Le 6 mars 2018, lors d’une réunion du Conseil de l’Union européenne, les ministres de la défense ont décidé de prendre de nouvelles mesures en vue de la mise en œuvre de la coopération structurée permanente (PESCO). Ces mesures comprennent 17 nouveaux projets, y compris des missions de formation conjointes, la coordination des opérations militaires, la poursuite du développement des technologies et la mise en commun efficace des capacités. En outre, une feuille de route a été adoptée qui définit les objectifs spécifiques devant être atteints cette année pour la poursuite de la mise en œuvre de la PESCO.
Pour Federica Mogherini, haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, le 6 mars a été un « moment historique ». C’était la première réunion de ce genre depuis la création de la PESCO au niveau politique. En 2009, dans le traité de Lisbonne, une future coopération dans ce domaine avait déjà été établie. Puis, lors de la cérémonie d’inauguration en décembre dernier, Federica Mogherini avait déclaré : « Nous avons activé une coopération structurée permanente ambitieuse et inclusive dans le domaine de la défense. Vingt-cinq États membres se sont engagés à unir leurs forces sur une base régulière, à travailler ensemble, à investir conjointement et à agir ensemble. Les possibilités de coopération structurée permanente sont énormes. »
L’efficacité des dépenses de défense doit être maximisée
Les capacités de l’UE en tant que partenaire international dans les questions stratégiques et la sécurité mondiale seront certainement améliorées par la PESCO. La coopération structurée sera également étroitement liée au Fonds européen de défense dans le domaine de la stratégie. Ce fonds est destiné à fournir aux États participants des aides financières pour la recherche et le développement de nouveaux systèmes de défense. Dans ce cas, les projets de la PESCO auront l’avantage d’un cofinancement plus élevé que celui prévu par le budget de l’UE. Fondé en 2017 par le président Juncker, le fonds soutient déjà des projets de recherche dans le domaine de la défense et devrait être doté de 1,5 milliard d’euros en 2020.
L’optimisation prévue des dépenses à réaliser par le biais du Fonds européen de défense est urgente. Chaque année, 26 milliards d’euros sont gaspillés, principalement parce que les États de l’UE achètent ou produisent de manière indépendante trop de matériel militaire. Alors que les États-Unis consacrent 4% de leur PIB à l’armée, cela ne représente que 1,3% pour l’UE. Parallèlement, l’Union européenne compte plus de deux millions de soldats alors qu’ils ne sont que 1,4 million aux États-Unis. La Commission européenne voit donc un grand potentiel d’économies, en particulier pour les avions et les véhicules, s’il est possible de réduire efficacement leur nombre ou de mieux allouer les fonds existants. La Commission a souligné dans une déclaration le fait que « la coopération entre les États membres est insuffisante : plus de 80% de l’acquisition et plus de 90% des activités de recherche et de la technologie sont établis au niveau national. Le degré de fragmentation – avec 178 systèmes d’armes différents en Europe contre 30 aux États-Unis – reste élevé. Une planification inadéquate de la défense conduit à une utilisation inefficace de l’argent des contribuables, à des doubles emplois inutiles et à une faible déployabilité de la force de défense. »
Contribuer à la sécurité mondiale
Dans la conduite de missions militaires européennes, l’UE a toujours été dépendante de l’OTAN, et ainsi principalement de l’assistance des forces américaines. La coopération structurée permanente est donc un premier pas hors de cette dépendance de même que le premier pas vers une armée européenne. L’approfondissement de la coopération conjointe ne doit pas aboutir à la défense, mais doit aller au-delà.
Etant donné le fait que les États-Unis semblent se distancer de plus en plus de leur rôle de « police mondiale », l’UE peut d’autant plus remplir ce rôle. Les conflits aux porte de l’Europe, comme en Ukraine, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord ou ailleurs, ne peuvent pas seulement faire partie des préoccupations des nations européennes individuelles. L’UE doit participer activement à l’élaboration d’une sécurité mondiale. Une politique de sécurité paneuropéenne n’est réalisable que par la création de structures communes. Le concept des groupements tactiques de l’UE, qui sont censés agir comme une sorte de force d’intervention de l’UE et dont le développement a jusqu’ici été très valorisé, est une voie possible vers une armée européenne.
L’effet le plus positif d’un tel projet serait la consolidation d’une identité européenne commune. Beaucoup se plaignent du fait que l’UE soit une entité éloignée du peuple. Or, une armée européenne au service de valeurs et d’intérêts européens communs pourrait réduire considérablement ce problème. Le sentiment d’appartenance des Européens à l’Union pourrait être renforcé et la formation d’un patriotisme européen encouragée.
Les intrusions américaines n’ont pas traîné
Immédiatement après le lancement officiel des 17 nouveaux projets de la PESCO, Washington a mis en garde l’UE contre la construction de structures en concurrence directe avec l’OTAN. Le secrétaire américain à la Défense James Mattis est allé jusqu’à demander un engagement écrit du Conseil des ministres stipulant que la défense commune continuerait d’être une tâche de l’OTAN. Les ministres de la défense de l’UE se sont évidemment irrités, mais ils ont annoncé qu’ils en discuteraient en temps opportun. Aucun engagement écrit comme le demandent les États-Unis ne sera finalement signé, les dirigeants de l’UE se référant à la situation actuelle des traités selon laquelle l’OTAN reste la base d’une défense commune.
Car l’UE ne cherche pas à dupliquer les structures de l’OTAN, et ce, ne serait-ce que pour maintenir des liens avec des pays comme la Grande-Bretagne. Cependant, des réflexions sur la réforme de l’OTAN ne seraient certainement pas hors de propos. Le partenaire turc, par exemple, donne souvent l’impression, surtout au vu de l’actualité récente, qu’il n’agit pas toujours dans le sens de ses alliés occidentaux.
La vraie raison pour laquelle les Etats-Unis s’opposent à une coopération militaire accrue en Europe n’est pas le souci de l’avenir de l’OTAN : ils sont beaucoup plus préoccupés par les intérêts américains de l’industrie de la défense, qui voit arriver une sérieuse concurrence avec les entrepreneurs européens de la défense, puisque la PESCO crée un nouveau marché en Europe. Ne jamais oublier qui sont les vrais alliés Il semble que les États-Unis sont actuellement incapables de faire la distinction entre ami et ennemi. L’ancienne puissance dominante de l’« Alliance occidentale » semble moins intéressée à la préserver. Les Etats-Unis, comme l’Europe, ont un devoir historique de préserver cette « communauté de destin » qui, dans le passé, a toujours cherché à garantir la paix, la stabilité et la sécurité, mais pas toujours avec succès.
Une base de confiance renforcée au fil des décennies ne peut pas être perdue de façon aussi frivole. Pour les États-Unis, ce serait une erreur fondamentale avec des conséquences imprévisibles pour l’avenir. En outre, il sera beaucoup plus difficile pour les États-Unis d’établir un niveau de confiance similaire avec des pays comme la Chine ou la Russie, d’autant plus que ces partenaires rendront toute collaboration plus difficile en raison d’intérêts géopolitiques fondamentalement opposés.
Suivre les commentaires : |