Une politique commerciale ambitieuse, un pis-aller avant 2019

, par Estelle Beuve

Une politique commerciale ambitieuse, un pis-aller avant 2019
Cecilia Malmström, commissaire européenne au commerce. CC World Trade Organization

Il aura fallu deux jours à Cecilia Malmström pour offrir un visage à la politique commerciale de l’Union européenne (UE). Deux jours que la Commissaire européenne au commerce, ancienne ministre suédoise, aura passés au chevet de Donald Trump — ou plutôt de son secrétaire au commerce — pour tenter d’apaiser une nouvelle crise du milliardaire.

Le Berlaymont — siège de la Commission européenne à Bruxelles — avait d’abord mis le feu aux poudres en ravivant une tension comparable à celle de 2009 où s’affrontaient sur le ring d’un côté le roquefort 100% européen et, de l’autre, le bœuf aux hormones 100% américain. Comment rétorquer à ce nouvel affront ? Donald Tusk avait la solution. Le président du Conseil européen avait prévu de contre-attaquer par de possibles mesures de rétorsion dignes de mettre à mal l’American Way of life. Comment ? En taxant à l’exportation vers l’UE, jeans, cigarettes, whiskey, ou bien… Harley Davidson.

En 2009 l’UE avait finalement reculé sur ses positions, acceptant ainsi un relèvement du quota de bœuf aux hormones exporté par les Américains sur le marché unique. En 2018, c’est la même chose. L’UE change d’avis comme de chemise et préfère finalement jouer la politique de l’autruche en se rangeant derrière la confortable situation du Canada et du Mexique qui sont « provisoirement exemptés » des velléités protectionnistes de la Maison Blanche. Il y a encore deux semaines Cecilia Malmström envisageait de porter l’affaire devant l’Organisation Mondiale du Commerce avant de se résigner quelques jours plus tard à se dédouaner du déficit de la balance commerciale américaine en pointant du doigt les « surcapacités de production » chinoises causées par les subventions massives de Pekin.

Que ce soit Mark Rutte (Pays-Bas), Emmanuel Macron — qui ont tenu conjointement une conférence de presse à La Haye le mercredi 21 mars en amont de laquelle le premier ministre néerlandais estimait, dans une interview au Monde, qu’une désescalade dans le respect des principes de l’OMC était nécessaire — ou Angela Merkel, en cours de recomposition de son gouvernement de coalition, difficile de dessiner de leurs propos l’avenir de la politique commerciale européenne.

Une Europe sur tous les fronts

Une politique commerciale à l’« agenda ambitieux » face au protectionniste de Donald Trump, voilà ce qu’a appelé Cecilia Malmstöm de ses vœux. Quitte à se livrer à un véritable marathon. La commissaire européenne affiliée au groupe ADLE (démocrates et libéraux, centre-droit) qui chérit tant le libéralisme économique est sur tous les fronts : Canada, Japon, Singapour, Mercosur. À peine le CETA (accord de libre-échange avec le Canada) voté et partiellement retranscrit dans les textes législatifs nationaux — le parlement suédois vient de donner son feu vert ce mercredi 21 mars — que le JEFTA a été signé. Si le premier parle plus que le deuxième ce n’est pas pour rien. L’UE fait de plus en plus cavalier seul en matière de politique commerciale. Seuls le TAFTA — inhumé au lendemain du résultat des élections présidentielles américaines — et le CETA ont bénéficié de la plus grande couverture médiatique. Pour les plus intimes, le JEFTA correspond au Japan-EU free trade agreement, soit l’accord de libre-échange entre le Japon et l’UE, un des plus grands accords bilatéraux que l’UE n’ait jamais signés. Alors que les négociations avaient commencé en 2013, pourquoi avoir fait le choix de conclure les tractations le 8 décembre 2017 ? La même question peut être transposable aux pourparlers avec les pays du Mercosur (Brésil, Paraguay, Uruguay et Argentine) : pourquoi l’UE devrait-elle conclure à tout prix un accord de libre-échange dont le dossier est resté ouvert depuis la fin du siècle dernier, en 1999 précisément ? En guise d’apposition à un Donald Trump qui se prête au jeu de l’America First en s’appropriant cyniquement les règles du commerce international. L’UE n’a-t-elle donc rien trouvé de mieux, en signe de riposte, que de conclure à tour de bras des accords commerciaux ?

