Un traité de libre-échange avec les États-Unis : une opportunité pour la croissance

Double article « pour ou contre la reprise des négociations commerciales entre les États-Unis et l’Union européenne ? »

, par Eric Drevon-Mollard

Un traité de libre-échange avec les États-Unis : une opportunité pour la croissance
Ursula von der Leyen et Donald Trump lors du Forum économique de Davos. Source : Maison Blanche, via Flickr (domaine public)

Pour ou contre la reprise des négociations commerciales entre les États-Unis et l’Union européenne ? Le sujet fait débat, même au sein de notre rédaction. Eric Drevon Mollard explique aujourd’hui pourquoi un traité commercial complet entre ces deux blocs serait une très bonne chose pour la croissance européenne.

Le libre-échange n’a pas bonne presse en ce moment. Il est accusé de tous les maux, d’appauvrir les populations, de dégrader l’environnement, de remettre en cause notre sécurité sanitaire par des normes moins exigeantes.

Cependant, les données économiques nous montrent depuis deux siècles qu’il enrichit les nations qui s’y adonnent, et qu’il est un formidable vecteur d’innovations.

La présidence Trump a augmenté les droits de douane sur les produits européens pour des raisons de politique intérieure, mais laisse néanmoins la porte ouverte à un accord de libre-échange pour peu que nous sachions négocier.

Le projet d’un accord entre les États-Unis et l’Union Européenne date d’il y a de nombreuses années. Il offrirait aux deux parties un gain de croissance potentielle de près d’un demi-point de PIB par an. Il a néanmoins rencontré de nombreux obstacles politiques, particulièrement du côté européen. Pourtant, il se pourrait bien que la président de Donald Trump, aussi étonnant que cela puisse paraître, représente une immense opportunité pour parvenir à un bon accord pour les deux parties.

Le projet mort-né de Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement (TTIP)

Le premier projet de traité de libre-échange entre l’Union Européenne et les États-Unis, le TTIP, était en voie de négociation dès l’été 2013.

Très complet, il visait non seulement à supprimer les droits de douane (à l’exceptions de secteurs politiquement sensibles comme l’agriculture notamment), mais aussi à diminuer les formalités administratives, harmoniser les réglementations techniques, faciliter l’ouverture des marchés publics et faciliter l’investissement. Pour veiller à la bonne application du traité, des tribunaux d’arbitrage indépendants étaient prévus, afin de protéger les investisseurs de l’emprise arbitraire des États.

L’impact positif sur la croissance européenne était estimé à 120 millions d’euros par an (0,5% du PIB), et sur la croissance américaine de 95 millions d’euros par an (0,4%) du PIB.

Hélas, ce traité est mort-né à cause des Européens qui ont tergiversé lorsqu’Obama, qui en était un fervent promoteur, était encore président, et de Donald Trump qui, pour des raisons d’affichage politique, a décidé de l’enterrer.

Les partisans du « généreux » État Providence, ainsi que les oligarques, y voyaient une menace pour leurs rentes, leurs corporations et leurs privilèges, c’est pourquoi ils ont réussi à rendre ce traité impopulaire en le décrivant comme une menace pour la souveraineté des états et les « acquis sociaux ». De l’autre côté de l’Atlantique, Trump promettait de protéger les ouvriers des régions désindustrialisées contre la « concurrence déloyale » des productions asiatiques et européennes.

Pour ou contre le libre-échange ? Les enjeux du débat

A leur décharge, on doit reconnaître qu’à court terme, un traité de libre-échange peut mettre en difficulté certains secteurs de l’économie, en particulier ceux qui sont les moins compétitifs par rapport à ceux des partenaires, ou qui bénéficient de forts rendements d’échelle (favorisant alors les concentrations et la disparition des entreprises les plus petites qui ne bénéficient plus d’un marché cloisonné.

En Europe, l’agriculture, certains secteurs des machines-outils, et les services d’intérêt économique général auraient beaucoup à perdre dans un premier temps. L’effet sur la croissance peut alors être nul voire négatif à court terme dans les pays qui ont une spécialisation productive défavorable.

