhension, conception de l’Europe. Le fameux « sens des mots », trop souvent source d’incompréhension, de confusion … Et au sein des causes de ce rejet figurent en bonne place la Turquie !
– Alors, ce pays, européen ou pas ?
– Remarquons que répondre par la positive, reviendrait à admettre que l’Iran et l’Irak ont une frontière commune avec le vieux continent... Tout de même estomaquant…
– Décortiquons, autant que faire ce peux en quelques lignes obligatoirement réductrices. Certains mettront en avant le fait que la Turquie est laïque, et que son alphabet est le latin ! Pourquoi donc ne pas l’accepter ?
– Notons d’abord que cette position indique que les frontières (ou leurs absences) ne sont pas que géographiques, elles peuvent également être culturelles.
– Commençons par les géographiques. La formule de Gaule est connue : l’Europe s’étend de l’Oural à l’atlantique et s’arrête au Bosphore. Cohérent. Mais, en rapport avec notre question, il y a un « hic »… La Turquie se jette sur des deux rives du Bosphore, et les puissances victorieuses du premier conflit mondial qui ont redessinée, avec un trait de plume parfois malheureux, les frontières ont validé cet existant. Aussi, de quel côté faire pencher la balance ? Et si l’ont prenait tout simplement comme unité de mesure le km2 ? Où en trouvent-on le plus ? En Europe ou en Asie ? Evident, non…
– Frontières culturelles. Comme « nous », n’est-elle pas laïque, et si l’écriture est un des éléments constituant la culture d’un peuple, comment ne pas mettre en avant son alphabet, latin comme celui que « nous » utilisons ? Effectivement… Mais tout cela n’est que greffon au devenir incertain… Un risque réel de rejet par la souche existe…
– Osons aborder à présent un sujet tabou, un sujet qui fâche, l’origine chrétienne de l’Europe, de ses valeurs, de sa culture ! Pourtant, est-ce plus choquant que de souligner le poids de l’Islam dans la culture des pays arabes ?
– A la façon d’une plaque photographique classique qui renvoi une image inversée, la laïcité turque est l’inverse de la notre (occultons le fait que la laïcité française n’est pas la laïcité anglaise etc.…) : L’histoire européenne du XX siècle ne manque pas d’exemples -pensons à l’Espagne de Franco- ou un pouvoir « fort » utilise la puissance de l’armée pour imposer une idéologie religieuse au mépris de la laïcité, alors qu’en Turquie, à partir des années 20, le pouvoir a utilisé la force de l’armée pour imposer la laïcité, au mépris de l’idéologie religieuse dominante… D’ailleurs le mot « laïque » est inconnu du vocabulaire arabe et le terme turc utilisé est emprunté au vocabulaire occidental… Car au delà du mot, le concept même véhiculé par « laïcité » est extérieur à l’Islam radical où le rejet de la foi (islamique) ne peut conduire l’ « apostat » qu’à la mort physique ordonnée par un corps social qui en agissant ainsi se purifie… En français cela s’appelle un meurtre, un assassinat, tout comme le sont tout également les « crimes d’honneur », coutumiers en Turquie…
– Revenons en France. La sérénité et le recul que donne l’écoulement du temps, permet de dire que, paradoxalement, et au-delà des déchirements consécutifs à la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, et à l’opposition des « culs bénis » et des « bouffeurs de curés », la laïcité est aussi fille de la célèbre parole christique « Rendez les choses de César à César et les choses de Dieu à Dieu »… Dans la même veine, pourquoi les « Droits de l’homme » peinent-ils tant à s’imposer et à prospérer en pays musulmans ? Car ils ont été conceptualisés sur le terreau fertile des valeurs chrétiennes, de l’humanisme chrétien, pour devenir l’expression d’un christianisme déchristianisé, d’une foi chrétienne désacralisée, laïcisée…
– Ouvrons une parenthèse. Ne confondons pas tolérance et laïcité. Nous parlions à l’instant de « bouffeurs de curé », terme né à une époque ou le paysage religieux français métropolitain était majoritairement occupé par le catholicisme. Aujourd’hui existe toujours des « Talibans de la laïcité » qui prônent l’athéisme comme Vérité révélée et rêvent de marginaliser les citoyens qui ont pour défaut d’être croyants et de le dire ! Espagne mauresque : L’arrivée des arabes en Espagne au VIII° siècle mit fin à la persécution dont les juifs étaient victimes de la part des Wisigoths qui avaient abandonnés l’arianisme pour le catholicisme. Et pendant de nombreux siècles sous domination musulmane, l’Espagne a été une terre de paix et de tolérance pour les trois religions monothéistes ! Comme quoi, Islam n’est pas toujours synonyme de fanatisme et d’intolérance…
– Fermons la parenthèse.
– Quand-à l’alphabet latin, il est entré en Turquie à la même époque que la laïcité et lui aussi au forceps, l’Empire ottoman utilisant l’alphabet arabe, c’est-à-dire il y a moins d’un siècle. Alors que « chez nous », déjà avant les premiers écrits en « français » du XV° siècle, les lettrés qu’étaient les clercs, écrivaient évidement et depuis « toujours » en latin !
