Vincent Couronne (1/2) : « La campagne présidentielle française a traité des sujets européens et techniques »

, par Léa Schmieden

Vincent Couronne (1/2) : « La campagne présidentielle française a traité des sujets européens et techniques »

Vincent Couronne est co-fondateur du média Les Surligneurs spécialisé dans le « legal-checking », c’est-à-dire la vérification de la légalité des propositions politiques, chercheur en droit européen et enseignant à l’université. Il analyse pour nous la campagne présidentielle française d’avril 2022 et son traitement médiatique, ainsi que l’utilisation de la désinformation à son égard.

Qu’avez-vous pensé du traitement médiatique de la campagne électorale française ?

Cette campagne électorale a eu des aspects extrêmement surprenants. Alors que l’on disait que le marché de l’information actuel amène à appauvrir constamment la qualité du débat, simplifier la façon que nous avons de présenter les arguments, il ne faut pas oublier qu’elle s’est ouverte à l’automne 2021 sur un sujet très technique qui était la question de la primauté du droit de l’Union Européenne sur le droit national. Des personnages politiques de différentes tendances faisaient des propositions en ce sens, Michel Barnier a même emboîté le pas de ce groupe de politiques très hétérogène sur la remise en question de la primauté sur les questions migratoires. Les questions étaient donc parfois très techniques sur : comment il faut modifier la constitution, il faut réviser les traités, etc. La campagne présidentielle a finalement commencé à rebours de ce que l’on croyait être le cœur du débat, c’est-à-dire les questions de sécurité et d’immigration.

Ces singularités se sont -elles ressenties durant la suite de la campagne ?

La suite de la campagne est restée plus classique, avec la candidature de personnes attendues telles qu’Emmanuel Macron ou Marine Le Pen. Je trouve qu’il y a tout même eu des choses intéressantes, par exemple la présence à gauche de candidats comme Jean Luc Mélenchon, qui a réussi à transformer le débat et obtenu un score assez honorable au premier tour. Ce candidat a fédéré autour de lui avec la NUPES, ce qui a aussi permis d’imposer certains débats intéressants. Par exemple, sur la question de la désobéissance européenne. Je trouve que de prime abord, ce sujet paraît assez populiste et démagogique, mais il soulève en réalité une multitude de questions politiques extrêmement pertinentes, notamment sur les rapports entre l’UE et ses États membres. Cette campagne n’a donc pas été toujours là où on l’attendait, elle a traité des sujets européens alors que ceux-ci sont souvent oubliés des débats électoraux, et techniques alors qu’ils sont un peu les victimes de notre marché de l’information ultra simplificateur.

Justement, n’avez-vous pas trouvé que cela était parfois trop technique, et également désordonné, de telle manière que l’on pourrait perdre les électeurs dans le suivi du débat ?

Je pense qu’on ne peut pas dire qu’une campagne est trop technique. C’est même un point positif de pouvoir aller dans la technicité lors des débats, car les personnages politiques auront souvent tendance à enrober cela dans des considérations plus simples à appréhender par les électeurs, voire plus populistes.

C’est un peu le cas pour la question de la désobéissance que j’évoquais plus tôt : cette question simple et d’apparence très populiste, par son idée de révolte, cache en réalité des questions très complexes. La technicité et la multiplicité des sujets ne sont donc pas un problème : il est normal qu’une campagne présidentielle traite de toutes les thématiques, tel est le rôle de la politique. Là où il y a une difficulté, c’est quand le débat s’oriente parfois sur des sujets pour lesquels le président ou le droit français n’est pas compétent : des sujets relevant du droit de l’UE plutôt que du législateur français. Cela donne lieu à des propositions faites par les candidats qui ne sont en fait pas réalisables au niveau national.

Vous êtes co-fondateur du média Les Surligneurs, qui analyse le discours politique, notamment des candidats, par le biais du droit et du legal-checking. Quelle est la différence avec le fact-checking classique ? Quel est l’intérêt de cette méthode, en particulier dans le cadre de périodes électorales comme celle-ci ?

Le legal-checking est une branche du fact-checking. Le fact-checking est la vérification des faits et propos qui sont tenus publiquement par personnalités, ou sur les réseaux sociaux. L’idée est, pour des messages qui se diffusent de manière virale sur les réseaux sociaux ou dans l’espace public, de vérifier ces propos et les comparer avec la réalité des choses. Le legal checking lui, dans cette activité de fact cheking, va se concentrer sur un aspect qui, à mon sens, est un angle mort des médias, l’aspect juridique. Cela signifie que l’on vérifie si ce qui est dit dans les discours des politiques, sur les réseaux sociaux, est conforme au droit et à sa réalité ou non. Lorsqu’un candidat à une élection politique fait une promesse : celle-ci est-elle juridiquement réalisable ou pas ? Nous vérifions également si certaines affirmations tenues par des politiques sont vraies ou fausses. Lors de manifestations interdites, on entendait des personnalités de la NUPES dire qu’interdire une manifestation n’est pas démocratique. En réalité si, dans le droit français, il existe la possibilité d’interdire ce type de rassemblement sous certaines conditions. Cela permet de savoir qui est responsable d’une action politique.

