En 2019, son nom ne figurait pas parmi les choix les plus probables. Et pourtant, Ursula von der Leyen, ancienne ministre allemande de la Défense est devenue, le 16 juillet 2019, la Présidente de la Commission européenne. Cette nomination par les chefs d’Etat et de gouvernement du Conseil européen pourrait être le dénouement d’une longue période de tractation pour choisir le successeur de Jean-Claude Juncker. Cette proposition semble être un compromis franco-allemand, acceptée par les autres pays de l’Union européenne. Peut-on de ce fait parler d’une victoire de Paris et Berlin ? Il serait plutôt bien plus pertinent d’évoquer une défaite de la démocratie européenne…
Européenne revendiquée
Ursula Von der Leyen a pourtant un profil européen assumé. Née Ursula Albrecht à Bruxelles en 1958, elle fréquente dès le début des années 1960 l’école européenne d’Ixelles, ce qui lui vaut d’être parfaitement bilingue français – allemand. Plus tard, ses études à la London School of Economics puis à l’Université de Stanford en Californie lui ont permis d’acquérir une excellente maîtrise de l’anglais. Pouvoir parler les trois langues de travail de l’Union européenne est assurément un point fort, en particulier par rapport au Spitzenkandidat du Parti populaire européen, Manfred Weber. Ursula Von der Leyen est de plus la fille d’Ernst Albrecht, ancien ministre-président de Basse-Saxe, après une grande carrière européenne à la CECA et à la Commission européenne.
Mais c’est surtout son expérience politique qui a fait la différence : Ursula von der Leyen a eu plusieurs mandats électifs au niveau régional et fédéral. En 2001, onze ans après son adhésion à la CDU, elle obtient un premier mandat électif à l’assemblée régionale de Hanovre, la capitale du Land de Basse-Saxe, puis est élue députée au Landtag (l’assemblée de ce même Land) deux ans plus tard, ce qui lui permet de devenir ministre régionale des affaires sociales. Elle est rentrée au gouvernement fédéral en 2005, lors de la première victoire électorale d’Angela Merkel, d’abord en tant que ministre de la famille, puis du travail et des affaires sociales en 2009 et enfin de la défense en 2013.
Durant toute sa carrière politique, Ursula von der Leyen n’a cessé de se considérer comme francophile et pro-européenne. Le renforcement du couple franco-allemand lui est fondamental, « La France et l’Allemagne ne sont pas seulement le cœur mais aussi le moteur de l’idée européenne » déclarait-elle pour les 50 ans du traité de l’Elysée en 2013. Pour l’Europe, elle a plaidé plusieurs fois pour des « Etats-Unis d’Europe » et pour notamment la création d’une véritable armée européenne, à l’heure où l’ex- et futur président des États-Unis Donald Trump remet systématiquement en cause le soutien américain à la sécurité européenne, et celle à l’Ukraine.
Femme politique controversée en Allemagne
Son bilan politique, sa popularité et sa réputation au sein du gouvernement fédéral allemand avant 2019 sont plus mitigés. Tandis que des avancées positives sont à mettre à son crédit en tant que ministre de la famille (notamment concernant la politique familiale) et du travail (la réforme Hartz IV et la création d’un salaire minimum en Allemagne), son aura a commencé à décliner quand elle est devenue ministre de la défense. Les nombreux problèmes techniques de la Bundeswehr, le manque de moyens alloués et le développement de l’extrême-droite dans les rangs de l’armée lui ont valu de nombreuses critiques.
La nomination de cette proche d’Angela Merkel (c’est le seul membre du gouvernement de 2005 à être encore en poste en 2019) a de plus suscité de nombreux remous au sein de la Grande Coalition, déjà très fragilisée. Les Sociaux-Démocrates ont en effet sévèrement critiqué ce choix. Martin Schulz en particulier a fustigé que « la ministre la plus faible chez nous [au gouvernement fédéral] » est une « victoire pour Viktor Orban et compagnie ». Il est également possible que malgré l’approbation d’une large majorité des chefs d’Etat et de gouvernement, cette nomination ait été perçue comme un énième compromis franco-allemand (renforcé par le choix de Christine Lagarde pour la Banque centrale européenne) au détriment des citoyens des 26 autres pays membres de l’Union européenne.
