Younous Omarjee « Si demain en Allemagne, en France, dans les pays du Sud, il y a la même jeunesse qu’en Hongrie, c’en est fini de l’Union européenne »

, par Louise Guillot

Younous Omarjee « Si demain en Allemagne, en France, dans les pays du Sud, il y a la même jeunesse qu'en Hongrie, c'en est fini de l'Union européenne »
Younous Omarjee, le 4 octobre 2017 au Parlement européen © European Union 2017 - Source : EP

Le Taurillon a interviewé Younous Omarjee, député européen du groupe GUE/NGL (au sein duquel siège notamment les députés de la France Insoumise) en marge de l’évènement de lancement de la nouvelle campagne « Jeunesse, Europe et Educ’ Pop » de Provox, plateforme française du dialogue structuré. L’occasion pour l’eurodéputé de défendre sa vision de ce que doit faire l’Europe pour les jeunes.

Le Taurillon : Que pensez-vous de cet événement de lancement de la campagne ProVox et qu’attendez-vous de l’interaction avec les jeunes ?

Younous Omarjee (Y.O.) : Je trouve cela formidable et très stimulant ! Nous ne sommes jamais en manque d’idées et je me réjouis de voir autant de jeunes venus un samedi pour partager des idées, réfléchir et débattre.

Dans le cadre de la table ronde que vous avez animée aujourd’hui, le thème du rapport entre les jeunes et la politique a été évoqué. Est-ce que vous trouvez que la voix des jeunes est suffisamment représentée ?

Y.O. : Ce sont là d’éternels débats. Élection européenne après élection européenne, nous posons la question de la participation des jeunes. J’ai évoqué pendant la table ronde l’idée selon laquelle il nous faut sortir des approches théoriques et revenir au concret. Je suis convaincu que c’est en ramenant les questions les plus importantes aux réalités de la vie de chacun que nous pourrons intéresser les citoyens aux questions qui concernent l’Europe et son avenir.

Parmi les jeunes présents aujourd’hui, il y a un haut niveau de conscience de l’importance de l’Europe. Mais je crois que dans la jeunesse européenne, y compris pour celle qui ne prend pas part au vote, il y a aussi la conscience de ce que l’Europe ne fait pas, et, d’une certaine manière, des désespérances face à l’Europe. C’est aussi une façon de s’intéresser à l’Europe. Et ces questionnements, ces déceptions, cette désespérance exigent des institutions européennes qu’elles apportent des réponses aux questions qui occupent aujourd’hui les jeunes européens.

Justement, est-ce que proposer d’organiser des conventions démocratiques est une bonne réponse ? Ou est-ce que cela ne va pas être une grande réunion de plus qui n’aboutira à rien de concret pour refonder l’Europe ?

Y.O. : Oui pourquoi pas, mais la vraie réponse se situe au niveau des politiques mises en place. Il nous faut des politiques qui soient plus sociales, davantage tournées vers les aspirations de la jeunesse, et vers les aspirations de tous. Je pense par exemple à la santé, à l’environnement, qui sont des domaines dans lesquels les européens sont inquiets, mais pour lesquels l’Europe n’apporte pas toujours les réponses suffisantes. Nous le voyons, beaucoup de débats agitent les Européens aujourd’hui : le CETA, les accords commerciaux, les questions liées à la sécurité sanitaire, au modèle agricole, etc. Tout cela intéresse profondément les gens !

Je n’ai pas l’impression que le peuple européen soit en manque d’intérêt pour les grandes questions politiques. Au contraire, les jeunes sont politisés en France. Nous sommes un pays très politique. Il y a en France et partout en Europe une demande de plus en plus forte de refondation du débat démocratique européen et d’investir davantage les citoyens dans la prise de décision. Il y a, de ce fait, une véritable désespérance par rapport au peu de respect des attentes des citoyens. Croyez bien qu’au fond tout ceci progresse, bien que la Commission soit cernée par les multinationales, il y a des actions citoyennes qui font entendre leur voix. Certaines ONGs sont extrêmement présentes à Bruxelles pour porter la voix des citoyens.

Toutefois, je suis convaincu que c’est par des réponses concrètes que l’Union européenne répondra aux inquiétudes des jeunes européens, qu’elle réduira la fracture qui existe entre elle et eux. Sans cela, cette fracture ne fera que s’aggraver et la défiance avec.