Comment expliquez-vous le besoin permanent de recourir au legal checking ?

Je vous donne un exemple, lorsqu’on entendait parler d’un projet de loi à l’ assemblée nationale et au sénat pour accélérer la construction d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques en France. Aucun article de presse n’a précisé que pourtant, il existait en ce moment la même proposition débattue au niveau européen et qui, au moment où elle sera adoptée, va s’imposer à la France. C’est un manque de culture politique et juridique européenne de la part des journalistes et des élus. Si nous avions une meilleure connaissance de la répartition des compétences, nous pourrions mieux suivre l’actualité politique car nous comprendrions quels sont les enjeux et compétences de l’Union, quelles sont celles de notre pays. Dans quelques mois, il faudra peut-être transposer une directive de l’UE qui va à l’encontre de ce que la France a adopté. Comment le citoyen peut-il s’y retrouver là- dedans ?

Quelles actions et travaux avez-vous accompli durant la période électorale ?

Pour la campagne présidentielle et législative aussi, nous avons fait une analyse des programmes des candidats. Nous avons mis en place une équipe spéciale chargée d’analyser les programmes des candidats officiels (ayant obtenus les signatures). Pour chacun, nous regardions les promesses et vérifions ce qui était juridiquement faisable ou non. Cette équipe suivait les discours des candidats, notamment lors du débat présidentiel du 1er tour, en partenariat avec TF1, afin de vérifier en direct avec eux la conformité de leurs propos au droit. Nous avons également travaillé avec Public Sénat, chaque semaine dans le cadre de la campagne présidentielles, avec une chronique de legal-checking, et avec TF1 info et leur cellule “Les vérificateurs”, en publiant un article par semaine sur la campagne. Cela nous permet de mieux faire connaître le legal-checking et d’aider d’autres médias à faire du fact-checking.

Une campagne, par définition, est pleine d’imprévus, comment faites-vous pour vous adapter ?

C’est une des difficultés que l’on a rencontrées durant la couverture de la campagne présidentielle est que même si nous avions tiré des enseignements de 2017 et étions mieux préparés, la guerre en Ukraine est venue chambouler notre organisation (nous avions ouvert une cellule de crise pour couvrir la guerre en Ukraine). C’est aussi pour cela que des sujets tels que la sécurité ou l’immigration n’étaient pas centraux. Ces questions n’apparaissaient plus comme des priorités et la solidarité liée à la guerre a même atténué les tensions liées à ces questions.

Comment armer les citoyens pour une meilleure compréhension du fonctionnement de l’UE ?

Tout d’abord, selon moi, il y a 3 responsables à ce manque de compréhension et ce désintérêt à l’UE :

Le premier est l’Etat. Celui-ci aurait pu mettre en place une politique publique qui permettrait d’éduquer les français sur les questions européennes. A travers un politique globale, visant l’éducation, les programmes scolaires, des programmes de jumelage, le financement d’associations, tout un ensemble de mesures visant à faire prendre conscience de cette démocratie multi-niveau que tout citoyen doit pouvoir expérimenter. Quand je vais à la poste déposer un courrier, j’ai face à moi un agent de la poste français. Mais il n’y a rien ni personne pour me dire que mon dépôt de courrier est en réalité soumis au droit de l’UE, et que l’agent en face de moi est à la fois un agent soumis au droit français et au droit de l’Union européenne. L’Etat, à mon sens, devrait faire prendre conscience de cette démocratie à deux niveaux, national et européen, dans laquelle nous vivons aujourd’hui.

Le second responsable est la presse. Nous sommes responsables car nous sommes les premiers à critiquer l’Europe, Bruxelles et ses lobbies, mais les derniers à aller voir ce qu’ils s’y passe. Lorsque l’on est journaliste, notre mission est de rapporter l’information et les faits, de se déplacer dans les lieux nécessaires. C’est aux journalistes de créer du récit, des histoires, toute une sorte de pédagogie autour des questions européennes. Cela est très bien fait sur les questions locales et nationales, pourquoi pas sur les questions européennes ?

Enfin, le 3ème responsable est L’UE elle-même, qui, à mon sens, communique mal. Si les documents de travail, communiqués de presse sont très accessibles, les informations sont parfois difficiles à trouver. Sur les différents sites, nous nous perdons entre une page d’accueil très simpliste, et des pages spécialisées très techniques, incompréhensibles lorsque l’on est pas expert. Même les bâtiments et décors ne sont pas toujours esthétiques. Selon Ludovic Lamant, dans son livre Bruxelles chantier, les bâtiments à Bruxelles sont aussi peu ambitieux d’un point de vue institutionnel car l’UE ne se pense pas en tant que puissance et voulait garder une certaine modestie. Ce point de vue pratique plutôt que politique peut expliquer notamment les lacunes de l’UE en termes de communication.

Cet article est écrit dans le cadre du projet Erasmus+ « Check’Europe ». Il est financé par l’Union européenne. Les points de vue et avis exprimés n’engagent toutefois que leur(s) auteur(s) et ne reflètent pas nécessairement ceux de l’Union européenne ou de l’Agence exécutive européenne pour l’éducation et la culture (EACEA). Ni l’Union européenne ni l’EACEA ne sauraient en être tenues pour responsables.

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