Des ambitions contradictoires

En politique commerciale extérieure, l’Union s’est montrée, que ce soit aux côtés de Justin Trudeau (Canada), Shinzo Abe (Japon), Michel Temer (Brésil) ou maintenant Donald Trump (Etats-Unis) très souple en offrant concessions sur concessions témoignant de facto d’une incroyable perte en crédibilité. L’UE n’a-t-elle pas été la première à vanter les mérites de l’Accord de Paris signé en décembre 2015 au terme de la conférence sur le climat (COP21) ? Cet accord pour lequel le monde entier (196 pays) s’était engagé à maintenir le réchauffement climatique en-deçà du seuil critique de 2 degrés d’ici 2100. Plus de deux ans se sont écoulés et force est de constater que sa mise en pratique n’a toujours pas eu lieu. En effet, une Commission d’experts soulignait que le CETA — ce feuilleté de 2344 pages conclu avec le Canada — ne faisait même pas mention des externalités d’une intensification des relations commerciales transatlantiques. C’est alors qu’en novembre, lors de la COP 23 à Bonn (Allemagne), Emmanuel Macron estima que des avancées étaient nécessaires pour intégrer les objectifs environnementaux à la politique commerciale européenne. Pourtant, dans la lutte contre le réchauffement climatique, un autre dossier tout aussi important devrait être rouvert : celui de la réévaluation et de la redéfinition du prix de la tonne de carbone (marché des ETS créé en 2005). Le prix de la tonne de CO2, dont l’UE est le 3ème plus grand émetteur au monde, est très hétérogène : alors qu’en Suède il s’établissait en 2017 à pas moins de 96€ en moyenne, en Estonie ou en Pologne il ne dépassait pas les 2€ s’étirant parfois jusqu’à l’euro symbolique. Même en France avec un prix du carbone à une trentaine d’euros, l’outil s’est révélé inopérant. La plaie restera béante tant que l’Union ne fera pas le choix de réduire drastiquement le nombre de quotas accordés de sorte à assurer une augmentation du prix de la tonne.

No deals are better than bad deals

Ainsi, si les « guerres commerciales sont faciles à perdre » selon Donald Tusk, des accords de libre-échange trop hâtés peuvent l’être tout autant. L’UE doit prudemment négocier avec Singapour et, à plus forte raison, avec les pays du Mercosur. A la base des tractations entre les Vingt-Sept et ce bloc des 4 pays latino-américains —qui comptabilisent à eux seuls les trois quarts des importations bovines de l’UE — se trouvait un quota annuel de 70 000 tonnes de viande bovine exempté de droits de douane. Ce quota a été récemment relevé à 100 000 tonnes, les pays du Mercosur refusant en effet l’attribution d’un quota quasi équivalent au Canada pour un territoire 7 fois plus grand (66 000 tonnes d’exportations accordées dans le CETA).

Par la baisse des droits de douane, l’UE considère qu’elle pourrait tirer de cet accord « 4 millions d’euros » d’économies. Mais dans le libre jeu de la mondialisation, difficile de se voiler la face derrière une prétendue main invisible et d’y voir un jeu à somme non nulle. La vindicte des agriculteurs français au cours du salon international de l’agriculture à Paris a confirmé un secteur primaire européen fragilisé tant par la fin des quotas laitiers en avril 2015 que par les contours encore incertains de la prochaine enveloppe de la politique agricole commune (PAC) ; incertitude renforcée avec le départ du contributeur net britannique le 29 mars 2019. Si les négociations avec le Mercosur n’aboutissent pas d’ici la fin mars, il y a de forte chance pour les voir repoussées au-delà des échéances électorales brésilienne (octobre 2018) et européenne (mai 2019). Le temps donc pour l’Union européenne de parer son marché d’un véritable filet de sécurité que pourrait incarner un prochain cycle budgétaire 2021-2027 ambitieux.

Ainsi, pour contrer la baisse des prix et la perte de rentabilité, qu’une politique commerciale ambitieuse ne peut qu’entraîner, et, d’une pierre deux coups, rassurer ses agriculteurs, l’UE ferait bien d’intégrer à la prochaine PAC un prix minimum garanti à la tonne. Se pose bien évidemment la question du financement d’une telle politique sociale-libérale. À court-terme une augmentation des contributions de chaque Etat membre au budget (fixées actuellement à 1% du PIB de chaque Etat-membre) est plus plausible qu’un financement par ressources propres encore quasi inexistant aujourd’hui mais qui verra progressivement le jour à partir d’une fiscalité européenne ambitieuse dans le respect des principes de l’Union.

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