Zuckerberg : l’occasion manquée du Parlement européen

, par Antoine Potor

Zuckerberg : l'occasion manquée du Parlement européen
Antonio Tajani, Président du Parlement européen (droite) accueille Mark Zuckerberg, CEO de Facebook le 22 mai 2018 à Bruxelles. © European Union 2018 - Source : EP

Dans un contexte de révélation du scandale Cambridge Analytica et de l’entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données (RGPD), le Parlement européen a reçu le 22 mai dernier Mark Zuckerberg, fondateur et PDG de Facebook qui a dû faire face aux présidents des groupes parlementaires après avoir été confronté au Congrès américain il y a quelques semaines.

Une audition de façade

L’audition qui a duré 1h30 laisse un goût amer, certes l’ancien étudiant d’Harvard a présenté ses excuses dès ses premiers instants de parole. Admettant les innombrables erreurs de Facebook, il a aussi rapidement tenté de dresser un tableau positif du rôle de Facebook dans nos sociétés tout en soulignant l’avance des Européens en matière de protection des données personnelles. Cette petite introduction de M. Zuckerberg aurait pu être très satisfaisante s’il n’avait pas fait que lire un texte préparé à l’avance et qu’il a délicatement installé devant lui avant de prendre la parole. Quelle sincérité dans ses propos ?

Le cœur de l’audition est quant à lui en demi-teinte, les présidents ont posé des questions précises, sensibles et essentielles. Pour autant la majorité de leurs interrogations va trouver des réponses écrites ; la faute à l’organisation de cette conférence des présidents : les questions ont suivi les questions sans que les réponses n’interviennent pour leur donner un véritable intérêt. En effet, M. Zuckerberg a pu disposer d’une demi-heure pour répondre à une partie des questions formulées. Il a donc pu cibler les interventions auxquelles il acceptait de répondre sans qu’on lui impose quoi que ce soit, esquivant ainsi des sujets tels que la publicité ciblée ou l’utilisation des données de personnes n’ayant pas de compte Facebook.

Ce processus de questions préparées et complétées par une réponse écrite est fortement regrettable, Facebook a eu tout le loisir de formuler des réponses sans qu’elles ne puissent trouver une contradiction dans l’immédiat (les réponses complémentaires par écrit sont consultables ici). Plus largement si aucune suite n’est donnée à cet échange manuscrit, où est l’utilité d’avoir organisé cette rencontre si ce n’est pour faire bonne figure face aux Européens, et l’excuse du vol de M. Zuckerberg avancée par le Président du Parlement européen Antonio Tajani, écourtant ce qui devait ressembler à une audition, n’y aide pas…

Le mécontentement est le sentiment qui domine au Parlement européen. L’eurodéputé Gabriele Zimmer (Gauche unitaire européenne) a soulevé la question d’une audition plus large et non pas seulement face aux Présidents de groupes qui malgré des questions pertinentes ont surtout su utiliser cette audition au profit de leur propre communication. Antonio Tajani – qui n’a pas brillé pour mener cette rencontre – a rapidement recadré Mme Zimmer lui indiquant que c’était le choix du Parlement de procéder ainsi pour questionner le PDG de Facebook. Cependant une audition devant les 751 députés aurait pu donner plus de poids à cette audition et surtout de contrainte à M. Zuckerberg. Plus raisonnablement et comme évoqué par plusieurs députés, la commission LIBE (Libertés civiles, justice et affaires intérieures) qui a porté le RGPD n’aurait-elle pas été plus capable pour mener cette audition ? Cela pose à la fois les questions des moyens qui sont mis à disposition du Parlement européen, de ceux qu’il se dote et surtout de la manière dont cette institution entend en user.

Un besoin d’affirmation du Parlement européen

C’est sur ce constat que l’on peut espérer mieux du Parlement européen et plus largement de la démocratie européenne. Dans un tout autre registre la Commission du contrôle du budgétaire avait fortement bousculé Günter Oettinger sans jamais imposer la démission de Martin Selmayr – la révision de sa nomination avait été suggérée. Le Parlement s’impose trop de limites alors qu’il est le plus légitime. Il faut bien sûr saluer l’initiative d’inviter Mark Zuckerberg, mais même le mot n’est pas correct, il aurait plutôt fallu qu’il s’agisse d’une convocation à la vue de l’enjeu que représentent les données personnelles.

A maintenant un an des élections européennes, il est temps que le Parlement européen s’interroge sur la place qu’il entend occuper parmi les institutions de l’Union. Est-ce une simple institution qui ne fait « que » discuter sur des règles européennes ou une institution qui en vertu de sa légitimité démocratique cherche à réellement peser dans la vie du vieux continent ?

L’audition de Mark Zuckerberg est symptomatique du mal qui ronge un Parlement européen plein de bonne volonté, mais qui ne concrétise pas ses opportunités. Pour exemple, les listes transnationales, proposition rejetée par les députés européens alors qu’elle était l’occasion pour 73 élus de s’émanciper des carcans nationaux.

Puisque le principal problème de cette institution réside dans la dépendance des élus européens à leurs familles nationales, la majorité des partis européens et les groupes qu’ils composent dans l’hémicycle ne sont – malheureusement – que le portevoix des volontés nationales. Il ne reste plus qu’à espérer que la majorité des prochains députés européens puisse porter une vision et une volonté politique à l’échelle européenne qui lui sera propre et qu’elle mènera en toute indépendance.

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