UE-MERCOSUR : Un accord historique mais controversé

, par Micol Bertolini

UE-MERCOSUR : Un accord historique mais controversé
Crédits : Union européenne, 2019 / Source : EC - Audiovisual Service, Photo : Lukasz Kobus Phil Hogan, Cecilia Malmström et Jorge Marcelo Faurie lors de la conférence ministérielle sur l’accord de libre échange UE-MERCOSUR, le 27 juin 2019 à Bruxelles.

Après exactement 20 ans, un accord commercial entre l’Union européenne et quatre Etats d’Amérique Latine marque une tendance opposée au protectionnisme et à l’isolationnisme promu par les Etats-Unis. Toutefois, les Européens se montrent sceptiques.

« J’aime utiliser les mots avec attention, mais celui-ci est vraiment un moment historique. […] Cet accord envoie un message concret en faveur d’un type de commerce ouvert, équitable, durable et réglementé ». Avec ces mots, le 28 Juin 2019 le président de la Commission européenne, Jean Claude Junker, a annoncé la conclusion d’un traité de libre-échange entre les pays de l’Union et les quatre pays du Mercosur, le Marché commun du Sud qui regroupe le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay. Ce traité fait partie d’un Accord d’Association plus large qui devra être approuvé par le Conseil, les Etats membres et par le Parlement européen après une longue révision juridique.

Vingt ans ont été nécessaires pour achever un accord qui concerne un marché de 780 millions de consommateurs européens et sud-américains et qui contribuera à renforcer les relations politiques et économiques entre les deux blocs. Cet accord est encore plus exceptionnel si l’on considère qu’en premier lieu l’UE constitue le premier grand acteur qui conclue un traité commercial avec le Mercosur et qu’en deuxième lieu c’est l’accord le plus large jamais négocié par l’Union en termes d’étendue de tarifs réduits et des domaines inclus.

En quoi consiste cet accord commercial ?

Les Etats faisant partie du Mercosur ont toujours été des partenaires non négligeables pour l’Europe, en considérant que collectivement ils constituent la 5ème économie mondiale en dehors de l’Union, caractérisée par un marché de 260 millions de consommateurs. Même s’il imposait des droits de douane et des barrières non tarifaires très élevés, en 2018 le Mercosur a été la destination de 45 milliards d’euros d’exportations de biens et de 23 milliards d’euros d’exportations de services européens en 2017, en plus de bénéficier de 381 milliards d’euros d’investissements en actions de la part de l’Europe. Les échanges commerciaux entre l’UE et le Mercosur atteignent 88 milliards et 34 milliards d’euros par an en biens et services respectivement. En outre, ce marché est vital pour 60,500 entreprises européennes et pour 855,000 emplois en Europe.

Avec cet accord commercial, les droits de douane seront progressivement éliminés pour 91% des biens européens exportés aux pays du Mercosur et pour 92% des biens sud-américains importés en Europe, en permettant aux entreprises de l’Union européenne d’économiser approximativement 4 milliards d’euros. Les secteurs industriel et agroalimentaire européens bénéficieront le plus de la réduction des tarifs : par exemple, les exportations d’automobiles sont taxées à 35%, le vin à 27% et les produits laitiers à 28%. Pour certains produits dans des secteurs plus délicats, comme le secteur agricole, cette libéralisation sera soumise à une période de transition de sept ans.

Au-delà des bénéfices qui dériveront de la réduction des droits de douane, le traité entre l’UE et le Mercosur comportera d’autres avantages significatifs pour les producteurs et exportateurs européens. L’Europe bénéficiera de l’avantage du premier arrivant dans le marché du Mercosur, en profitant aussi de procédures facilitées et d’un accès privilégié aux marchés publics et à un vaste nombre de consommateurs. Cela permettra aux producteurs européens d’accroitre leur compétitivité et leurs économies d’échelle en dépit du reste du monde. En plus, les produits européens bénéficieront de la protection garantie par la reconnaissance de la part du Mercosur de 357 indications géographiques, comme le Comté ou le Champagne français.