– Aussi, tant pour des raisons géographiques que culturelles, il me semble difficile de prétende que la Turquie puisse avoir vocation à intégrer l’Europe ou la communauté européenne, notions qui sont différentes (La Suisse appartient à la première mais pas à la seconde). Et, pour prétendre le contraire, que l’on ne mette pas en avant un quelconque partenariat économique ! L’Europe peut commercer si elle le souhaite avec l’Afrique du sud sans pour autant que ce pays entre dans l’Europe ! Identique pour la Turquie !
– Prétendrais-je que ce rejet affirmé, que cette position est vérité, réalité objective ? Non...
– Pour prendre conscience de la relativité des certitudes, également des certitudes géographiques, transportons-nous au temps de Rome.
– Si l’Empire romain prétendait à l’universalité, dans les faits, des frontières se sont imposées : Au nord, l’Ecosse (le mur d’Hadrien). A l’ouest, évidement l’atlantique. Au nord/est le Rhin et le Danube. Au sud l’Afrique noire (les pays de Maghreb étaient partie intégrante de l’Empire -neutralisons Carthage-) Au sud/est le Tigre et l’Euphrate. Cela pour souligner que si la géographie peut dire ce qu’est l’Europe, cette définition ne vaut que pour « aujourd’hui » (au sens de l’Histoire). Si nous demandions à nos contemporains européens où se trouve le centre géographique de l’Europe, qui citerait la capitale de l’Italie ? Personne ! Mais l’Empire s’est construit autour de la Méditerranée avec en son centre cette ville, Rome, elle même située sur cette péninsule, cet appendice pénétrant ce « centre du monde » qu’était la « Grande mer », comme on l’appelait alors. Toujours à cette époque, le civilisé, était logiquement de type méditerranéen, c’est-à-dire pas très grand, brun et basané. Et le barbare, lui était grand, blond et à la peau très blanche… Relativité des concepts, disions-nous… Et parmi ces barbares, il est des tribus germaniques qui allaient nous devenirs « chers » à nous français, celles des Francs…
- Le rapport avec notre sujet ? Dans le monde romain, la région nommée de nos jours Turquie ne posait pas de problème : elle appartenait à l’Empire, tant pour des raisons géographiques que culturelles ! Et elle n’était même pas en zone frontière ! Et le latin, comme ailleurs, y était aussi la langue officielle, administrative ! Mais cela était il y a « deux milles ans »…
– Certitudes, avez-vous un socle digne de ce nom ?
- Pour conclure, maniant le paradoxe, clin d’œil à Edmond Wells et à son Encyclopédie du savoir absolu relatif, je dirais que la Turquie ne fait pas partie de l’Europe et qu’il s’agit là d’une position objective élaborée au sein d’un concept qui lui, ne l’est pas… Cette affirmation découle d’une prise de conscience selon laquelle il n’y a pas une vision du monde mais plusieurs, indissociables de grilles de lecture, parfois inconscientes, qui sont autant de filtres. Et la pseudo objectivité de la de la stricte géographie s’efface devant le poids de la géopolitique qui elle-même s’efface devant celui de la géoculture, autant de réalités subjectives dans leurs valeurs.
COLPIN Didier
13. Le 23 avril 2008 à 15:56, par laurent En réponse à : ...
Les critères d’adhésion sont formulés en terme vague : c’est l’auberge espagnole et chacun y trouve ce qu’il y met.
La Commission qui veut absolument et aveuglément faire adhérer la Turquie a décidé que le génocide des Arméniens n’en fait pas partie.
Mais le Parlement n’est pas de cet avis et les citoyens non plus. Si l’UE était démocratique, la Commission se soumettrait à l’avis du Parlement....mais l’UE n’est pas démocratique, malheureusement
14. Le 23 avril 2008 à 16:35, par Fabien Cazenave En réponse à : Les critères d’adhésion
En recherchant sur internet, c’est effectivement en 1987 que le Parlement européen a reconnu le génocide arménien. Il l’a même réaffirmé en 2003.
Cependant, il me semble que ce sont les États-membres qui ont conclu à l’accord sur la candidature effective de la Turquie ?
Quant à la démocratie, il faut effectivement plus de pouvoir au Parlement européen. Cela passe notamment par une liaison plus forte avec la Commission. Les élections européennes de 2009 en ont l’enjeu en partie...
15. Le 10 mai 2008 à 21:07, par ? En réponse à : Turquie et Union européenne
Deux aspects m’apparaissent importants et ils s’opposent à une vision rétrécie de l’Europe.
1) La péninsule continentale européenne est une imbrication de mers et de terres et à ce titre les mers comme espace européen est essentiel. Dès lors la Mer Noire (Pont-Euxin romain) et le bassin oriental de la Méditerranée deviennent des éléments stratégiques de l’ensemble, sans oublier l’avancée vers la Mer Caspienne et de ce fait une force pouvant pousser à la stabilisation de ces zones frontalières (Georgie, Arménie...) qui seront peut-être un jour intégrées.
