Le 28 février dernier, la Turquie annonçait qu’elle ne retiendrait plus les migrants installés sur son sol de se rendre vers l’Union européenne. Dans la foulée, Athènes réclamait des mesures concrètes et rapides ainsi qu’un appui solide de l’Europe pour faire face à une nouvelle crise migratoire.
Cette politique de « rétention des migrants » à la frontière turque remonte à 2016. L’Europe, alors dépassée par la vague de migration venue du Moyen-Orient, passe un accord avec Ankara. Tout migrant ne nécessitant pas une protection internationale ou intercepté dans les eaux turques, sera autorisé à entrer sur le continent.
En contrepartie, l’UE s’engage à lever les restrictions sur les visas attribués aux Turcs pour entrer dans l’espace Schengen à la fin du mois de juin 2016, sous réserve d’une évaluation des actions de la Turquie en matière de lutte contre les transits de migrants. En d’autres termes, Ankara devait retenir au maximum les migrants souhaitant rejoindre l’Europe sur sa frontière afin de bénéficier de transferts de fonds européens.
Vendredi 28 février, la Turquie cessait d’honorer sa part de l’accord.
Position délicate pour l’UE
Conséquence immédiate, la Grèce et en particulier les îles de Lesbos, Samos et Chios, premières portes d’entrée des migrants en Europe, ont été rapidement débordées, entraînant parfois des émeutes. Le Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, rehaussait son niveau de dissuasion aux frontières et déployait quelques « 4 000 soldats et policiers ainsi que des drones à la frontière nord, et 52 bateaux, dont des navires de guerre ».
La réponse européenne ne s’est pas fait attendre. Mardi 3 mars, Ursula Von der Leyen, Présidente de la Commission européenne, Charles Michel, Président du Conseil européen, David Sassoli, Président du Parlement européen et Andrej Plenković, Président du Conseil de l’UE, se sont rendus à Athènes et y sont apparus unis. Leur tâche n’était pourtant pas simple : offrir un appui convenable à la Grèce, sans pour autant braquer Ankara.
Dans la foulée, le 9 mars, Recep Tayyip Erdogan était attendu à Bruxelles, afin de régler cette crise de façon diplomatique. Ce dernier arguait que l’UE ne respectait pas sa part du contrat et proposait de relancer le dialogue avec les Européens. Le président turc a indiqué que les mécanismes existant entre l’Union européenne et la Turquie « ne fonctionnaient pas et devaient être réexaminés ». Ankara redoutait parallèlement que l’offensive du régime syrien, appuyée par Moscou, contre la province d’Idleb, dernier bastion rebelle en Syrie, ne pousse un million de personnes vers son territoire.
La Turquie a donc fait ce qu’elle sait faire de mieux, et ce qu’elle avait déjà fait en 2016 avec l’Europe : faire pression sur les Européens, dans la mesure où elle sait que ces derniers craignent le retour massif de migrants sur leur sol.
Chantage turc
Les « quatre chefs européens » ne sont pas hostiles à parler d’argent avec Ankara, mais tous dénoncent un chantage turc inacceptable. Le Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, a été le premier à juger l’attitude de la Turquie « en infraction totale avec l’accord de 2016 ». Il a rapidement été rejoint par d’autres chefs d’Etat ou ministres européens. Ainsi, Jean-Yves Le Drian déclarait devant l’Assemblée nationale que « L’Usage par la Turquie des migrants comme moyen de pression et de chantage sur l’Europe est absolument inacceptable ». Plus tempérée, la chancelière allemande Angela Merkel, n’a cette fois-ci cependant pas mâcher ses mots, puisqu’elle rejoignait le Ministre français des Affaires étrangères dans ses propos. Quant à Sebastian Kurz, chancelier autrichien, il évoquait « une attaque (...) contre l’UE et la Grèce ».
Madame Von der Leyen a assuré Athènes de son soutien en envoyant en renfort soldats, navires de guerre, hélicoptères ou encore matériel médical pour réaliser dans les meilleures conditions le contrôle de ses frontières. Pour Monsieur Mitsotakis, une solution serait de partager l’effort migratoire et que chaque pays membre accepte d’accueillir quelques migrants chez lui. Mais le dossier divise les Européens, qui n’ont pas oublié la violence de la crise de 2015 et voient désormais la « fermeté aux frontières comme l’un des rares points de consensus » rapportent Les Echos.
L’Europe - et notamment Berlin - se dit prête à un effort financier, en ajoutant 500 millions d’euros aux 6 milliards qu’elle s’était déjà engagée à verser il y a quatre ans. Le préalable est qu’Ankara éloigne les migrants de la frontière gréco-turque, insiste la Commission européenne.
Depuis cette crise géopolitique turco-européenne, le Covid-19 est passé par là, obligeant l’UE à se pencher sur d’autres problèmes, notamment le manque de lits de réanimation dans ses hôpitaux, la contamination exponentielle ou encore les morts massives qui y sont liées. L’Europe, confinée, reprendra certainement ses négociations avec la Turquie après la pandémie de coronavirus qu’elle traverse.
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