Toutefois, la nouveauté principale introduite par cette dernière génération d’accords commerciaux dont le EU-Mercosur fait partie, consiste en les nouveaux chapitres qui ont été négocié, comme par exemple le TSD Chapter (Trade and Sustainable Development) sur le développement durable et la protection de l’environnement. A travers ce chapitre, cet accord promeut l’application de standards très élevés dans le domaine du travail, de l’environnement et du climat. En particulier, les parties intéressées s’engagent à appliquer l’Accord de Paris et de renforcer leur coopération pour réduire l’impact négatif du commerce sur l’environnement. Selon l’ancien Directeur Général de l’OMC, Pascal Lamy, cet accord si formulé forcera le Brésil du Président Bolsonaro, dont la politique menace la forêt amazonienne, d’arrêter son œuvre de déforestation sauvage et de se conformer à ses engagements internationaux.

Le scepticisme des Européens

Célébré par la Commission européenne comme un accord historique et bénéfique pour les producteurs en Europe, l’opinion publique n’a pas accueilli ce traité de libre-échange avec le même enthousiasme. Les agriculteurs et éleveurs européens, ainsi que les écologistes, s’opposent résolument à cet accord qui, à leur avis, aura des répercussions négatives majeures sur l’environnement et sur les économies nationales.

Les agriculteurs se montrent inquiets notamment pour l’augmentation des quotas de viande et d’autres produits agricoles sud-américains qui pourront être importées en Europe. Cela entrainerait une compétition déloyale grâce au prix plus faible auquel ces produits du Mercosur seront vendus et aux différentes conditions de production en Amérique Latine. Les syndicats agricoles dans toute l’Europe dénoncent l’utilisation dans la production d’antibiotiques, d’hormones de croissance et de pesticides qui sont interdits dans l’UE et qui ne créeraient pas seulement un risque de santé pour les citoyens, mais aussi une concurrence inégale pour les européens. La difficulté de tracer l’origine de ces produits sud-américains préoccupe aussi les consommateurs, qui craignent une détérioration des standards européens et des normes sanitaires.

Mais les protestations les plus animées ont explosées du côté des écologistes. Nicolas Hulot, ancien ministre de la Transition écologique en France, a dénoncé un accord « antinomique » avec les engagements de l’UE en termes de protection de l’environnement et de lutte contre le réchauffement climatique. Selon lui, « le libre-échange est à l’origine de toutes les problématiques écologiques ». Il s’en prend notamment au Brésil de Bolsonaro, en estimant que ce traité n’arrivera jamais à empêcher la déforestation en Amazonie et à forcer ce pays à respecter les engagements pris avec l’Accord de Paris.

La Commission européenne répond à ces accusations en rassurant la population que cet accord prévoit toute mesure nécessaire pour garantir une juste protection des consommateurs et des producteurs, ainsi que de l’environnement, en utilisant ce traité comme levier pour pousser les pays moins vertueux comme le Brésil à s’adapter à des plus hauts standards. L’idée soutenue par l’UE est que protection de la planète et le libre-échange ne sont pas incompatibles, comme le juge Geneviève Pons de l’Institut Jacques Delors. En outre, une politique commerciale protectionniste n’est pas la bonne réponse à la globalisation et au développement du commerce international, comme il le laisse entendre le Président français quand il affirme « Que ceux qui disent que tout accord commercial est mauvais me disent dans ces cas-là comment ils vont s’habiller, s’alimenter, se déplacer. Un accord commercial n’est pas mauvais en soi ». Cependant, il est fondamental que les Etats membres restent « vigilants », pour utiliser toujours les mots d’Emmanuel Macron, sur la correcte application de ce traité et sur le respect des engagements pris en matière de protection de l’environnement et des droits de l’homme.

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