Mais il faut raisonner à long terme. Sur une période de 10 ans ou plus, dans les pays qui sont à la frontière technologique (comme la plupart des pays de l’Union Européenne ou les États-Unis), le seul réel facteur de croissance est l’innovation, ainsi que les politiques qui favorisent sa mise en œuvre (notamment l’éducation). Or, les restructurations des secteurs faiblement compétitifs favorisent un déversement des capitaux et de la main d’œuvre vers les secteurs les plus innovants et performants, ce qui favorise à long terme l’enrichissement des individus.

Une population de 800 millions d’individus, représentant 40% du commerce mondial, offre des perspectives de concurrence, d’imbrication des chaînes de production, et d’économies d’échelle considérables. Un tel espace ouvert aux échanges aurait aussi un effet d’entraînement sur les autres zones économiques.

La reprise des négociations

Le 15 avril 2019 le Conseil Européen a mandaté la Commission européenne pour négocier deux accords avec les États-Unis : l’un, purement commercial et restreint au seul secteur industriel, vise à supprimer les droits de douane dans ce secteur ; l’autre porte sur l’élimination des obstacles non-tarifaires au commerce.

Les lobbies les plus puissants, dans l’agriculture, les services d’intérêt économique général et la fonction publique, ont donc réussi à protéger leurs rentes.

Malgré les politiques protectionnistes de Trump, le 30 mai 2017, le secrétaire d’État au commerce Wilbur Ross a annoncé que les États-Unis étaient ouverts à une reprise des négociations avec l’Union Européenne. Un mois plus tard, la chancelière allemande Angela Merkel lui emboîtait le pas. Il faudra malgré tout attendre 2019 avant que les négociations redémarrent sérieusement, après une série d’échéances électorales.

Exit aussi les tribunaux d’arbitrage, qui auraient pu protéger les investisseurs de l’arbitraire des États. Ceux qui nous dirigent pourront donc plus facilement bafouer leurs droits au prétexte de protection du consommateur, de l’environnement ou de n’importe quoi d’autre.

Malgré tout, certains rejetteront même cet accord a minima. Ils expliqueront qu’il faut mettre des barrières douanières et réglementaires entre l’Europe et le reste du monde, voire entre les pays européens.

D’autres, tout aussi convaincus mais plus vicieux, demanderont des conditions impossibles à accepter par les États-Unis, afin de faire capoter les négociations. On ressortira le poulet au chlore (vu la qualité des volailles premier prix en Europe, quelle importance ?), l’accord de Paris sur le climat, Greta Thunberg sera appelée à la rescousse, on expliquera que les abominables GAFAM vont détruire nos entreprises (alors que les services sont également exclus de l’accord) ... L’imagination des ennemis du libre-échange est sans limite, tout comme leur mauvaise foi.

Le « deal » proposé par Donald Trump

Donald Trump s’est fait élire avec un programme protectionniste. Il l’a surtout mis en pratique contre la Chine, mais l’Union Européenne n’a pas été épargnée : le 18 octobre 2019, 7,5 milliards de droits de douane supplémentaires ont été imposés à de nombreuses marchandises européennes. Les avions, les vins, les fromages et les alcools forts sont notamment visés. Certains sont taxés à 25%, d’autres à 10%. Depuis le 14 février 2020, les avions ont même vu leurs droits de douane monter à 15%, même si cette mesure a été prise, elle, dans le cadre du droit international (l’OMC ayant constaté des subventions illégales à Airbus).

Dès lors, pourquoi les États-Unis veulent-ils un accord de libre-échange ?

Donald Trump a une stratégie de négociation particulière, qu’il a déjà mise en pratique avec la Chine ou ses voisins d’Amérique du Nord : il profite de la puissance économique américaine pour établir un rapport de force, mais sans jamais fermer la porte à un accord, afin d’obtenir les meilleures conditions possibles pour son pays. Dans le cas chinois, il a été très agressif parce qu’ils trichent en subventionnant massivement les secteurs exportateurs et en bloquant les concurrents sur leur marché intérieur. Dans le cas européen, les meilleures conditions possibles pour l’Amérique sont très différentes : un accord de libre-échange maximaliste est préférable, le Vieux Continent respectant les règles de l’OMC.