Une première crise : la pandémie de Covid-19
Ursula von der Leyen prend ses fonctions de présidente de la Commission européenne vers la fin des négociations du Brexit. Avec Michel Barnier, ils doivent ainsi gérer les derniers points d’accords avec Londres : le 1 février 2020, le Royaume-Uni quitte ainsi l’Union européenne, mettant fin à des années de négociations ardues. Cependant, une crise européenne peut en cacher une autre : mars 2020 marque l’accélération de la pandémie de Covid-19 et les pays européens commencent à se confiner. Si la coopération européenne a semblé affaiblie au départ (fermeture de la frontière franco-italienne le 10 mars, contrôles à la frontière franco-allemande le 16 mars,...) et que la Commission a eu un rôle de second plan par rapport aux Etats en terme de politique de santé, elle s’est illustrée sur le plan économique.
Avec les pays européens, elle a mis en place un plan de relance européen doté de 750 milliards d’euros et a favorisé l’intégration budgétaire avec l’émission d’une dette commune devant être remboursées par des ressources “propres” de l’UE (c’est-à-dire non basée sur des contributions des Etats mais sur des taxes directement collectées par l’Union européenne). La politique de vaccination de la Commission a cependant été critiquée pour son retard et ses méthodes (Ursula von der Leyen avait par exemple négocié des vaccins par SMS secrets avec le PDG de Pfizer, que la Commission refuse de révéler) mais, après une lenteur initiale, s’est accélérée.
Un soutien ferme à l’Ukraine
En parallèle à la pandémie de Covid-19, la Présidente de la Commission européenne a aussi dû gérer une détérioration de l’Etat de droit en Pologne et en Hongrie, toujours en cours. Cependant, l’événement le plus marquant a sans conteste été l’invasion de l’Ukraine déclenchée par la Russie le 24 février 2022. Comme la grande majorité des dirigeants européens, Ursula von der Leyen a apporté son soutien à l’Ukraine, ayant ainsi visité Boutcha en avril 2022 et s’est rendue de nombreuses fois à Kiev. Elle a également participé à la mise en place de sanctions contre la Russie, le soutien financier et militaire à l’Ukraine et soutenu la candidature du pays à une adhésion à l’Union européenne.
Un Green Deal ambitieux, mais qui a du plomb dans l’aile
Politique majeure de son mandat, le Green Deal ou Pacte vert (près de 1000 milliards d’euros dépensés dans l’Union européenne de 2021 à 2030 pour faire face au changement climatique) semble avoir actuellement du plomb dans l’aile. Mené conjointement par Ursula von der Leyen et Frans Timmermans, il prévoit d’atteindre la neutralité carbone en 2050 et a abouti à près d’une cinquantaine de textes législatifs innovants comme la suppression des moteurs thermiques pour les voitures neuves à partir de 2035, l’introduction d’une taxe carbone aux frontières ou la promotion de la rénovation énergétique des bâtiments.
Cependant, le Pacte vert semble être en difficulté : alors qu’il était déjà de plus en plus critiqué par les conservateurs européens y compris au sein du PPE, parti de la présidente de la Commission (les Républicains ont ainsi annoncé qu’ils ne la soutiendraient pas car son action écologique est trop ambitieuse pour eux). De plus, le Pacte vert a été récemment fragilisé par les manifestations d’agriculteurs : face aux critiques des normes écologiques, la Commission a été contrainte de réduire l’ampleur du Pacte vert, notamment sur les pesticides.
Quelle nouvelle politique à la Commission ?
La nouvelle Commission européenne, proposée par Ursula von der Leyen après discussions avec les gouvernements des 27 États membres, a largement été critiquée, notamment car son équipe est majoritairement composée de responsables politiques du centre ou de la droite. Pour la première fois d’ailleurs, un poste de vice-président est attribué à un responsable politique d’extrême-droite, l’italien Raffaele Fitto L’équipe von der Leyen II est d’ailleurs la plus mal élue depuis que c’est au Parlement européen de valider la composition de la Commission - la nouvelle équipe n’a recueilli que 370 voix sur 688 votants, avec 282 votes contre et 36 abstentions.
Dans tous les cas, il est probable que l’aspect écologique et social de la politique d’Ursula von der Leyen soit mis de côté, au moins provisoirement, si elle brigue un second mandat à la tête de la Commission. Cependant, Ursula von der Leyen a de nouvelles ambitions pour l’Europe : elle souhaite ainsi se concentrer sur la politique de défense européenne et sur la question de l’élargissement.
Suivre les commentaires : |