On peut d’ailleurs évoquer la même situation pour le bassin occidental méditerranéen et les pays du Maghreb. Quelle est la meilleure frontière au sud ? La Méditerranée ou le désert ? Si l’union pour le Méditerranée est un palier, il est néanmoins nécessaire de poser le problème d’une Union Européenne qui s’étendrait vers l’Asie Mineure ’(et non vers la Russie qui s’est de facto ancrée à l’est et on peut dire que c’est la Sibérie qui a annexé une partie de l’Europe) et vers l’Afrique du Nord en parlant de Grande Union.
2) L’aspect historique de nos racines en terme de civilisation que l’on peut lier aussi au développement du monothéisme (voir le fameux Mont Ararat) avec ses déchirements chroniques. Intégrer un grand pays musulman est une manière de montrer la. capacité de Union à devenir un modèle démocratique et donc à apaiser ses frontières. On peut d’ailleurs se demander à quel continent politique appartient l’Irak ce qui rejoint le premier paragraphe avec une vocation géographique d’accès à un maximum de mers (regardez un globe terrestre pour bien imaginer cet espace continental-et-maritime unique sur la planète). On peut penser que l’Iran s’attachera au bloc russo-sibérien afin de lui ménager une façade maritime au sud (et vu une proximité de régimes assez monolithiques), d’où une frontiére logique orientale. La question de la Libye (du fait de son régime actuel), de l’Egypte (du fait de son passé très particulier la plongeant loin dans l’Afrique via le Nil), et de l’Arabie Saoudite (La Mecque qui appartient à tous les Musulmans donc à ceux de l’Orient), voire d’Israël et de quelques autres pays pourra être étudiée plus tard dès lors que la frontière orientale et l’ouverture sur le golfe persique seront acquises (je ne nie pas leur difficulté).
On peut d’ailleurs ajouter que l’extension vers le sud donc vers des zones désertiques est sur le plan énergétique (développement du solaire) un atout (programme E=H2O de production d’hydrogène à partir du solaire). Avoir un pied en Afrique est aussi un atout pour des développements et des relations privilégiées avec cet autre continent de mêmes fuseaux horaires. C’est un défi pour les générations futures, mais l’obérer avec une vision d’une Europe riquiqui multipliant les obstacles institutionnels (attention au provisoire qui dure....) c’est se tirer une balle dans le pied.
Voilà donc à mon avis la véritable question que pose l’entrée de la Turquie dans l’UE : la capacité à peser demain au niveau mondial. Les USA se sont construits pendant que l’Europe poursuivait ses déchirures politiques. Elle peut continuer à se recroqueviller sur ses territoires via des peurs de l’Islam qui fleurent surtout l’irrationnel et la chasse aux sorcières bien souvent mais souvenons-nous bien de notre barbarie en 39-45 aboutissement de moult conneries passées malgré nos « lumières philosophiques ». L’argument selon lequel la Turquie serait un cheval de Troie des USA qui nous soumettrait relève de l’arriération mentale car cela résulte surtout de notre frilosité permanente, de nos replis identitaires de chrétiens assiégés dans leurs châteaux-forts moyennâgeux , de notre contrition... et de notre absence de vision. On peut aussi laisser les américains écrire la carte du Monde, ils sont déjà en Irak. On peut aussi laisser se créer un grand ruban trans-continental de l’’Indonésie à la Mauritanie...
Misterhasbeen
16. Le 14 décembre 2009 à 12:03, par Maldoror En réponse à : Turquie et Union européenne
La Turquie serait européenne parcequ’elle a un bout de territoire en Europe. Donc l’Espagne serait Africaine, et la France un pays d’Amérique du Sud ? L’argument géographique ne tient pas. Pour ce qui est de l’argument historique, l’Europe ne s’est pas construite avec la Turquie, mais contre elle (ou l’empire ottoman plus exactement). Actuellement l’Europe n’ayant toujours pas été définie de manière géographique et historique, n’importequel pays peut prétendre y faire son entrée. Le problème est d’autant plus épineux en France que la Turquie est un pays à 99% musulman, et que donc toute opposition à son entrée y est perçue comme un diatribe islamophobe, raciste, etc. ... Faites rentrer la Turquie en europe, et le peu de fédéralistes européens retourneront à leurs nations et/ou régions. La question identitaire n’est pas l’apanage de l’extrême droite mais est au coeur de la notion d’Europe souveraine. La Turquie n’est un pays d’europe ni géographiquement (mais bénéficie du fait que les frontières de l’europe ne soit pas définie), ni historiquement(mais l’amnésie générale doublée d’une repentance auto destructrice empêche les européens de s’exrpimer sereinement à ce sujet), ni culturellement (qu’on me trouve un grand peintre de la rennaissance turc, ou un grand compositeur de musique classique...) La question ethnique étant taboue, voir pénalement répréhensible, je ne m’étonne pas qu’elle n’ait pas été débattue sur ce fil.
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