La question de la mobilité est abordée tout de long de cette journée, notamment à travers le programme Erasmus +, et le Président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé vouloir qu’au moins la moitié d’une classe d’âge parte au moins 6 mois à l’étranger avant leurs 25 ans. Quel est votre avis sur cette mesure ?

YO : Je suis favorable à cette proposition, je crois qu’ il faut tendre vers ces objectifs sans oublier toutefois la jeunesse des outre-mer qui est encore plus enclavée et éloignée que la jeunesse continentale. Mais tendre vers ces objectifs implique d’avoir les moyens pour les réaliser. Or, vous savez qu’aujourd’hui nous ne nous donnons pas forcément les moyens de notre ambition européenne, et trop souvent ceux-là même qui sont ambitieux pour l’Europe ne portent pas d’ambition budgétaire.

Nous nous battons actuellement au Parlement européen pour qu’il y ait un véritable budget pour l’Europe, c’est-à-dire un budget qui permette de financer ces politiques de mobilité, mais aussi des politiques pour l’emploi des jeunes et pour la recherche et l’innovation. Cependant, nous constatons qu’après le Brexit notamment, il n’y a plus aucun souffle budgétaire et qu’au contraire, nous sommes plutôt en train de réaliser des coupes budgétaires. Il y a là une contradiction qu’il faut dépasser. Le Président Emmanuel Macron a évoqué quelques solutions que nous partageons, qui concernent par exemple les ressources propres. Évidemment, l’Europe a besoin de ressources propres pour alimenter un budget à la hauteur de ses ambitions.

Vous êtes un spécialiste de la politique de cohésion européenne, et l’Initiative pour l’Emploi des Jeunes (IEJ) fait partie des fonds structurels dont peuvent bénéficier les Etats membres : est-ce que l’IEJ fonctionne aujourd’hui sur le terrain ? Est-ce une mesure qui devrait, ou non, être étendue dans le prochain cadre financier pluriannuel (CFP) après 2020 ?

YO : Il faut d’abord rappeler que l’Initiative pour l’Emploi des Jeunes est un des seuls programmes intéressants pour les jeunes dans l’actuel CFP. Cependant, les chefs d’Etat et de gouvernement ainsi que la Commission européenne ont décidé de mettre fin à ce programme dans sa progression, alors qu’il faudrait plutôt l’étendre et lui donner plus d’envergure ! C’est en continuant comme cela que la jeunesse tourne le dos à l’UE. La contradiction est là : ceux qui donnent des leçons d’Europe sont ceux qui finalement donnent des coups de poignards dans le dos de l’Union européenne. Je fais partie de ceux qui demandent que l’IEJ soit pérennisée, sécurisée dans son budget, et étendue. Et il va falloir se battre pour cela.

Quel message souhaitez-vous adresser aux jeunes présents au lancement de la campagne ProVox du CNAJEP ?

YO : Certes nous avons beaucoup parlé d’économie, d’environnement pendant cette journée, mais je pense que l’Europe, c’est avant tout ce qu’il y a dans la tête des jeunes européens. Il est donc extrêmement important que la jeunesse pèse sur les orientations de l’Union européenne, par rapport à ses valeurs.

Nous sommes aujourd‘hui à un moment charnière, où un certain nombre de crises font que ces valeurs peuvent être menacées. Il y a donc une vraie bataille à mener pour que les valeurs européennes, de liberté, d’égalité, de tolérance, mais surtout de respect et de dignité humaine, puissent conquérir tous les esprits des jeunes européens. Or, nous pouvons constater qu’aujourd’hui dans beaucoup de pays européens, y compris en France, il y a une volonté de se replier et parfois même d’ostraciser.

Donc c’est à vous, jeunes européens, de mener ce combat ! Et ce combat est essentiel car l’Europe mourra assurément si ses valeurs meurent dans la tête des jeunes d’aujourd’hui. C’est sans doute le combat le plus important car si demain en Allemagne -et vous avez vu le dernier résultat des élections au Bundestag- en France, dans les pays du Sud, il y a la même jeunesse qu’en Hongrie, soyez certains que c’en est fini de l’Union européenne. Bien sûr, ce combat nous le mènerons avec vous, mais nous comptons sur vous pour mobiliser toute la jeunesse !

Interview réalisée le 30 septembre 2017.

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