Rappelons-le une fois de plus, l’union bancaire a été créée pour briser le lien entre faillite bancaire et risque souverain, une relation qui a été constatée de manière flagrante à partir de 2010, où de nombreux pays ayant sauvé leur système bancaire à coup de milliers de milliards d’euros se sont retrouvés endettés, parfois jusqu’à l’asphyxie. Au plus fort du marasme de la zone euro, en 2012, l’Espagne a demandé de l’aide pour sauver ses banques. L’idée d’une union bancaire a alors (ré)émergé des arcanes bruxellois. Celle-ci devait éviter une nouvelle crise financière et économique et lutter contre la fragmentation bancaire de la zone euro. On n’avance jamais aussi bien que dos au mur apparemment.
L’UBE, sous ses traits d’avancée remarquable, n’est qu’une construction bancale, incomplète, symbole des rapports de force nationaux, cristallisés dans le domaine économique par le mano a mano franco-allemand. A la réflexion, l’union bancaire est aussi une image quasiment parfaite de la construction de la zone euro voire de la construction européenne entière. Toutefois, sa nécessité est telle qu’elle devra être complétée un jour. La question centrale est si cet achèvement interviendra à temps pour éviter la prochaine crise systémique.
L’UBE actuelle, la méthode des petits pas qui passe de moins en moins
L’Histoire retiendra que c’est le 4 novembre 2014 que l’union bancaire est devenue une réalité en Europe. On oublierait presque que c’est seulement le premier pilier de celle-ci, le mécanisme de supervision unique (MSU), qui a été mis en place à ce moment-là. La BCE est sensée superviser les plus grands établissements bancaires de la zone euro, mais seulement 85% des actifs financiers sont concernés. Les 15% restants échappent à son contrôle, en partie à cause du refus catégorique de l’Allemagne de céder le contrôle de ses puissantes Sparkassen. Le MSU est donc incomplet et manque de lisibilité.
Que dire des deux autres piliers alors ! Le mécanisme de résolution unique (MRU) est à la fois indigent, avec un fonds de résolution unique de seulement 55 milliards d’euros opérationnel en… 2023, et inefficace car les États dont les banques sollicitent de l’aide préfèrent intervenir plutôt que de faire payer les actionnaires et les déposants. Le système européen de garanties des dépôts (SEGD) est toujours coincé dans les méandres des négociations entre États-membres et fera l’objet d’une mise en place très progressive. L’UBE est donc un projet incomplet, dans une zone euro incomplète, elle-même dans une Union européenne incomplète. L’exemple de la méthode fonctionnaliste est ici splendide. Cette manière de faire a certes fonctionné au début de la construction européenne, mais force est de constater que ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’UBE ne peut pas se permettre de fonctionner sans garantie de dépôts européenne, tout comme la monnaie unique ne peut plus se dispenser d’un policy-mix cohérent et l’UE d’un marché unique sans progrès significatif vers l’union politique. Les petits pas ne peuvent être d’un recours efficace en période de crise, il faut prendre le risque d’être ambitieux. « De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et l’Europe sera sauvée » avait dit un jour Guy Verhofstadt, paraphrasant Danton.
L’UBE, théâtre du triste manque de solidarité européenne
La construction progressive de l’union bancaire nous enseigne qu’outre l’âpreté des débats au sein du Parlement et du Conseil de l’UE, le manque de solidarité au sein de la zone euro n’a pas disparu à la faveur de la crise des dettes souveraines. Je ne vais pas être de mauvaise foi et dire que l’Allemagne n’a pas bougé d’un iota de sa posture anti-solidarité (elle a beaucoup évolué depuis 2010, sinon l’euro serait mort et enterré), mais l’UBE est pour elle l’occasion de rappeler qu’elle ne paiera pas les inconséquences des PIGS (Portugal, Italie, Grèce et Espagne) en matière bancaire.
Le SEGD fait les frais des égoïsmes nationaux, en particulier de la position inflexible de l’Allemagne contre la volonté de la France et de l’Italie de mettre en place rapidement le dernier pilier de l’UBE. La solidarité est pourtant la condition sine qua non d’une union économique et financière. Le manque de solidarité peut avoir des conséquences absolument catastrophiques en cas de choc asymétrique. L’UBE actuelle ne pourra pas prévenir la prochaine crise bancaire, peut-être d’ores et déjà annoncée par l’état inquiétant du système bancaire italien. L’Allemagne et la Bundesbank ne doivent pas non plus oublier qu’elles profitent d’une certaine manière de la fuite des capitaux des pays de la périphérie, via les balances du système TARGET 2. Construire une union bancaire complète et cohérente est donc dans l’intérêt de tous.
L’UBE doit faire l’objet d’un deuxième « rapport Cecchini »
L’union bancaire peut-elle faire partie de la relance du projet européen ? Montrer les coûts qu’engendrerait l’absence d’une UBE efficace pourrait faire bouger les choses. Tout comme le rapport Cecchini de 1988 avait montré les coûts abyssaux des imperfections du marché commun, il faudrait rédiger un nouveau rapport sur les coûts de la « non-UBE ». Sans même les avoir encore précisément calculés, ces coûts semblent être énormes : fragmentation financière occasionnant des différences de conditions de financement qui affectent l’investissement dans certains pays, risque de faillite en chaîne d’établissements financiers etc. Il ne faut pas avoir peur d’être des « ayatollahs du fédéralisme » pour reprendre la formule ironique d’Hubert Védrine, il faut exiger une Union bancaire européenne complète dans une zone euro complète. L’Union européenne aura alors l’impulsion pour avancer vers l’union politique.
Suivre les commentaires : |