Victor Hugo, le « grand-père » de la construction européenne

, par Solène Bennet

Victor Hugo, le « grand-père » de la construction européenne

Tout au long de son action politique, Victor Hugo est intervenu pour que personne ne soit exclu de la société, comme on peut le constater avec son soutien sans réserve au suffrage universel, son appel à l’intégration des « misérables » ou encore sa revendication répétée d’une amnistie totale pour les « communards ».

C’est dans ce cadre politique et social du XIXe siècle que Victor Hugo se fait le visionnaire de la construction européenne. Il a été le premier à parler des États-Unis d’Europe, afin de déboucher sur une Europe irriguée par la vérité et la justice.

La France, le cœur d’une Europe libérée

La vague révolutionnaire de 1848 s’était propagée dans l’ensemble de l’Europe. Il s’agissait de mouvements libéraux et démocratiques visant l’instauration d’un régime républicain face à l’oppression des peuples dans des empires multinationaux. Dans ce contexte, le mot fondamental et central que l’on retrouve dans les textes politiques de Victor Hugo est « fraternité » : la fraternité doit devenir une inspiration et une aspiration sociale, afin d’atteindre les objectifs de liberté et de liberté-égalité.

Pour Victor Hugo, la France est le fruit d’un long processus d’unification étatique opéré par les rois d’une part, et par l’adhésion volontaire de ses citoyens consacré lors du serment solennel des départements lors de la fête de la Fédération du 14 juillet 1790 d’autre part.

Pour cette raison, la France lui apparaît comme le cœur du territoire européen, ayant une légitime mission d’expansion pacifique de ses idées en Europe et dans le monde, justifiée par la volonté de liberté des peuples. C’est ainsi que dès les années 1840 Victor HUGO s’affiche comme un patriote, libéral et pacifiste, assuré de la mission émancipatrice de la France porteuse du flambeau de la liberté des nations .

Quoique parfois chauvin, Victor Hugo n’est pas un nationaliste français, car il est un patriote européen. Il aime sa patrie, mais sans vouloir l’affirmer au détriment des autres.

Le 2 mars 1848, devant l’Arbre de la Liberté de la place des Vosges, il saluait déjà la république universelle , et il semble que c’est lors du « printemps des peuples » de cette même année qu’il ait mûri son projet des États-Unis d’Europe.

Discours de Victor HUGO au Congrès de la Paix de 1849 :

Un jour viendra où la guerre paraitra aussi absurde et sera aussi impossible entre Paris et Londres, entre Petersburg et Berlin, entre Vienne et Turin, qu’elle serait impossible et qu’elle paraitrait absurde aujourd’hui entre Rouen et Amiens, entre Boston et Philadelphie. Un jour viendra où la France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne (…). Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées. Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples, par le vénérable arbitrage d’un grand Sénat souverain qui sera à l’Europe ce que le Parlement est à l’Angleterre, ce que la Diète est à l’Allemagne, ce que l’Assemblée législative est à la France.

L’unité et la diversité réunies au sein d’une République universelle

La première déclaration publique de Victor Hugo au sujet des États-Unis d’Europe et de leur avenir a eu lieu le 17 juillet 1851 devant l’Assemblée législative lors de la révision de la Constitution. Cette révision constitutionnelle revêtait un énorme enjeu pour la France : la République ou l’Empire.

D’abord il ne s’agissait que d’un slogan, mais pendant l’exil l’utopie prend forme et l’idée des États-Unis d’Europe est approfondie.

Cependant, dès 1846, il voit croître l’union profonde des nations dans le travail universel de l’industrie, de la science et de la pensée et pour lui s’impose de façon évidente à la tête de ce progrès la « civilisation européenne » . Il considérait donc que l’Europe, quels que fussent les Etats qui la composaient, existait de fait comme « nationalité ».

Il restait à préciser la forme que revêtirait cette union des peuples. Pour cela Victor Hugo était fortement attaché à deux exigences qu’il était impératif de concilier : l’unité et la diversité. Il considérait ainsi le continent européen comme le continent d’un seul peuple sur lequel les nationalités vivraient de leur vie propre dans la vie commune. Selon lui cela se serait nécessairement produit si la révolution de 1848 s’était poursuite et donc si l’Europe des peuples avait succédé à l’Europe des rois.

C’est alors qu’apparaît le terme « fédération », mais il ne souhaitait pas fédérer des États, il souhaitait fédérer des peuples libres et librement associés : L’inévitable avenir de l’homme, c’est la liberté ; l’inévitable avenir des peuples, c’est la république ; l’inévitable avenir de l’Europe c’est la fédération. Suffrage universel, république universelle, voilà ce que fondera le XIXe siècle, voilà ce que recueillera le XXe siècle .

Discours de Victor Hugo lors du banquet anniversaire du 24 février 1848 :
Le contient serait un seul peuple ; les nationalités vivraient de leur vie propre dans la vie commune ; l’Italie appartiendrait à l’Italie, la Pologne appartiendrait à la Pologne, la Hongrie appartiendrait à la Hongrie, la France appartiendrait à l’Europe, l’Europe appartiendrait à l’Humanité. (…)
Le groupe européen n’étant plus qu’une nation, l’Allemagne serait à la France, la France serait à l’Italie ce qu’est aujourd’hui la Normandie à la Picardie et la Picardie à la Lorraine ; plus de guerre, par conséquent plus d’armée. (…) Plus de frontières, plus de douanes, plus d’octrois ; le libre-échange ; flux et reflux gigantesques de numéraires et de denrées, industrie et commerce vingtuplés (…).
Une monnaie continentale, à double base métallique et fiduciaire, ayant pour point d’appui le capital Europe tout entier et pour moteur l’activité libre de deux cents millions d’hommes, cette monnaie, une, remplacerait et résorberait toutes les absurdes variétés monétaires d’aujourd’hui, effigies de princes, figures de misère (…).

Europe politique, pacifique, unité économique et commerciale, libre échange, unité monétaire, liquidation du chômage et de la misère par la propriété de chacun et du travail pour tous, et enfin liberté totale et inviolable du citoyen ; voilà tout ce qui ressort du discours de Victor Hugo proclamé en 1855 lors de la célébration de l’anniversaire de février 1848, dans lequel il présente son exposé le plus précis de que devait être les États-Unis d’Europe. Pour lui l’Europe ne devait pas et ne pouvais pas n’être qu’un libre marché : l’assemblée des États-Unis d’Europe, sous forme d’un Parlement sorti du suffrage universel de tous les peuples du continent européen, devait traiter et régler toutes les questions de l’humanité.

Mais Victor Hugo savait, et était attaché à l’idée, qu’un peuple ne devient nation que par l’adhésion volontaire des hommes libres choisissant un avenir commun. Il fallait donc s’atteler à la tâche de créer un sentiment d’appartenance au peuple européen avant de faire fusionner les nations.

Des idées avant-gardes reprises pour la construction européenne du XXe siècle

En 1849 c’est « l’Europe des rois » qui l’a emporté et, en 1867 lors de l’Exposition universelle, à Victor Hugo de prophétiser : Au XXe siècle il y aura une nation extraordinaire (…) elle s’appellera Europe.

L’écrivain a été enterré le 1er juin 1885. En lui accordant l’honneur des funérailles nationales, le gouvernement de Jules Grévy a donné à sa mort une signification politique et historique d’ampleur.

Moins d’un siècle plus tard, les pères de la construction européenne, chrétiens-démocrates comme socialistes, Schuman comme Mitterrand, voulaient voir en lui le grand-père de l’Europe.

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