Trump demande donc aux Européens d’inclure l’agriculture dans les traités de libre-échange qu’ils veulent signer avec l’Amérique, bien que ce n’est pas dans le mandat que le Conseil européen a donné à la Commission. Dans ce contexte, le lobby agricole est en embuscade, et il est puissant dans les grands pays européens, particulièrement la France.

La situation est donc particulièrement piquante : les autorités européennes sont moins favorables au libre-échange que Donald Trump ! Il est regrettable que les grands médias le passent sous silence...

Le président américain continue de mettre la pression sur les négociations, en menaçant de taxer jusqu’à 100% certains produits agricoles français, stratégie habile puisque la France est le grand pays qui rechigne le plus à un accord de libre-échange avec les États-Unis.

En effet, elle insiste pour exclure l’agriculture des pourparlers, elle s’arque-boute sur des « garanties environnementales », enfin elle a envisagé une « taxe GAFA » sur les grandes entreprises de l’Internet, avant de rétropédaler piteusement sous la pression de Trump et de ses partenaires.

Le président des États-Unis n’oublie pas non plus d’administrer une petite piqûre de rappel à l’Allemagne, en menaçant de taxer à 25% les importations automobiles en provenance de l’UE, avec ensuite d’autres secteurs en cas d’absence d’accord commercial.

L’absence d’un président européen fort et légitime, élu au suffrage universel et détenteur du pouvoir exécutif, handicape considérablement la force de frappe géopolitique de l’Union Européenne. Mais dans le cas présent, c’est plutôt une bonne chose pour les citoyens européens, étant donné la mauvaise volonté (pour être poli) de l’exécutif européen comme des principaux leaders politiques des États membres à signer un accord de libre-échange complet avec les États-Unis.

N’oublions pas que chaque pays devra faire ratifier le futur traité par son parlement afin qu’il entre en vigueur. La stratégie de pression maximale de Trump est donc indispensable.

Les sceptiques diront qu’il utilisera la puissance économique et géopolitique des États-Unis pour nous forcer à signer des traités qui nuisent à nos intérêts. Si ce risque existe, ce président pense d’abord à sa réélection, qui dépend des états ruraux du centre et du sud. L’agriculture et l’industrie agroalimentaire y sont des secteurs très importants, c’est pourquoi il tient tant à ce que l’accord inclue l’agriculture.

Or, clairement, céder à ses exigences revient à favoriser pour les États-Unis une spécialisation productive peu compétitive, dans le secteur primaire.

Sans compter que, en libérant les paysans des contraintes administratives et en les privant du robinet à subventions, l’Europe a le potentiel pour se doter d’un secteur agricole tout aussi performant qu’aux États-Unis, une fois les restructurations nécessaires accomplies (et d’affecter les maigres ressources du budget européen à des postes plus utiles). Nous devons suivre l’exemple de la Nouvelle-Zélande qui, après avoir déréglementé et cessé de subventionner ses paysans, a vu son secteur agricole devenir extrêmement compétitif et exportateur.

Les européens pourraient donc payer leur nourriture moins cher et se spécialiser dans des secteurs à plus haute valeur ajoutée, qui auront plus de débouchés aux États-Unis grâce au futur accord.

Un traité de libre-échange entre les deux rives de l’Atlantique représente une importante opportunité de croissance pour les signataires. Un marché entre pays développés de 800 millions d’habitants, représentant 40% du commerce mondial. L’harmonisation réglementaire serait profitable aux consommateurs, qui auront accès à de plus grands catalogues de produits.

La période actuelle est très favorable à la signature d’un tel accord, grâce au président américain qui, malgré ses rodomontades, met la pression maximale sur l’Europe pour parvenir à un accord.

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