Missionnant une délégation auprès de la plupart des royaumes de son temps, ce monarque propose un projet politique aux souverains européens afin de constituer une confédération des rois et princes d’Europe destinée à maintenir la paix et la collaboration entre eux.
Deux éléments majeurs incitent le roi Georges à établir son projet d’union : d’une part, la chute de Constantinople en 1453, interprétée comme un signe annonçant la fin des temps chrétiens et la prochaine conquête de l’Europe par les troupes ottomanes ; d’autre part, l’élection du pape Pie II en 1458, pape sensiblement opposé à l’existence d’une double confession religieuse en Bohême [2]. Le projet présenté doit ainsi permettre pour le Roi de Bohème de redorer son blason auprès des royaumes voisins, tout en empêchant la papauté d’isoler la Bohême hussite du reste de l’Europe.
Un environnement géopolitique précaire
La proposition de Podiebrad doit prendre en considération un environnement géopolitique exigeant. Il importe alors de trouver un équilibre qui réponde aux ambitions du royaume de France, qui ne porte pas atteinte aux intérêts des villes italiennes, qui donne l’espoir d’une assistance effective au royaume de Hongrie en butte aux Ottomans, qui donne satisfactions aux princes allemands et qui préserve les besoins du royaume de Pologne, l’allié le plus proche et le plus loyal de la Bohême.
À cela, il faut ajouter les problématiques, appréhensions et intérêts du roi George et de sa cour. Sur le plan interne, le principal objectif du projet est de permettre à la Bohême de conserver son intégrité territoriale. En termes modernes, c’est l’indépendance et la souveraineté du royaume tchèque qui sont en jeu. La solution recherchée doit donc les assurer en premier lieu. Il est nécessaire, pour Podiebrad, de respecter ces impératifs nationaux en les mariant harmonieusement avec les exigences précitées de ses voisins européens.
Un double objectif affiché
Ces éléments à l’esprit, le roi de Bohême propose un traité international et multilatéral, ouvert aux États chrétiens. Il se décline en deux parties : la première est un préambule qui exhorte à une lutte commune contre l’avancée des Ottomans ; la seconde présente une ébauche d’union des États européens chrétiens sous la forme de confédération [3] :
« Nous avons décidé de sceller, dans la forme qui suit, une Alliance établissant union, paix, fraternité et concorde inébranlable, pour le respect de Dieu, la sauvegarde de la foi, à perpétuité pour nous-mêmes, nos héritiers et nos successeurs ».
C’est dans ces conditions que le roi envoie des ambassadeurs présenter son projet de paix aux souverains voisins. Projet qui veut assurer un équilibre institutionnel et politique entre acteurs chrétiens, par la mise en place d’un Parlement et d’une Cour de justice.
Un projet de paix destinée à encadrer la guerre
Dans ce projet, le recours aux armes dans les conflits internationaux est conditionné à l’accord de la confédération. Il y a chez Podiebrad une réelle volonté de brider la possibilité de conflits armés pour ne pas verser dans l’hybris de la guerre. Cette proposition, remarquable pour son temps, subordonne à des obligations juridiques l’une des plus importantes fonctions régaliennes de l’État : l’activité militaire.
Les trois premiers articles prévoient ainsi que les contractants s’abstiennent de recourir aux armes les uns contre les autres et s’engagent à déjouer toute conspiration contre l’un d’entre eux. Par ailleurs, une entraide est prévue pour réprimer les délits commis sur le territoire de n’importe quel pays membre.
Le projet n’a pas seulement pour vocation de sauvegarder la paix et empêcher la guerre entre États membres de l’alliance. Il doit également prévenir les affrontements entre États non-membres. Podiebrad comprend que la guerre aux frontières de la future alliance peut rapidement mener à l’entraînement de celle-ci dans le conflit et l’obliger à rompre avec la paix. Ainsi, le projet prévoit une médiation entre les États belligérants. Si la guerre éclate, malgré les efforts de l’alliance, celle-ci doit alors soutenir le parti ayant accepté la médiation pacifique.
Une réception avortée
Georges de Podiebrad met en place une délégation diplomatique pour tenter d’ancrer dans la réalité son projet théorique. Des ambassadeurs tchèques se rendent dans la République de Venise ainsi que dans les royaumes de Pologne, de Hongrie et de France pour s’entretenir de la possibilité d’une telle réalisation.
L’accueil mitigé que reçoivent les ambassadeurs en France met un terme aux espoirs du roi bohémien. Les négociations avec Louis XI aboutissent à un renouvellement de l’alliance franco-tchèque sans que ne soit fait mention du projet présenté.
Bien qu’inappliqué, le projet de Podiebrad met en lumière la nouvelle réalité géopolitique au XVe siècle. En ne prévoyant aucune prérogative politique pour la papauté ou l’empereur du Saint Empire, acteurs en lutte pour la domination de la chrétienté depuis le XIe siècle, le projet s’inscrit dans un temps nouveau : celui de l’avènement d’États-nations souverains.
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